Par un recours, enregistré le 28 mars 2018, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 février 2018 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de la société Middle East Airlines Air Liban ;
2°) de rejeter la demande de la société Middle East Airlines Air Liban devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le montant de l'amende litigieuse était disproportionné en tant qu'elle excède le montant de 2 500 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2018, la société Middle East Airlines Air Liban, représentée par MeA..., conclut, d'une part, au rejet du recours, d'autre part, par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'article 3 du jugement visé ci-dessus, à l'annulation de la décision du 7 juillet 2016 et à la décharge de l'obligation de payer la somme de 2 500 euros. Elle demande, en outre, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen soulevé par le ministre de l'intérieur n'est pas fondé ;
- la décision attaquée est entachée d'une irrégularité de procédure dès lors que le procès-verbal n'a pas été adressé à la compagnie par les services de la police aux frontières et qu'elle a été privée de la possibilité de formuler toute observation adéquate en temps utile, le passager ayant continué son voyage ;
- elle est entachée d'erreur de fait, l'administration n'apportant pas la preuve de l'absence de visa aéroportuaire en l'absence de copie complète du document de voyage du passager.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 26 septembre 2018, le ministre de l'intérieur maintient ses conclusions et conclut au rejet des conclusions incidentes de la société Middle East Airlines Air Liban.
Il reprend son moyen et soutient, en outre, que les moyens soulevés par la société Middle East Airlines Air Liban ne sont pas fondés.
Par un mémoire en duplique, enregistré le 27 novembre 2018, la société Middle East Airlines Air Liban maintient ses conclusions.
Elle reprend ses précédents moyens.
Par une ordonnance du 28 novembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 28 décembre 2018 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la décision du Conseil constitutionnel n° 92-307 DC du 25 février 1992 ;
- le règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes ;
- le règlement n° 810/2009 UE du 13 juillet 2009 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- l'arrêté du 10 mai 2010 relatif aux documents et visas exigés pour l'entrée des étrangers sur le territoire européen de la France ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pagès,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour la société Middle East Airlines Air Liban.
Considérant ce qui suit :
1. La société Middle East Airlines Air Liban a débarqué le 11 août 2015 à 5h45 à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle un passager en provenance de Beyrouth, en transit vers Port Harcourt, au Nigéria. Le 23 mai 2016, le ministre de l'intérieur a fait savoir à la société Middle East Airlines Air Liban qu'il envisageait de lui appliquer une sanction au titre de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 7 juillet 2016, il lui a infligé une amende de 5 000 euros. La société Middle East Airlines Air Liban a alors saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de cette décision du 7 juillet 2016 et à la décharge de l'obligation de payer la somme correspondante, outre des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un jugement du 6 février 2018, le Tribunal administratif de Paris, d'une part, a annulé la décision mentionnée ci-dessus du 7 juillet 2016 en tant qu'elle excède le quantum de 2 500 euros et a déchargé la société Middle East Airlines Air Liban de la somme de 2 500 euros, d'autre part a mis à la charge de l'Etat une somme de 750 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, enfin, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de la société Middle East Airlines Air Liban. Cette dernière conclut au rejet du recours et, par la voie de l'appel incident, conclut à l'annulation de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.
Sur le principe de l'amende :
2. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues.". Aux termes de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicable à la date des faits ayant fondé la sanction : " Est punie d'une amende d'un montant maximum de 5 000 Euros l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un autre Etat, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité. / Est punie de la même amende l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque, dans le cadre du transit, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne et démuni du document de voyage ou du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable compte tenu de sa nationalité et de sa destination.". Aux termes de l'article L. 625-5 du même code : " Les amendes prévues aux articles L. 625-1, L. 625-3 et L. 625-4 ne sont pas infligées : (...) 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste.".
