Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 février 2017 et 20 novembre 2017, la société Hédios Patrimoine, représentée par la SCP Gadiou Chevallier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1516763 du 14 décembre 2016 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 12 962 399 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2014 et de la capitalisation des intérêts à compter du 25 avril 2016, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'action de l'administration fiscale ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que les premiers juges n'ont pas suffisamment analysé les conclusions et les mémoires échangés par les parties en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;
- le tribunal a dénaturé ses écritures en considérant irrecevables les conclusions indemnitaires au titre de la responsabilité pour faute, en ce qu'elles tendaient à réparer un préjudice résultant du paiement de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1740 du code général des impôts, alors qu'il s'agissait de réparer le préjudice causé du fait du manquement par l'administration à son obligation d'assurer une certaine pérennité aux situations juridiques et à sa méconnaissance du principe de sécurité juridique ;
- l'administration fiscale a méconnu le principe de sécurité juridique énoncé par le juge administratif, ainsi que le principe de confiance légitime consacré par la Cour de justice de l'Union européenne ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que son préjudice n'était pas spécial, alors qu'elle avait réalisé les investissements et déposé auprès de la société Electricité de France à La Réunion les demandes de raccordement au réseau public d'électricité ; en outre, les autres conditions permettant d'engager la responsabilité sans faute de l'État pour rupture d'égalité devant les charges publiques étaient remplies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- à titre principal, la requête tendant à l'obtention d'une indemnité correspondant au montant de l'amende infligée à la société Hédios Patrimoine sur le fondement de l'article 1740 du code général des impôts est irrecevable du fait de l'existence d'un recours parallèle fiscal permettant d'aboutir à un résultat identique à l'action indemnitaire et dès lors, en tout état de cause, que la société ne se prévaut pas d'un préjudice distinct de celui du paiement de l'amende ;
- le jugement attaqué est régulier ; la société Hédios Patrimoine, qui s'est prévalue devant le tribunal du préjudice correspondant à l'amende mise à sa charge sur le fondement de l'article 1740 du code général des impôts, ne peut en tout état de cause présenter devant la Cour des conclusions tendant à être indemnisée d'un nouveau préjudice ; ces conclusions nouvelles sont en effet irrecevables ;
- les autres moyens soulevés par la société Hédios Patrimoine ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poupineau,
- et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Hédios Patrimoine, qui exerce une activité de conseil en gestion de patrimoine et en investissements financiers, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle le service lui a infligé une amende d'un montant de 12 962 399 euros au titre de l'exercice clos en 2010, sur le fondement de l'article 1740 du code général des impôts. La société a, par un courrier du 29 décembre 2014, présenté au ministre de l'économie et des finances une demande d'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de l'action de l'administration fiscale. Par une décision en date du 5 août 2015, le ministre de l'économie et des finances a refusé de lui accorder l'indemnité sollicitée. La société Hédios Patrimoine fait appel du jugement en date du 14 décembre 2016, par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 12 962 399 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ressort des mentions du jugement attaqué que le tribunal a, contrairement à ce que soutient la requérante, analysé les conclusions des différents mémoires présentés par les parties. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ne peut qu'être écarté.
3. En deuxième lieu, il ressort du dossier soumis aux premiers juges que le tribunal ne s'est pas mépris sur la portée des conclusions dont il était saisi par la société requérante, qui tendaient à la condamnation de l'État, en raison de son action fautive, à lui verser une indemnité d'un montant de 12 962 399 euros en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait du paiement de l'amende de même montant qui lui avait été infligée sur le fondement de l'article 1740 du code général des impôts.
4. En dernier lieu, une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. En revanche, ne sont pas recevables des conclusions indemnitaires qui n'invoquent pas de préjudice autre que celui résultant du paiement de l'imposition et ont, en conséquence, le même objet que l'action tendant à la décharge de cette imposition que le contribuable a introduite ou aurait pu introduire sur le fondement des règles prévues par le livre des procédures fiscales.
5. Il ressort du dossier soumis aux premiers juges que les conclusions de la demande de la société Hédios Patrimoine de condamnation de l'État en raison de l'action fautive de ce dernier tendaient à l'obtention d'une indemnité dont le montant correspondait exactement à celui de l'amende qui lui avait été infligée sur le fondement de l'article 1740 du code général des impôts. Si elle invoque un manquement de l'État à l'" obligation d'assurer une certaine pérennité aux situations qui bien que modifiées, avaient été assurées de ne pas être bouleversées du jour au lendemain, en violation du principe de sécurité juridique ", ainsi que l'absence ou l'insuffisance de mesures transitoires, la société n'établit ni même n'allègue avoir subi un préjudice distinct de celui résultant du paiement de l'amende dont elle avait fait l'objet. Ainsi, les conclusions précitées de la demande de la société Hédios Patrimoine avait le même objet que l'action tendant à la décharge de cette amende. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal les a rejetées comme irrecevables.
6. Dans ces conditions, les premiers juges n'ont pas entaché leur jugement d'irrégularité en ne répondant pas au moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique soulevé par la société Hédios Patrimoine à l'appui de ces conclusions.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'action et des comptes publics :
7. Ainsi qu'il a déjà été dit au point 5, la requête de la société Hédios Patrimoine, tout comme sa demande devant les premiers juges, tend au versement par l'État d'une indemnité dont le montant est identique à celui de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1740 du code général des impôts et qu'elle a, ainsi que le soutient le ministre de l'action et des comptes publics, le même objet que l'action tendant à la décharge de cette amende. Par suite, les conclusions de la requête de la société Hédios Patrimoine tendant à ce que soit engagée la responsabilité pour faute de l'État du fait de la méconnaissance par l'administration fiscale des principes de sécurité juridique et de confiance légitime sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées. Pour le même motif, les conclusions tendant à voir reconnaître la responsabilité sans faute de l'État pour rupture d'égalité devant les charges publiques doivent également être rejetées.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Hédios Patrimoine n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Hédios Patrimoine est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Hédios Patrimoine et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme Poupineau, président assesseur,
- Mme Lescaut, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 décembre 2018.
Le rapporteur,
V. POUPINEAULe président,
S.-L. FORMERY
Le greffier,
C. RENÉ-MINE
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA00610