Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 juin 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 21 mai 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a fait droit au moyen tiré d'un vice de procédure en retenant qu'il ne serait pas établi qu'un avis aurait été émis par le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;
- les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 août 2019, M. A..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête, et à ce que le versement d'une somme de 1 000 euros soit mis à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant bangladais, né le 20 février 1985, entré en France le 21 octobre 2013 selon ses déclarations, a sollicité le 18 septembre 2017 auprès de la préfecture de la Seine-Saint-Denis la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement du 11°) de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 21 janvier 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Le préfet de la Seine-Saint-Denis fait appel du jugement du 21 mai 2019 par lequel le tribunal administratif a annulé cet arrêté.
S'agissant de la requête du préfet de la Seine-Saint-Denis :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre ". Aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / Les orientations générales mentionnées à la quatrième phrase du 11° de l'article L. 313-11 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé ".
3. Il ressort des pièces produites pour la première fois en appel que, contrairement à ce qu'a retenu le jugement du tribunal administratif du 21 mai 2019, l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 21 janvier 2019 a été pris à la suite d'un avis émis par le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) le 8 juin 2018. Le préfet de la Seine-Saint-Denis est donc fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur ce motif pour annuler son arrêté.
4. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif et en appel.
S'agissant des autres moyens soulevés par M. A... :
Sur la décision de refus de titre de séjour :
5. En premier lieu, si M. A... conteste la compétence du préfet de la Seine-Saint-Denis, en soutenant qu'il ne réside plus dans le département de la Seine-Saint-Denis, et qu'il en avait informé le préfet, avant de présenter une nouvelle demande de titre de séjour, le 18 janvier 2019, auprès des services de la préfecture de police de Paris, il ne produit aucune pièce pour établir qu'il avait informé le préfet de la Seine-Saint-Denis, de son changement d'adresse.
6. En deuxième lieu, l'arrêté en litige comporte l'énoncé de l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Ainsi, même s'il ne fait pas mention de la situation professionnelle de M. A..., de son intégration, de son changement d'adresse et de la demande de titre de séjour qu'il a déposée auprès des services de la préfecture de police, il est suffisamment motivé.
7. En troisième lieu, même si l'arrêté en litige ne fait pas mention de la nouvelle demande de titre de séjour que M. A... a déposée auprès des services de la préfecture de police et ne se prononce pas sur cette nouvelle demande, il ne ressort pas de la motivation de cet arrêté qu'il n'aurait pas été précédé d'un examen complet de sa demande déposée auprès du préfet de la Seine-Saint-Denis.
8. En quatrième lieu, si M. A... invoque le droit d'être entendu, qui relève des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne et consacrés par la Charte des droits fondamentaux, il ne conteste pas avoir été entendu par un agent de la préfecture de la Seine-Saint-Denis le 3 avril 2018, avant que n'intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour.
9. En cinquième lieu, aux termes de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. Le médecin de l'office peut solliciter, le cas échéant, le médecin qui suit habituellement le demandeur ou le médecin praticien hospitalier. Il en informe le demandeur. Il peut également convoquer le demandeur pour l'examiner et faire procéder aux examens estimés nécessaires. (...) Il transmet son rapport médical au collège de médecins (...) ".
10. Le respect du secret médical s'oppose à la communication à l'autorité administrative du rapport du médecin de l'OFII, dont les dispositions citées ci-dessus de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoient la transmission qu'au seul collège des médecins de l'OFII. M. A... ne saurait donc se plaindre de l'absence de production de ce rapport par le préfet devant la Cour. Il ne saurait davantage se fonder sur la discordance entre la date de la délibération du collège, mentionnée sur le bordereau de transmission de l'avis par l'OFII à la préfecture, c'est-à-dire le 11 mai 2018, et la date de l'avis, c'est-à-dire le 8 juin 2018, pour contester l'existence de la délibération du collège des médecins de l'OFII.
11. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... présente une lésion du nerf médian droit au niveau de la face antérieure du poignet droit, avec un syndrome canalaire, selon lui à la suite de violences subies au Bangladesh en janvier 2013, ainsi qu'un névrome (tumeur sous-cutanée du tissu nerveux) provoquant des douleurs et une perte de force et de sensibilité de la main droite. Il ressort par ailleurs de l'avis du collège des médecins de l'OFII que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Les certificats médicaux émanant principalement du praticien qui assure son suivi, qui font état du risque de douleurs neurogènes invalidantes et de paralysie du poignet et de la main droite, et les divers autres comptes-rendus de consultation et ordonnances médicales qu'il produit, sont insuffisamment circonstanciés pour remettre en cause cet avis du collège des médecins de l'OFII. Son asthme et le traitement qu'il nécessite ne sont pas davantage de nature à remettre en cause cet avis.
12. En septième lieu, M. A... qui a saisi le préfet de la Seine-Saint-Denis d'une demande de titre de séjour sur le fondement du 11°) de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne saurait utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 du même code sur le fondement desquelles il a présenté une nouvelle demande de titre de séjour, le 18 janvier 2019, auprès des services de la préfecture de police de Paris.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
14. Si M. A... fait valoir qu'il est entré en France en 2013, et se prévaut de son intégration en France, de sa situation d'employé polyvalent de la restauration en CDI à temps complet depuis 2018, de sa maitrise de la langue française, de son respect de ses obligations fiscales et de la circonstance qu'il n'a jamais troublé l'ordre public, il ressort des pièces du dossier qu'il est célibataire et sans enfant à charge, et ne soutient pas être dépourvu de toute attache familiale dans son pays où résident ses parents et ses frères et soeurs et où il a lui-même vécu jusqu'à l'âge de vingt-huit ans. L'arrêté en litige ne peut, dans ces conditions, être regardé comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, en méconnaissance des stipulations citées ci-dessus, ou comme reposant sur une appréciation manifestement erronée de sa situation.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
15. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, M. A... n'est pas fondé à invoquer à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français, les dispositions des articles L. 313-11, L. 313-14 et L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et à soutenir que cette mesure reposerait sur une erreur manifeste d'appréciation.
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
16. En premier lieu, il ressort des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il incombe à l'autorité qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer les éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
17. En relevant que M. A... s'est soustrait à une précédente mesure d'éloignement prononcée par le préfet des Hauts-de-Seine le 20 janvier 2017 et qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'était pas tenu de faire état de l'absence de menace pour l'ordre public, a suffisamment exposé les éléments de fait de sa situation.
18. En deuxième lieu, M. A... ne fait valoir aucun élément de nature à remettre en cause les motifs de fait, rappelés ci-dessus, de l'interdiction de retour sur le territoire français.
19. En troisième lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 11, 13 et 14 ci-dessus, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'interdiction de retour sur le territoire français méconnaitrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou reposerait sur une erreur manifeste d'appréciation de sa situation.
20. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 21 janvier 2019 et a fait droit aux conclusions de M. A... à fin d'injonction.
Sur les conclusions de M. A... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1903506/1-2 du Tribunal administratif de Paris du 21 mai 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris et ses conclusions devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... A....
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. C..., président assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.
Le rapporteur,
J-C. C...
Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
A-L. CHICHKOVSKY PASSUELLO
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA002006