Par une requête, enregistrée le 9 décembre 2017, la société ITAC, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 octobre 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 6 millions d'euros, 500 000 euros et 100 000 euros en réparation des préjudices mentionnés ci-dessus ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Elle soutient que si les premiers juges ont estimé à juste raison que l'Etat avait commis une faute lors de la procédure d'attribution du marché incriminé, c'est à tort qu'ils ont considéré que le lien de causalité entre cette faute et ses préjudices ainsi que l'existence même de ces préjudices n'étaient pas établis.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- à titre principal, la requête est irrecevable car elle se borne à reprendre les termes de la demande de première instance ;
- à titre subsidiaire, le jugement attaqué est irrégulier car, d'une part, il n'a pas tenu compte du mémoire en défense, d'autre part, il n'a pas visé la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;
- à titre infiniment subsidiaire, les moyens soulevés par la société ITAC ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 30 novembre 2018, la clôture d'instruction a été reportée au 18 décembre 2018 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pagès,
- et les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la garde des sceaux, ministre de la justice :
1. Le 27 août 2015, la Cour d'appel de Paris a lancé un marché public ayant pour objet " la gestion, l'exploitation et la maintenance des installations de télécommunications du conseil des prud'hommes de Paris ". Pour permettre aux candidats de présenter une offre, le dossier de consultation des entreprises comprenant l'acte d'engagement, un devis ainsi que les clauses techniques particulières de ce marché ont été mis en ligne sur le site de la Cour d'appel de Paris. Par un courrier du 8 septembre 2015, la société ITAC a saisi le service de l'administration régionale (SAR) du ressort de la Cour d'appel de Paris d'une demande tendant à ce que la procédure soit déclarée sans suite, car figuraient dans les documents mis en ligne, des données relevant d'un précédent marché, protégées par le secret industriel et commercial. Dans le doute et afin aussi de redéfinir la nature et l'étendue des prestations attendues, la Cour d'appel de Paris a retiré ces informations de son site, puis a déclaré sans suite le marché pour motif d'intérêt général. Par un courrier du 21 septembre 2015, la société ITAC a alors demandé, sans succès, au ministère de la justice l'indemnisation des préjudices qu'elle estimait avoir subis de ce fait. La société ITAC relève appel du jugement du 10 octobre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme globale de 6 600 000 euros en réparation des préjudices subis.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, la garde des sceaux, ministre de la justice, qui n'a pas intérêt à demander l'annulation d'un jugement dont le dispositif ne lui fait pas grief, n'a pas intérêt à soulever des moyens de nature à entraîner l'annulation de ce jugement. D'autre part, en tout état de cause ce jugement n'est pas entaché des deux irrégularités alléguées. En effet, premièrement, les premiers juges n'avaient aucune obligation de communiquer le mémoire en défense déposé après la clôture de l'instruction dans la mesure où il ne contenait aucun élément dont l'administration ne pouvait faire état avant cette clôture. Deuxièmement, le jugement attaqué comporte les visas des textes législatifs et réglementaires sur lesquels il se fonde et l'erreur qui est alléguée quant à la liste de ces textes est sans incidence sur la régularité du jugement.
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
3. Il résulte de l'instruction que lors de la mise en ligne sur le site de la Cour d'appel de Paris des informations nécessaires aux entreprises souhaitant faire acte de candidature au marché ayant pour objet " la gestion, l'exploitation et la maintenance des installations de télécommunications du conseil des prud'hommes de Paris ", ont été insérés, dans les documents contractuels, un devis élaboré par l'entreprise ITAC dans le cadre de l'exécution d'un autre marché public alors en cours avec l'UGAP, ainsi qu'un mémoire technique ou figuraient des informations relatives à la stratégie commerciale, aux procédés internes, aux délais d'exécution, ainsi que la description des matériels et logiciels utilisés par l'entreprise et susceptibles d'être utilisés dans le cadre de l'appel d'offre litigieux lancé par la Cour d'appel de Paris. Ces informations comprenaient des éléments couverts par le secret industriel et commercial, nonobstant la circonstance que les liens entre la société ITAC et d'autres sociétés soient de notoriété publique. Ainsi, c'est à juste raison que les premiers juges ont estimé que l'administration avait ainsi commis une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.
4. Toutefois la société requérante ne peut prétendre à l'indemnisation des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux qu'elle réclame qu'à la double condition d'une part d'établir qu'il existe un lien de causalité direct et certain entre la faute commise et les préjudices allégués, et d'autre part, de justifier ces derniers.
S'agissant du préjudice patrimonial :
5. Si l'Etat a décidé, à la demande de l'entreprise requérante et pour un motif tiré de l'intérêt général, de ne pas donner suite au marché public ayant pour objet " la gestion, l'exploitation et la maintenance des installations de télécommunications du conseil des prud'hommes de Paris ", cette circonstance ne permet pas, à elle seule, de démontrer que l'entreprise aurait subi une perte de chance de remporter ce marché si la procédure d'appel d'offres avait été maintenue ou si elle s'était déroulée dès le début sans incident. Par ailleurs, en se bornant à faire état de ce que la publication d'informations couvertes par le secret industriel et commercial lui a causé un préjudice qu'elle estime à 6 000 000 d'euros, la société ITAC ne peut être regardée comme établissant le lien de causalité direct entre la faute commise par l'administration et le préjudice réclamé. Les conclusions présentées par la société requérante et tendant à la réparation du préjudice patrimonial doivent dès lors être rejetées.
S'agissant du préjudice moral et d'image :
6. La société ITAC fait valoir que la divulgation d'informations couvertes par le secret industriel et commercial, ainsi que la diffusion du logo de l'entreprise l'aurait déstabilisée, aurait porté atteinte à son image et lui aurait causé un préjudice moral. Toutefois, elle n'établit ni l'existence d'un lien de causalité entre la faute commise par l'Etat et ce préjudice ni sa réalité. Dès lors, les conclusions tendant à ce que l'Etat soit condamné à réparer le préjudice d'image ainsi que le préjudice moral subi par la société requérante doivent également être rejetées.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société ITAC n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par, voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société ITAC est rejetée.
Article 2: Le présent arrêt sera notifié à la société ITAC et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 22 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 février 2019.
Le rapporteur,
D. PAGESLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
7
N° 17PA03752