Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2015, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par MmeD....
Le préfet de police soutient que :
- l'arrêté du 5 août 2014 n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, l'ensemble des éléments de la situation de Mme D...ne constitue pas des circonstances très particulières ;
- s'agissant des autres moyens soulevés en première instance, il s'en rapporte à ses écritures devant le tribunal administratif de Paris.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2016, MmeD..., représenté par Me Saligari, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de police ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme D...soutient qu'eu égard aux relations de confiance et d'affection qu'elle entretient avec ses employeurs, sa situation revêt un caractère particulier et exceptionnel qui justifie la censure de son refus de séjour sur le terrain de l'erreur manifeste d'appréciation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté du 18 janvier 2008 relatif à la délivrance, sans opposabilité de la situation de l'emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d'un Etat membres de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
-le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Boissy,
- et les observations de MeB..., substituant Me Saligari, avocat de MmeD....
1. Considérant que MmeD..., de nationalité marocaine, entrée en France, selon ses déclarations, en octobre 2011 munie d'un permis de résidence longue durée délivré par l'Italie, a présenté, le 12 juillet 2012, une demande de carte de séjour temporaire sur le fondement du 5° de l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de
l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 modifié ; que, par un arrêté du
5 août 2014, le préfet de police a rejeté sa demande ; que, par un jugement du 19 mai 2015, dont le préfet de police relève appel, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté du
5 août 2014 et enjoint au préfet de police de délivrer à Mme D...un titre de séjour l'autorisant à travailler ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Considérant que Mme D...fait valoir que titulaire, depuis novembre 2011, d'un contrat de travail en qualité d'auxiliaire de vie auprès de la société Amelis Domicile Services, elle est affectée, depuis cette date, auprès de M. et MmeC..., un couple de personnes âgées ; que si elle soutient qu'elle s'est efforcée d'apprendre le néerlandais afin de pouvoir communiquer avec Mme C...dont la maladie d'Alzheimer l'amène à oublier la langue française et à s'exprimer essentiellement en néerlandais, sa langue natale, les attestations rédigées par les proches de Mme C...ne sauraient suffire à établir que MmeD..., du fait de ses notions en néerlandais, serait la seule personne susceptible d'assister Mme C...dans les actes de la vie quotidienne, alors que cette dernière qui vit avec son époux a, par ailleurs, une fille retraitée vivant à proximité de son domicile ; que, dès lors, le préfet de police n'a pas, dans les circonstances particulières de l'espèce, commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de délivrer une carte de séjour à MmeD... ; que le préfet de police est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont annulé l'arrêté en litige pour ce motif ;
3. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D...tant en première instance qu'en appel ;
En ce qui concerne les autres moyens :
S'agissant du moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision du
27 mai 2014 par laquelle le préfet de Paris, préfet de la région Ile-de-France a refusé de délivrer à Mme D...une autorisation de travail :
4. Considérant qu'aux termes de l'arrêté du 18 janvier 2008 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l'emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse : " La situation de l'emploi ou l'absence de recherche préalable de candidats déjà présents sur le marché du travail n'est pas opposable à une demande d'autorisation de travail présentée pour un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse souhaitant exercer une activité professionnelle dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement et figurant sur la liste annexée au présent arrêté " ; qu'aux termes de l'article R. 5221-20 du code du travail : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : 1° La situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée, compte tenu des spécificités requises pour le poste de travail considéré, et les recherches déjà accomplies par l'employeur auprès des organismes de placement concourant au service public du placement pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ; (...) " ;
5. Considérant, d'une part, que si Mme D...fait valoir que le préfet de Paris n'a pas recherché si le métier d'auxiliaire de vie était un métier en tension, il ressort toutefois des termes mêmes de la décision en litige que le préfet a indiqué que cette profession ne faisait pas partie des métiers prévus par l'arrêté du 18 janvier 2008 pour lesquels la situation de l'emploi n'est pas opposable ; que, par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté ;
6. Considérant, d'autre part, que Mme D...soutient qu'elle a noué une relation de confiance avec le couple de personnes âgées auprès de qui elle travaille et qu'elle a notamment appris le néerlandais afin de pouvoir communiquer avec Mme C...que la maladie d'Alzheimer amène à s'exprimer essentiellement en néerlandais ; que, toutefois, à supposer même que le poste de Mme D...puisse être regardé comme présentant une spécificité particulière, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'employeur de Mme D...aurait entrepris des recherches préalables auprès de Pôle emploi pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ni que cette recherche aurait porté sur un candidat sachant parler le néerlandais ; que Mme D...n'étant pas directement employée par ce couple, elle n'avait, en tout état de cause, aucune garantie de continuer à être affectée auprès de lui ; que, par suite,
Mme D...n'est pas fondée à soutenir que le préfet de Paris aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant l'autorisation de travail sollicitée ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'exception d'illégalité invoquée par Mme D...doit être écartée ;
S'agissant des autres moyens :
8. Considérant, en premier lieu, que la décision refusant à Mme D...le droit de séjourner en France mentionne les dispositions du 5° de l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 modifié au titre desquelles elle a sollicité son admission au séjour, et indique les raisons pour lesquelles un refus a été opposé à sa demande ; que si le
préfet de police s'est borné, pour refuser à Mme D...la carte de séjour temporaire qu'elle a sollicitée, à se référer à la décision " référencée 204933/2014 du 28 mai 2014 " prise par la DDIRECTE, il ressort toutefois des pièces du dossier que cette dernière décision, qui était elle-même suffisamment motivée, a bien été communiquée à l'intéressée ; que cette décision comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit dès lors être écarté ;
9. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police aurait apprécié le droit de Mme D...à obtenir un titre de séjour sans procéder à un examen particulier de sa situation ou se serait, à tort, cru lié par l'avis de la DDIRECTE ;
10 Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger titulaire de la carte de résident de longue durée-CE définie par les dispositions communautaires applicables en cette matière et accordée dans un autre Etat membre de l'Union européenne qui justifie de ressources stables et suffisantes pour subvenir à ses besoins et, le cas échéant, à ceux de sa famille ainsi que d'une assurance maladie obtient, sous réserve qu'il en fasse la demande dans les trois mois qui suivent son entrée en France et sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée : (...) 5° Une carte de séjour temporaire portant la mention de l'activité professionnelle pour laquelle il a obtenu l'autorisation préalable requise, dans les conditions définies, selon le cas, aux 1°, 2° ou 3° de l'article L. 313-10. (...) " ;
11. Considérant que Mme D...n'ayant pas obtenu d'autorisation de travail, elle ne remplissait donc pas l'une des conditions lui permettant d'obtenir un titre de séjour sur le fondement du 5° de l'article L. 313-4-1 précité ; que, dès lors, et quel que soit par ailleurs le niveau de ressources dont elle disposait, le préfet de police était fondé à lui refuser de lui délivrer la carte de séjour temporaire pour ce motif ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 5 août 2014 et l'a enjoint de délivrer une carte de séjour à Mme D...et à demander l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande de MmeD... ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que demande Mme D...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1422283 du 19 mai 2015 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme D...devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Driencourt, président de chambre,
- Mme Mosser, président assesseur,
- M. Boissy, premier conseiller.
Lu en audience publique le 10 juin 2016.
Le rapporteur,
L. BOISSYLe président,
L. DRIENCOURTLe greffier,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA02846 3