3. Il résulte tant de ces dispositions, adoptées en vue de donner leur plein effet aux stipulations de l'article 26 de la convention de Schengen, signée le 19 juin 1990, que de l'interprétation qu'en a donné le Conseil constitutionnel dans sa décision visée ci-dessus du 25 février 1992, qu'elles font obligation aux transporteurs aériens de s'assurer, au moment des formalités d'embarquement, que les voyageurs ressortissants d'Etats non membres de l'Union européenne sont en possession de documents de voyage, le cas échéant, revêtus des visas exigés par les textes, non falsifiés et valides. Si ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de conférer au transporteur un pouvoir de police aux lieu et place de la puissance publique, elles lui imposent de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas des éléments d'irrégularité manifeste, décelables par un examen normalement attentif des agents de l'entreprise de transport. En l'absence d'une telle vérification, le transporteur encourt l'amende administrative prévue par l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende sur le fondement des dispositions citées ci-dessus du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de statuer sur le bien-fondé de la décision contestée et, le cas échéant, d'annuler ou de réduire le montant de l'amende infligée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
En ce qui concerne la procédure :
5. Aux termes des dispositions de l'article R. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le procès-verbal mentionné au premier alinéa de l'article L. 625-2 est signé : 1° Par le chef du service de la police nationale chargé du contrôle aux frontières ou un fonctionnaire désigné par lui, titulaire au moins du grade de brigadier ; 2° Par le chef du service des douanes chargé du contrôle aux frontières ou un fonctionnaire désigné par lui, titulaire au moins du grade d'agent de constatation principal de 2e classe ; 3° Ou par le commandant de l'unité de gendarmerie territorialement compétente ou un militaire désigné par lui, titulaire au moins du grade de gendarme. / Ce procès-verbal est transmis au ministre chargé de l'immigration. Il comporte le nom de l'entreprise de transport, les références du vol ou du voyage concerné et l'identité des passagers au titre desquels la responsabilité de l'entreprise de transport est susceptible d'être engagée, en précisant, pour chacun d'eux, le motif du refus d'admission. Il comporte également, le cas échéant, les observations de l'entreprise de transport. Copie du procès-verbal est remise à son représentant, qui en accuse réception ". La procédure contradictoire organisée par ces dispositions impose que l'entreprise de transport, au vu du procès-verbal qui lui est remis, soit mise à même de présenter utilement des observations sur les faits constatés par ce procès-verbal avant que le ministre chargé de l'immigration ne décide de lui notifier le projet de sanction puis, pendant le mois suivant sa notification, sur ce projet. Ainsi, cette procédure constitue une formalité substantielle dont la méconnaissance entache d'illégalité l'amende infligée sur le fondement de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En l'espèce, la société Middle East Airlines Air Liban soutient que la procédure en cause serait irrégulière dès lors que le procès-verbal qui a été établi le 11 août 2015 ne lui a été transmis que le 18 août 2015, sans avoir été présenté à l'un de ses représentants. Elle estime avoir ainsi été privée de la possibilité de faire valoir utilement ses observations, le passager étant reparti. Toutefois, d'une part, il ne résulte pas des dispositions citées au point 5 que l'administration serait tenue d'inviter un représentant de l'entreprise de transport à lire et signer le procès-verbal au moment de son établissement. D'autre part, il résulte de l'instruction que la société Middle East Airlines Air Liban a eu communication de ce procès-verbal quelques jours après les faits, accompagné des documents de voyage du passager en cause dans le présent litige ainsi que du projet de sanction et a pu consulter son dossier le 20 juin 2016 avant que soit prise la décision critiquée. Elle a ainsi été mise à même de formuler ses observations dans le cadre de la procédure contradictoire engagée par le ministre de l'intérieur. Le moyen doit donc être écarté.
En ce qui concerne la matérialité des faits :
7. Il résulte des dispositions du règlement n° 810/2009 du 13 juillet 2009, notamment de son annexe IV, des dispositions des articles L. 211-1 et R. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que de l'annexe D de l'arrêté du 10 mai 2010 relatif aux documents et visas exigés pour l'entrée des étrangers sur le territoire européen de la France, que les titulaires d'un document de voyage pour réfugiés palestiniens sont au nombre des étrangers soumis au visa de transit aéroportuaire par la France.
8. En l'espèce, il résulte de l'instruction, notamment de la notification de la décision de maintien en zone d'attente des étrangers en transit interrompu délivrée au passager en cause et du procès-verbal établi par les services de la police aux frontières, que le passager débarqué par la compagnie Middle East Airlines Air Liban réfugié palestinien, a présenté à l'arrivée à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle un document de voyage dépourvu de visa de transit aéroportuaire. Ces faits ont été relevés par le brigadier de police qui a contrôlé son document de voyage et consignés au procès-verbal et la seule circonstance que la photocopie du document de voyage adressée à la société Middle East Airlines Air Liban ne comporterait pas certaines pages est insuffisante, à cet égard, pour remettre en cause la matérialité de ces faits constatés par le brigadier de police et par voie de conséquence la réalité de l'infraction. Le moyen tiré de l'erreur de fait doit donc être écarté.
Sur le montant de l'amende :
9. En l'espèce, eu égard, aux obligations qui pèsent sur les transporteurs aériens en application des dispositions mentionnées aux point 2 et 3, au caractère aisément décelable de l'irrégularité relevée, et à la circonstance que le voyageur était ressortissant d'un pays figurant sur la liste des " pays à risque migratoire ou sécuritaire" en France, en infligeant une amende de 5 000 euros, quand bien même elle atteint le montant maximum prévu par les textes, le ministre de l'intérieur n'a pas pris une sanction disproportionnée. Il est donc fondé à soutenir que c'est tort que les premiers juges ont accueilli le moyen tiré du caractère disproportionné de l'amende pour la réduire à la somme de 2 500 euros.
10. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, d'une part, d'annuler les articles 1 et 2 du jugement attaqué, et, d'autre part, de rejeter l'appel incident de la société Middle East Airlines Air Liban.
Sur les conclusions de la société Middle East Airlines Air Liban tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. L'Etat n'étant pas, dans la présente instance, la partie perdante, les dispositions mentionnées ci-dessus font obstacle à ce qu'une somme soit mise à sa charge au titre des frais exposés par la société Middle East Airlines Air Liban et non compris dans les dépens. Les conclusions susvisées doivent donc être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1 et 2 du jugement n° 1619185/3-3 du 6 février 2018 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande de la société Middle East Airlines Air Liban devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la société Middle East Airlines Air Liban à fin d'appel incident et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à la société Middle East Airlines Air Liban.
Délibéré après l'audience du 19 février 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 mars 2019.
Le rapporteur,
D. PAGESLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01053