Par une requête enregistrée le 2 octobre 2015, la Brasserie de Tahiti, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française du 31 juillet 2015 ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Teva I Uta une somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'article 1er de l'arrêté attaqué qui interdit la vente "d'alcool" est insuffisamment précis ;
- l'article 2 du même arrêté contrevient au principe de sécurité juridique et porte une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie, alors surtout qu'il s'agit d'une interdiction présentant un caractère permanent, sur tout le territoire de la commune ;
- l'arrêté attaqué est d'autant moins justifié que la commune connait moins d'actes de délinquance liés à l'alcool que le reste du territoire de la Polynésie et qu'il n'existe ainsi aucune circonstance particulière justifiant l'interdiction litigieuse.
La requête a été communiquée à la commune de Teva I Uta, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 30 juin 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 août 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la délibération n° 59-53 du 4 septembre 1959 réglementant le commerce des boissons ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Labetoulle,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.
1. Considérant que par un premier arrêté du 5 août 2013 le maire de la commune de Teva I Uta avait interdit la vente à emporter d'alcool sur la totalité du territoire de cette commune ; que cet arrêté a été annulé par jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française du 3 juin 2014 ; que le maire de la commune de Teva I Uta a pris un nouvel arrêté en date du 4 août 2014, par lequel il a interdit la vente à emporter d'alcool avant 8 heures et après 19 heures du lundi au samedi, ainsi que les dimanches et jours fériés toute la journée, ainsi que la vente de boissons alcooliques réfrigérées, sur l'ensemble du territoire de la commune ; que la société Brasserie de Tahiti relève appel du jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française du 31 juillet 2015 rejetant sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;
Sur le bien-fondé du jugement :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête ;
2. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, applicables en vertu de l'article L. 2573-18 du même code aux communes de la Polynésie française, que le maire est chargé, sous le contrôle administratif du Haut-commissaire de la République en Polynésie française, de la police municipale qui a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ; qu'aux termes de l'article 2 de la délibération n° 59-53 du 4 septembre 1959 réglementant le commerce des boissons : "Pour l'application du présent texte, les boissons sont réparties en trois groupes./ 1 - Boissons alcooliques - Tous liquides titrant plus de 14° d'alcool, qu'il s'agisse de boissons fermentées ou distillées./ 2 - Boissons d'alimentation - "Toutes boissons titrant de 2° à 14° d'alcool inclusivement, notamment vins blancs ou rouges provenant exclusivement de la fermentation du jus de raisin frais, vins de champagne, et vins mousseux naturels, cidre, poiré, bières, etc..." / 3 - Boissons hygiéniques -Toutes boissons titrant moins de 2° d'alcool, notamment : limonades, eaux gazeuses naturelles ou artificielles, sirops, jus de fruits ou de légumes, sorbets, café, thé, chocolat, infusions, etc..." ;
3. Considérant que, s'il incombe au maire en vertu des dispositions susmentionnées de prendre les mesures qu'exige le maintien de l'ordre public, il doit concilier l'exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté du commerce et de l'industrie ; que le respect de la liberté d'entreprendre implique, notamment, que les personnes publiques n'apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ; qu'une mesure de police administrative entravant l'exercice d'une liberté fondamentale ne peut être légalement prise que si elle est strictement nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi ;
4. Considérant que si l'article 1er de l'arrêté attaqué interdit "la vente à emporter d'alcool" sans reprendre la typologie contenue à l'article 2 précité de la délibération du 4 septembre 1959, cet article, qui n'était pas tenu de reprendre cette typologie ne peut, eu égard notamment à son objet, qu'être regardé comme s'appliquant à toutes les boissons alcoolisées à emporter, quelle que soit leur teneur en alcool ; que le moyen tiré du caractère insuffisamment précis de cet article ne peut dès lors qu'être écarté ;
5. Considérant que, par la décision attaquée, le maire de Teva I Uta a interdit la vente à emporter d'alcool avant 8 heures et après 19 heures du lundi au samedi, ainsi que les dimanches et jours fériés toute la journée sur l'ensemble du territoire de la commune, ainsi que la vente de boissons alcoolisées réfrigérées à emporter ; que cette interdiction, qui ne porte d'une part que sur les boissons alcoolisées réfrigérées à emporter et, d'autre part, s'agissant de la vente d'alcool à emporter, que sur une tranche horaire déterminée et limitée, dont la requérante ne conteste d'ailleurs pas le bien-fondé, ne présente pas dès lors le caractère d'une interdiction générale et absolue ;
6. Considérant que la décision litigieuse est motivée par les risques d'atteinte à la sécurité publique et à l'ordre public causés par la consommation d'alcool ; qu'il ressort en effet des pièces versées au dossier que la consommation excessive d'alcool est à l'origine de nombreux actes d'incivilité et d'un climat d'insécurité pour le voisinage, et est susceptible d'accroître notablement le nombre d'accidents de la circulation ; que si la requérante fait valoir que la commune de Teva I Uta ne serait pas caractérisée par l'existence de troubles particuliers à l'ordre public, cette circonstance, à la supposer établie malgré les coupures de presse produites devant les premiers juges, s'expliquerait en tout état de cause par le fait, non sérieusement contesté par la requérante, qu'aucun commerce ne s'était jusqu'ici livré à la vente de boissons alcoolisées à emporter sur le territoire de la commune depuis plusieurs décennies ; qu'au demeurant ces coupures de presse suffisent à établir la réalité, sur le territoire des communes de Polynésie française des risques importants d'accidents de la circulation et d'agression et autres troubles à l'ordre public susceptibles de résulter, dans chacune des communes de ce territoire, de la consommation excessive d'alcool ; que la circonstance que de telles situations ou risques se produiraient dans d'autres communes du territoire ne fait pas par elle-même obstacle à ce que le maire de la commune de Teva I Uta prenne pour ce motif une mesure de police ; que la décision du maire de Teva I Uta est ainsi motivée par un objectif d'intérêt général visant à prévenir les troubles à l'ordre public sus-indiqués en empêchant la vente de boissons alcoolisées réfrigérées par les magasins, lesquels ne sont pas soumis aux règles restrictives imposées aux débitants de boissons quant à la délivrance de boissons alcoolisées à des personnes en état d'ébriété ; que dans ces conditions, la mesure de police contestée qui ne présente pas le caractère d'une interdiction générale et absolue, apparait strictement nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif d'intérêt général poursuivi par la commune de Teva I Uta ; que par suite, le maire de Teva I Uta n'a pas porté une atteinte illégale ni à la liberté du commerce et de l'industrie ni au principe de sécurité juridique ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Brasserie de Tahiti n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté n° 28-14 du 4 août 2014 du maire de la commune de Teva I Uta ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Teva I Uta qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la Brasserie de Tahiti demande sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Brasserie de Tahiti est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Brasserie de Tahiti et au maire de la commune de Teva I Uta.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2017, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet président assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 mars 2017.
Le rapporteur,
M-I. LABETOULLE
Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 15PA03725