Par un jugement n°2120336 du 29 octobre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé l'arrêté attaqué et a, d'autre part, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 26 novembre 2021, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n°2120336 du 29 octobre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter les conclusions de la demande présentées devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- c'est également à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
- les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. A..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Célérier, président-rapporteur ;
- les conclusions de Mme Mach, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant gabonais né le 1er janvier 1990, qui est entré irrégulièrement sur le territoire français, a été placé en détention au centre pénitentiaire de la Santé et a affirmé avoir sollicité l'asile en Italie. Après avoir été informé par le ministère de l'intérieur de ce que le relevé de ses empreintes avait révélé qu'il avait été signalé en tant que demandeur d'asile en Espagne, le 24 juin 2021 le préfet de police a saisi les autorités espagnoles d'une demande de reprise en charge de M. A... sur le fondement de l'article 18 du règlement (UE) n°604/2013.
Ces autorités ayant implicitement accepté de le reprendre en charge, le préfet de police a décidé le transfert de M. A... par un arrêté du 25 septembre 2021 dont M. A... a demandé l'annulation au tribunal administratif de Paris. Par sa requête, le préfet de police demande l'annulation du jugement du 29 octobre 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / (...) ".
3. Aux termes de l'article 20 du même règlement : " 1. Le processus de détermination de l'Etat membre responsable commence dès qu'une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d'un Etat membre. (...) 5. L'Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, et en vue d'achever le processus de détermination de l'Etat membre responsable de la demande de protection internationale, de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre Etat membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre Etat membre pendant le processus de détermination de l'Etat membre responsable. ".
4. L'article 24 de ce règlement ajoute : " 1. Lorsqu'un État membre sur le territoire duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), se trouve sans titre de séjour et auprès duquel aucune nouvelle demande de protection internationale n'a été introduite estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / (...) ".
5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que si un étranger en situation irrégulière sollicite, auprès des autorités d'un Etat membre, son admission au séjour au titre de l'asile, les autorités compétentes de cet Etat doivent mettre en œuvre les garanties prévues par l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 en vue de la détermination de l'Etat membre responsable. En revanche, si, à la suite d'une interpellation, un Etat membre constate sur son territoire la présence irrégulière d'une personne qui n'a introduit aucune demande d'asile sur son territoire mais qui a introduit une telle demande sur le territoire d'un autre Etat membre, il peut requérir l'Etat membre qu'il estime responsable aux fins de reprise en charge. Dans ce cas, l'Etat membre requérant, sur le territoire duquel aucune demande de protection internationale n'a été introduite, peut prendre un arrêté de transfert sans mettre en œuvre les garanties prévues par l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013, qui ne pèsent que sur l'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale a été introduite.
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier de première instance que la consultation du fichier Eurodac a permis de révéler que les empreintes de M. A... avaient bien été relevées en Espagne le 31 mars 2018. Le préfet de police a alors saisi les autorités espagnoles d'une demande de reprise en charge, qui a fait l'objet d'un accord implicite aux fins de reprise en charge le 16 juillet 2021, confirmé le même jour. Ainsi, dès lors que M. A... n'a jamais sollicité en France son admission au séjour au titre de l'asile, le préfet de police n'avait pas à faire précéder son arrêté de transfert des garanties prévues à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013, qui ne pèsent que sur l'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale a été introduite. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 25 septembre 2021 au motif qu'il avait été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 4 de ce règlement.
7. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... :
8. En premier lieu, par un arrêté n°2021-00861 du 24 août 2021, régulièrement publié le 25 août 2021 au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de police, le préfet de police a donné délégation à M. D... B..., attaché d'administration d'Etat, signataire de l'arrêté attaqué, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure la police des étrangers. Il en résulte que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté de transfert en litige ne peut qu'être écarté.
9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier de première instance que M. A... a été entendu par les services de la préfecture de police le 22 juin 2021 à 14 h 20 à l'établissement pénitentiaire de la Santé, entretien à l'occasion duquel il a pu faire part de sa situation personnelle et de ses conditions d'entrée en France. Au cours de cette audition, M. A... a été mis en mesure de présenter ses observations sur un éventuel retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de son droit d'être entendu doit être écarté.
10. En troisième lieu, l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 dispose : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...)".
11. Ainsi qu'il a été dit au point 6, il n'est pas établi ni même allégué que M. A... aurait déposé une demande d'asile en France. Dans ces conditions, les dispositions précitées de
l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013 susvisé, prévoyant l'organisation obligatoire d'un entretien individuel avec le demandeur d'une protection internationale afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable de sa demande et de vérifier que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4, n'étaient pas applicables à sa situation. M. A... ne peut, par suite, se prévaloir de la méconnaissance par le préfet de ces dispositions, alors qu'il avait déposé une demande d'asile en Espagne.
12. En quatrième lieu, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation n'est pas assorti des précisions nécessaires permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, il ne peut qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 25 septembre 2021.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°2120336 du 29 octobre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 18 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- M. Niollet, président assesseur,
- Mme Labetoulle, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 février 2022.
Le président-rapporteur,
T. CELERIERL'assesseur le plus ancien,
J.-C. NIOLLET
La greffière,
K. PETITLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA06026