Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 11 novembre 2017, la société Foncière de la Muette Brochant, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1604098 du 5 octobre 2017 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il lui est défavorable ;
2°) de prononcer la décharge de la fraction de la taxe sur les locaux vacants demeurant... ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué n'est pas motivé ; les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de l'existence de procédures judiciaires initiées par certains locataires tendant à obtenir l'annulation de la vente de l'immeuble ;
- elle remplit les conditions pour bénéficier de l'exonération de la taxe sur les locaux vacants dès lors qu'elle justifie, par la production de mandats de vente, avoir mis en vente son immeuble au prix du marché et n'avoir pas trouvé acquéreur ;
- les termes de comparaison retenus par le service ne sont pas pertinents, dès lors qu'ils correspondent à des ventes réalisées à des dates antérieures, qu'il n'est pas justifié qu'ils se rapporteraient à des immeubles similaires, ni mentionné s'ils ont été vendus libres de toute occupation ou occupés, et que l'état des parties communes n'est pas précisé, alors que l'immeuble taxé est un immeuble de grand standing qui dispose de parties communes en excellent état ;
- le service a retenu la fourchette la plus basse du prix du marché du 16ème arrondissement de Paris ;
- elle verse au dossier des annonces de ventes d'immeubles qui établissent que le prix de l'immeuble taxé correspond au prix du marché ;
- en 2013, plusieurs locataires ont contesté l'acquisition de l'immeuble le 31 octobre 2012 et ont demandé l'annulation de la vente ; leur demande a été rejetée par un jugement définitif rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 14 avril 2015 ; l'existence de cette procédure a empêché la mise en vente des locaux vacants ;
- une seconde procédure en annulation de cette cession a été initiée à la suite d'un litige de régularisation d'un bail de sortie de la loi de 1948 entre un autre locataire et l'ancien propriétaire de l'immeuble ; cette procédure était toujours en cours lors de l'introduction de la présente requête ;
- ces procédures constituent des éléments indépendants de sa volonté justifiant le caractère involontaire de la vacance des locaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Foncière de la Muette Brochant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la décision n° 98-403 DC du Conseil Constitutionnel en date du 29 juillet 1998 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poupineau,
- et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Foncière de la Muette Brochant est propriétaire d'un immeuble situé 4 avenue Alphonse XIII, à Paris, dans le 16ème arrondissement, et comportant plusieurs appartements à raison desquels elle a été assujettie à la taxe sur les locaux vacants au titre de l'année 2015 pour un montant total de 19 051 euros. Elle a vainement présenté une réclamation le 30 novembre 2015 puis a saisi, le 17 mars 2016, le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la décharge de cette taxe. En cours d'instance, le service a procédé au dégrèvement de la fraction correspondant au logement situé au 5ème étage de l'immeuble. Par un jugement du 5 octobre 2017, le tribunal a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence de la somme de 5 124 euros et rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société Foncière de la Muette Brochant, qui fait appel de ce jugement en tant qu'il lui est défavorable.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments avancés par les parties, ont répondu de façon suffisamment précise aux différents moyens contenus dans les écritures de la société Foncière de la Muette Brochant, en particulier au moyen tiré de l'existence de procédures judiciaires initiées par certains locataires tendant à obtenir l'annulation de la vente de l'immeuble situé 4 avenue Alphonse XIII. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le tribunal aurait omis de répondre à un moyen ou que son jugement ne serait pas suffisamment motivé.
Sur le bien-fondé des impositions :
4. Aux termes de l'article 232 du code général des impôts : " I.- La taxe annuelle sur les logements vacants est applicable dans les communes appartenant à une zone d'urbanisation continue de plus de cinquante mille habitants où existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d'accès au logement sur l'ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d'acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logement par rapport au nombre d'emménagements annuels dans le parc locatif social. Un décret fixe la liste des communes où la taxe est instituée. II.- La taxe est due pour chaque logement vacant depuis au moins une année, au 1er janvier de l'année d'imposition (...). III.- La taxe est acquittée par le propriétaire, l'usufruitier, (...). VI.- La taxe n'est pas due en cas de vacance indépendante de la volonté du contribuable.(...) ".
5. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, n'a admis la conformité à la Constitution des dispositions instituant la taxe sur les logements vacants que sous certaines réserves : " (...) / ne sauraient être assujettis des logements dont la vacance est imputable à une cause étrangère à la volonté du bailleur, faisant obstacle à leur occupation durable, à titre onéreux ou gratuit, dans des conditions normales d'habitation, ou s'opposant à leur occupation, à titre onéreux, dans des conditions normales de rémunération du bailleur ; qu'ainsi, doivent être notamment exonérés (...) les logements mis en location ou en vente au prix du marché et ne trouvant pas preneur ".
