Procédure devant la Cour :
Par un recours, enregistré le 5 décembre 2017, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Air France devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- la passagère à l'origine du litige a été re-routée avant son débarquement sur le territoire national ; la compagnie était, dès lors, en infraction au regard de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la compagnie n'établit pas que le re-routage effectué, qui impliquait une entrée sur le territoire Schengen, ait eu lieu postérieurement au débarquement de la passagère.
Par un mémoire enregistré le 16 novembre 2018, la société Air France, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 ;
- le règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement Européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;
- l'arrêté du 10 mai 2010 relatif aux documents et visas exigés pour l'entrée des étrangers sur le territoire européen de la France ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- et les conclusions de Mme Jayer, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 3 mai 2016, le ministre de l'intérieur a infligé à la société Air France, sur le fondement de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 5 000 euros pour avoir, le 19 mai 2015, débarqué sur le territoire français une personne de nationalité libanaise, en provenance de New-York, démunie de visa valable, alors que le trajet effectif de celle-ci, dont la destination finale était Beyrouth, impliquait, selon le ministre, via une liaison Paris-Rome, une entrée dans l'espace Schengen et, en conséquence, la détention d'un visa Schengen. Le ministre relève appel du jugement du Tribunal administratif de Paris du 3 octobre 2017 prononçant la décharge de cette amende.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues ". Par ailleurs, selon l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un Etat avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 euros. Toutefois, en vertu du 2° de l'article L. 625-5, l'amende n'est pas infligée lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste.
3. Ces dispositions imposent à l'entreprise de transport de vérifier que l'étranger est muni des documents de voyage et des visas éventuellement requis et que ceux-ci ne comportent pas d'irrégularité manifeste, décelable par un examen normalement attentif de ses agents.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur (...) ". L'article 1er du règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 susvisé dispose que les ressortissants des pays tiers figurant sur la liste de l'annexe I doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des Etats membres, à l'exclusion du transit aéroportuaire. Le Liban fait partie des pays figurant sur la liste de cette annexe.
5. Il résulte de l'instruction que Mme B., de nationalité libanaise, a débarqué à l'aéroport de Roissy le 19 mai 2015 à 8 heures 21 du vol n° AF0017 en provenance de New-York, munie d'un passeport libanais qui l'autorisait, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, à atterrir pour escale à Paris-Charles de Gaulle. Sa billetterie initiale comportait, après ce premier vol, une continuation le même jour sur un vol direct n° AF 0566 à destination de Beyrouth (Liban). Toutefois, l'intéressée ayant manqué ce vol direct prévu à 9 heures, et s'étant présentée à 12 heures 10 à l'embarquement d'un vol n° AZ0333 à destination de Rome, lequel devait être suivi d'un deuxième vol à destination de Beyrouth, a fait l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire national, au motif d'un défaut de visa. Sur la base de ce refus d'entrée, le ministre de l'intérieur, estimant que la société Air France aurait dû, avant de laisser embarquer la passagère sur un vol de continuation intra-Schengen, exiger d'elle la présentation d'un visa Schengen valide, a infligé à la compagnie une amende de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il résulte toutefois de l'instruction que le procès-verbal du 19 mai 2015 à 16 heures 13, qui se borne à faire état de ce que Mme B. a débarqué à Paris-Charles-de-Gaulle le même jour à 8 heures 21 et n'a pas été admise à l'entrée sur le territoire français au motif d'un défaut de visa, n'est pas de nature à démontrer, contrairement à ce que soutient l'administration, que la société Air France aurait procédé au re-routage de l'intéressée avant son débarquement à Paris-Charles-de-Gaulle et, en conséquence, que la billetterie de celle-ci nécessitait, dès son embarquement à New-York, la présentation d'un visa Schengen. Par suite, le ministre n'établit pas que la société Air France aurait débarqué Mme B. dans des conditions de nature à constituer l'infraction prévue à l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge du paiement de l'amende de 5 000 euros mis à la charge de la société Air France par la décision du 3 mai 2016.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, la somme de 1 500 euros à verser à la société Air France au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Air France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à la société Air France.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2019 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller,
Lu en audience publique le 1er avril 2019.
Le rapporteur,
P. MANTZ
Le président,
M. HEERS Le greffier,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA03694