Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 4 juin 2019, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Transavia France devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- les cachets apposés sur le passeport et importants pour le contrôle sont peu nombreux et parfaitement lisibles ;
- le visa Schengen présenté par la passagère à l'origine du litige comportait des éléments d'irrégularité manifeste en ce que la durée totale de séjour autorisée de 90 jours par période de 180 jours était manifestement consommée à la date de son débarquement, le 4 octobre 2016.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 juillet 2019 et le 5 novembre 2020, la société Transavia France, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'appartient pas à ses agents de se substituer à ceux de la police aux frontières aux fins de déterminer si un visa Schengen à entrées multiples, tamponné par de nombreux cachets d'entrée et de sortie du territoire disposés sur des pages différentes, est valable ;
- à défaut de respecter les dispositions du 3. de l'annexe IV du règlement (UE) n° 2016/399 précité, les nombreux cachets du passeport de la passagère, apposés de manière aléatoire et insuffisamment lisible et compréhensible, ne permettent pas de faire regarder la péremption du visa comme manifeste ;
- il appartenait également aux agents de la police aux frontières, lors du précédent départ de France de la passagère le 27 septembre 2016, de constater l'annulation du visa par la simple apposition d'un cachet " annulé ", ce qui l'aurait empêchée de revenir le 4 octobre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 ;
- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision R/16-808 du 23 mai 2017, le ministre de l'intérieur a infligé à la compagnie Transavia France, sur le fondement de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 10 000 euros pour avoir, le
4 octobre 2016, débarqué sur le territoire français une personne de nationalité marocaine, titulaire d'un visa Schengen manifestement périmé. Il relève appel du jugement du 2 avril 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cette décision.
Sur la sanction :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un Etat avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité. Est punie de la même amende l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque, dans le cadre du transit, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne et démuni du document de voyage ou du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable compte tenu de sa nationalité et de sa destination ". Aux termes de l'article L. 625-2 du même code : " (...) La décision de l'autorité administrative, qui est motivée, est susceptible d'un recours de pleine juridiction. / L'autorité administrative ne peut infliger d'amende à raison de faits remontant à plus d'un an ". Enfin, aux termes de l'article L. 625-5 dudit code : " Les amendes prévues aux articles L. 625-1 (...) ne sont pas infligées : (...) 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'elles font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de la Communauté économique européenne, devenue l'Union européenne, soient en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur (...) ". Aux termes de l'article 6 du règlement (CE) n° 399/2016 susvisé : " Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours sur toute la période de 180 jours, ce qui implique d'examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes : a) être en possession d'un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière qui remplisse les critères suivants (...) ; b) être en possession d'un visa en cours de validité si celui-ci est requis en vertu du règlement (CE) no 539/2001 du Conseil sauf s'ils sont titulaires d'un titre de séjour ou d'un visa de long séjour en cours de validité (...) ". L'article 1er du règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 susvisé dispose que les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l'annexe I doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des Etats membres, à l'exclusion du transit aéroportuaire. Le Maroc fait partie des pays figurant sur la liste de cette annexe.
5. Il résulte de l'instruction que la passagère, de nationalité marocaine, a débarqué à l'aéroport d'Orly le 4 octobre 2016 du vol n° TO 3041 en provenance de Fez (Maroc), munie d'un passeport marocain revêtu d'un visa Schengen de type " C ", valable du 28 janvier 2015 au 27 janvier 2019, autorisant des entrées multiples et des séjours d'une durée totale de 90 jours sur une période de 180 jours. L'examen normalement attentif des cachets figurant sur ce document de voyage permet de constater, de manière claire et lisible, que son titulaire a fait, au cours de la période de 180 jours précédant le 4 octobre 2016, soit à compter, approximativement et sans qu'il soit besoin de se livrer à un calcul au jour près, du 4 avril 2016, deux séjours consécutifs, du 4 mai 2016 au 15 juin 2016 puis du 2 juillet 2016 au 27 septembre 2016. Une opération de calcul sommaire du décompte de la durée globale des deux séjours fait apparaître un total manifestement supérieur à quatre mois, soit supérieur à 90 jours. Dans ces conditions, le visa n'autorisait manifestement plus la passagère, à la date du 4 octobre 2016, à entrer sur le territoire français, ce que pouvait aisément déceler un agent d'embarquement formé au contrôle des documents de voyage. Par suite, c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a retenu, pour annuler la décision du ministre de l'intérieur du 23 mai 2017, le moyen tiré de ce que le contrôle de la validité du visa étant, en l'espèce, rendu particulièrement difficile en raison du nombre important de cachets apposés sans ordre chronologique et situés sur deux pages différentes éloignées du visa, le défaut de validité de ce dernier, qui n'était pas manifeste, avait pu échapper à un examen normalement attentif de l'agent d'embarquement.
6. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Transavia France devant le Tribunal administratif de Paris.
7. En premier lieu, la société Transavia France soutient qu'il ne lui appartient pas de se substituer aux autorités françaises pour déterminer si un visa Schengen avec des entrées multiples, tamponné par de nombreux cachets d'entrée et de sortie du territoire, est valable, dès lors notamment qu'elle ne détient aucun pouvoir de police à cette fin et que, en outre, la clarté et la lisibilité des visas n'est pas assurée par les agents de la police aux frontières, dont les tampons sont le plus souvent apposés sans ordre ni logique et sans souci de permettre une vérification aisée des dates qui y figurent. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 3, il résulte des dispositions susvisées de l'article L. 6421-2 du code des transports que les transporteurs aériens ont l'obligation de vérifier, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. En tout état de cause, ainsi qu'il a été dit au point 5, les tampons apposés sur le passeport de la passagère laissaient apparaître de manière claire et lisible la péremption du visa. Par suite, le moyen doit être écarté.
8. En second lieu et compte tenu de ce qui a été dit au point 5 concernant la lisibilité des cachets d'entrée et de sortie du territoire de la passagère, la société Transavia France ne peut utilement faire valoir que les agents de la police aux frontières n'auraient pas apposé les différents cachets dans le même sens et sur la même page, vierge si nécessaire, pour en permettre une meilleure lecture. Elle ne peut davantage invoquer les modalités d'apposition des cachets telles qu'elles résultent des dispositions du 3. de l'annexe IV du règlement n° 2016/399 du
9 mars 2016 susvisé, lesquelles, à supposer qu'elles n'aient pas été respectées en l'espèce, n'ont en tout état de cause que valeur de recommandation.
9. Enfin, la société Transavia France n'est pas fondée à faire valoir que les agents de la police des frontières auraient pu utilement, lors de la précédente sortie de l'intéressée du territoire français le 27 septembre 2016, annuler son visa Schengen, dès lors que si à la date du
4 octobre 2016, celle-ci avait atteint la durée maximale autorisée de séjour dans l'espace Schengen pendant une première période de 180 jours, elle aurait pu à nouveau séjourner au sein de cet espace au cours d'une seconde période à venir de 180 jours et recouvrer, de ce fait, la validité de son visa. Par suite, le moyen doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision R/16-808 du 23 mai 2017 par laquelle il a infligé une amende de 10 000 euros à la société Transavia France.
Sur les frais de l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Transavia demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1709614/3-1 du Tribunal administratif de Paris du 2 avril 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Transavia France devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la société Transavia France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à la société Transavia France.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme A..., président de chambre,
- M. B..., premier conseiller,
- Mme Portes, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2021.
Le rapporteur,
P. B...
Le président,
M. A... Le greffier,
A. BENZERGUA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01815