Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2019, la société Air France demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ou de la décharger du paiement de l'amende ou, à défaut, de réduire le montant de l'amende à la somme de 1 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les cachets apposés sur le passeport de la passagère sont superposés et répartis sans ordre logique, ce qui rend le calcul du nombre de jours passés dans l'espace Schengen particulièrement complexe, notamment concernant le troisième séjour du 6 juin 2017 au 23 août 2017 ;
- les dispositions du 3. de l'annexe IV du règlement (UE) n° 2016/399 concernant les modalités d'apposition des cachets du passeport de la passagère ont été méconnues ;
- il appartenait aux agents de la police aux frontières, lors du précédent départ de France de la passagère le 23 août 2017, de constater l'annulation du visa par la simple apposition d'un cachet " annulé ", ce qui l'aurait empêchée de revenir le 5 octobre 2017.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 ;
- le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision R/17-1532 du 12 avril 2018, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France, sur le fondement de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 10 000 euros pour avoir, le 5 octobre 2017, débarqué sur le territoire français une personne de nationalité algérienne, titulaire d'un visa Schengen manifestement périmé. La société Air France relève appel du jugement du 14 mai 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la sanction :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 euros l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un Etat avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité. Est punie de la même amende l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque, dans le cadre du transit, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne et démuni du document de voyage ou du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable compte tenu de sa nationalité et de sa destination ". Aux termes de l'article L. 625-2 du même code : " (...) La décision de l'autorité administrative, qui est motivée, est susceptible d'un recours de pleine juridiction. / L'autorité administrative ne peut infliger d'amende à raison de faits remontant à plus d'un an ". Enfin, aux termes de l'article L. 625-5 dudit code : " Les amendes prévues aux articles L. 625-1 (...) ne sont pas infligées : (...) 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'elles font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de la Communauté économique européenne, devenue l'Union européenne, soient en possession de documents de voyage leur appartenant, le cas échéant revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par les dispositions précitées.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur (...) ". Aux termes de l'article 6 du règlement (CE) n° 399/2016 susvisé : " Pour un séjour prévu sur le territoire des Etats membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours sur toute la période de 180 jours, ce qui implique d'examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes : a) être en possession d'un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière qui remplisse les critères suivants (...) ; b) être en possession d'un visa en cours de validité si celui-ci est requis en vertu du règlement (CE) no 539/2001 du Conseil sauf s'ils sont titulaires d'un titre de séjour ou d'un visa de long séjour en cours de validité (...) ". L'article 1er du règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 susvisé dispose que les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l'annexe I doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des Etats membres, à l'exclusion du transit aéroportuaire. L'Algérie fait partie des pays figurant sur la liste de cette annexe.
5. En premier lieu, il résulte de l'examen du passeport de la passagère incriminée que les tampons des dates d'entrée et de sortie qui y sont apposés, alors même qu'ils ne sont pas systématiquement disposés dans un ordre chronologique, sont clairement lisibles et établissent que l'intéressée a fait trois séjours consécutifs durant la période de 180 jours précédant la date de son débarquement, soit du 6 avril 2017 au 15 avril 2017, du 12 mai 2017 au 23 mai 2017 puis du 6 juin 2017 au 23 août 2017. Par suite, et compte tenu de ce qui a été dit au point 3, la compagnie nationale Royal Air Maroc ne peut utilement faire valoir que les agents de la police aux frontières n'auraient pas apposé les différents cachets l'un à côté de l'autre, sur la même page et dans un ordre strictement chronologique pour en permettre une meilleure lecture. Elle ne peut davantage invoquer les modalités d'apposition des cachets telles qu'elles résultent des dispositions du 3. de l'annexe IV du règlement n° 2016/399 du 9 mars 2016 susvisé, lesquelles, à supposer qu'elles n'aient pas été respectées en l'espèce, n'ont en tout état de cause que valeur de recommandation.
6. En second lieu, il résulte de l'instruction que la passagère débarquée par la compagnie requérante le 5 octobre 2017 était munie d'un visa Schengen valable pour des séjours d'une durée maximale de 90 jours par périodes de 180 jours entre le 8 juillet 2016 et le
8 juillet 2018. Par suite, dès lors que la lecture de son passeport faisait apparaître qu'elle avait séjourné en France, aux dates mentionnées au point 5, pour un total manifestement supérieur à 90 jours qui ne nécessitait pas un calcul complexe, son visa ne l'autorisait plus, à la date du
5 octobre 2017, à entrer de nouveau sur le territoire français, ce que pouvait aisément déceler un agent d'embarquement formé au contrôle des documents de voyage, sans que, contrairement à ce que soutient la société Air France, cela excède les limites de ses attributions ou de ses obligations. En outre, la compagnie requérante n'est pas fondée à soutenir que les agents de la police des frontières auraient pu utilement, lors de la précédente sortie de l'intéressée du territoire français le 23 août 2017, annuler son visa Schengen, dès lors que si à la date du
5 octobre 2017, celui-ci avait atteint la durée maximale autorisée de séjour dans l'espace Schengen pendant une première période de 180 jours, la passagère aurait pu à nouveau séjourner au sein de cet espace au cours d'une seconde période à venir de 180 jours et recouvrer, de ce fait, la validité de son visa. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur a pu légalement faire application des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et infliger à la société Air France une amende sur ce fondement.
7. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce. En raison toutefois du caractère aisément décelable de l'irrégularité retenue au point 6, il n'y a pas lieu de procéder à la réduction du montant de l'amende qui n'est pas entaché de disproportion.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Air France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Air France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Air France et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2021 à laquelle siégeaient :
- Mme A..., président de chambre,
- M. B..., premier conseiller,
- Mme Portes, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2021.
Le rapporteur,
P. B...
Le président,
M. A... Le greffier,
A. BENZERGUA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02297