6. La société Foncière de la Muette Brochant a fait valoir auprès de l'administration fiscale qu'elle ne pouvait être assujettie à la taxe sur les locaux vacants, dès lors qu'elle avait mis son immeuble en vente au prix du marché, mais qu'elle n'avait pas trouvé d'acquéreur. A l'appui de sa réclamation, elle a produit deux mandats de vente datés respectivement des 20 janvier 2015 et 3 février 2015, qu'elle a donnés aux sociétés Immobilier Design et 3B Immoconseil. Le mandat de la société Immobilier Design fixe à 12 500 000 euros, soit 12 100 euros le m², le prix de cession de l'immeuble en litige et celui de la société 3B Immoconseil à 13 000 000 euros, soit 12 585 euros le m². L'administration a rejeté cette réclamation au motif que les prix de vente proposés ne correspondaient pas à ceux du marché en opposant à la société deux cessions intervenues les 12 juillet 2013 et 7 novembre 2014, portant, pour la première, sur un appartement d'une superficie de 1 134m², situé 84 avenue Paul Doumer, dans le 16ème arrondissement, vendu au prix de 10 700 000 euros et, pour la seconde, sur un appartement de 1 656m², situé 3 rue Octave Feuillet, dans le même arrondissement, cédé au prix de 9 996 000 euros.
7. Il résulte de l'instruction que les deux immeubles retenus par l'administration comme termes de comparaison sont des immeubles de rapport en excellent état d'entretien comportant de grands appartements, dont certains étaient loués, ainsi qu'un local professionnel, répartis sur huit étages. Bien que plus petits, ils présentent, contrairement à ce qu'allègue la société requérante, des caractéristiques similaires à l'immeuble en litige et ont été cédés à des prix inférieurs à ceux proposés par les deux agences précitées pour sa cession. Si la vente réalisée le 12 juillet 2013 est un peu éloignée de la date de signature, au cours des mois de janvier et février 2015, des deux mandats confiés aux sociétés Immobilier Design et 3B Immoconseil, le ministre soutient sans être contredit que le marché de l'immobilier était stable entre 2013 et 2015. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que le service se serait fondé sur la fourchette la plus basse du prix du marché du 16ème arrondissement de Paris.
8. La société Foncière de la Muette Brochant ne peut, pour contester la pertinence de ces termes de comparaison, se prévaloir d'annonces de ventes immobilières de biens dont il n'est pas indiqué par la contribuable à quels prix leur cession, si elle a eu lieu, a été consentie. Par ailleurs, trois des biens immobiliers qu'elle propose sont des hôtels particuliers, qui ne sont pas comparables à l'immeuble qu'elle détient. Et si ceux mis en vente aux prix de 20 millions d'euros pour une superficie de 1 800 m² et de 12 500 000 euros pour une superficie de 1 088m² sont similaires à celui-ci, leur prix de vente est inférieur à ceux figurant sur les mandats produits établis en 2015.
9. Par ailleurs, les attestations versées au dossier par la société requérante émises par les sociétés Immobilier Design et 3B Immoconseil, respectivement les 10 et 21 octobre 2016, qui exposent les réticences de potentiels acquéreurs après la visite du bien immobilier en litige en raison de la présence de locataires couverts par des baux spécifiques et d'un local professionnel, de la faible rentabilité du bâtiment et de la nécessité d'entreprendre des travaux importants pour réaliser, à partir de l'existant, des appartements plus petits afin de s'adapter au marché locatif, n'établissent pas, contrairement à ce que soutient la société Foncière de la Muette Brochant, que cet immeuble ne pouvait trouver preneur mais que, compte tenu des éléments précités susceptibles d'avoir une incidence sur sa valeur vénale, il n'a pas été mis en vente au prix du marché. A cet égard, le ministre relève que l'immeuble en litige était déjà en vente en 2013 aux prix de 12 500 000 euros et de 13 000 000 euros, ainsi qu'il ressort des mandats de vente que la contribuable a joints à la réclamation qu'elle a présentée à l'encontre de la taxe sur les locaux vacants relative à l'année 2014. Dès lors, la société requérante, qui n'allègue pas avoir effectué des diligences auprès d'autres agences immobilières et n'a pas abaissé le prix de vente de son bien en dépit de l'absence de propositions sérieuses d'achat après plusieurs mois de commercialisation, n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'a pas trouvé d'acquéreur alors que le prix qu'elle a demandé pour sa cession correspond au prix du marché.
10. La société Foncière de la Muette Brochant fait enfin valoir que des locataires ont engagé, à deux reprises, des actions judiciaires pour obtenir l'annulation de la vente de l'immeuble à son profit par la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans Les Mines et que la seconde procédure était encore en cours lors de la saisine du tribunal. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que ces procédures aient empêché la contribuable de mettre en vente son bien, ni qu'elles aient rendu impossible la cession des logements vacants de l'immeuble, qui, en tout état de cause, étaient proposés à un prix ne correspondant pas au prix du marché. Ainsi, la société requérante, qui n'établit pas que la vacance de ses appartements aurait été indépendante de sa volonté au sens des dispositions précitées de l'article 232 du code général des impôts, n'est pas fondée à demander la décharge de la taxe sur les locaux vacants à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2015.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Foncière de la Muette Brochant n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Par suite, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Foncière de la Muette Brochant est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Foncière de la Muette Brochant et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris (pôle fiscal Parisien 1)
Délibéré après l'audience du 9 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme Poupineau, président assesseur,
- Mme Lescaut, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 mai 2019.
Le rapporteur,
V. POUPINEAULe président,
S.-L. FORMERY
Le greffier,
C. RENÉ-MINE
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA03481