Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 13 octobre 2017, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1707819 du 12 septembre 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A...devant le Tribunal administratif de Paris.
Le préfet de police soutient que :
- il disposait d'un faisceau d'indices suffisamment précis et concordants permettant d'établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité de l'enfant de Mme A...par un ressortissant français ;
- le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait ;
- l'arrêté attaqué n'a pas méconnu les stipulations des articles 3-1 et 7-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juin 2018, MmeA..., représentée par Me D..., demande à la Cour de rejeter la requête du préfet de police et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme A...soutient que :
- la fraude ayant motivé le retrait de sa carte de séjour n'est pas caractérisée ;
- l'arrêté attaqué méconnaît les articles 3-1 et 7-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant ;
- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Doré a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que MmeA..., de nationalité camerounaise, entrée en France selon ses déclarations au mois de septembre 2012, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par un arrêté en date du 5 avril 2017, le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office ; que le préfet de police relève appel du jugement du 12 septembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) " ;
3. Considérant que si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers ; que tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés ; que, par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que MmeA..., entrée en France le 10 septembre 2012 selon ses déclarations, a donné naissance sur le territoire français, le 19 décembre 2012, à l'enfant MaximilienA..., reconnu le 2 octobre 2012 par M. B..., de nationalité française ; que, pour rejeter la demande de titre de séjour présentée par Mme A...sur le fondement des dispositions précitées du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de police a estimé que cette reconnaissance de paternité était frauduleuse ;
5. Considérant qu'il est constant que M. B...n'est pas le père biologique de l'enfant et que le préfet de police est fondé à faire valoir que les pièces au dossier, à savoir des photographies non datées, une attestation et des justificatifs de transferts de fonds postérieurs à la date de la décision contestée, ne permettent pas d'établir une communauté de vie entre Mme A... et M.B..., ni la participation de celui-ci à l'éducation et à l'entretien de l'enfant avant cette date ; que, ces circonstances ne suffisent toutefois pas à établir que la reconnaissance de paternité de M. B...avait pour objet de faciliter l'obtention de la nationalité française à l'enfant de Mme A...et de permettre à cette dernière d'obtenir la régularisation de son séjour en France en qualité de mère d'un enfant français, alors notamment que M. B...a indiqué avoir voulu un fils et se considérer comme le père de l'enfant ; que, par suite, le préfet de police ne peut être regardé comme apportant la preuve de la fraude ayant motivé les décisions contestées ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté en date du 5 avril 2017 ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A...d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions susvisées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A...une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Mme C...A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme Poupineau, président assesseur,
- M. Doré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 octobre 2018.
Le rapporteur,
F. DORE Le président,
S.-L. FORMERY Le greffier,
C. RENE-MINE
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA03235