Par un jugement n° 1400415 du 10 mars 2015 le Tribunal administratif de la Polynésie française a condamné le centre hospitalier de la Polynésie française à verser la somme de 9 535 800 F CFP à M. B...sous déduction de toutes sommes versées à titre de provision et rejeté le surplus de ses conclusions, à verser la somme de 330 983 F CFP avec intérêts au taux légal à compter du 8 décembre 2014 à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française en remboursement de ses débours, a mis les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 150 000 F CFP à la charge définitive du centre hospitalier de la Polynésie française et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la Cour :
Par une requête introductive d'instance et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 9 juin 2015 et le 23 juillet 2015, le centre hospitalier de la Polynésie française, représenté par Me Le Prado, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1400415 du 10 mars 2015 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) de réduire les indemnités allouées à M. B...et à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.
Il soutient que :
- le jugement du Tribunal administratif de la Polynésie française est insuffisamment motivé au regard des conclusions dont il était saisi ;
- c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que la faute du centre hospitalier était à l'origine d'une perte de chance d'obtenir l'amélioration de l'état initial de 95 % ;
- la perte de revenus professionnels n'est pas liée à la faute commise lors de l'opération, les douleurs éprouvées par M. B...étant dues exclusivement à sa pathologie initiale ;
- la cessation d'activité de M. B...est également dépourvue de lien avec la faute du centre hospitalier de la Polynésie française ;
- à titre subsidiaire, l'évaluation des préjudices subis est excessive : notamment l'estimation des pertes de revenus, le fait de retenir une incidence professionnelle et l'évaluation des débours de la caisse de prévoyance sociale en lien avec la faute du centre hospitalier ;
- les frais d'hospitalisation pour la période du 12 au 18 août sont justifiés par la pathologie initiale de M. B...et n'ont donc pas à être mis à la charge du centre hospitalier.
Par un arrêt n° 15PA02282 en date du 30 décembre 2016, la Cour a ramenée à 1 919 000 F CFP, dont il convient de déduire les sommes versées à titre de provisions, la somme que le centre hospitalier de la Polynésie française a été condamné à verser à M. B...et a réformé le jugement n° 1400415 du 10 mars 2015 du Tribunal administratif de la Polynésie française en ce qu'il avait de contraire à cet arrêt.
Par la décision n° 409390 du 18 juillet 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté pour M.B..., a annulé l'arrêt de la Cour n° 15PA02282 en date du 30 décembre 2016 en tant, d'une part, qu'il statue sur l'indemnisation des préjudices professionnels de M.B..., d'autre part, qu'il fixe l'indemnité due au titre du déficit fonctionnel temporaire, du déficit fonctionnel permanent et des honoraires versés à un médecin ayant assisté l'intéressé au cours des opérations d'expertise et, enfin, qu'il déduit une somme de 90 000 francs CFP de l'indemnisation allouée, et a renvoyé l'affaire devant la Cour dans la limite de la cassation énoncée ci-dessus.
Par un nouveau mémoire, enregistré le 8 novembre 2018, le centre hospitalier de la Polynésie française conclut aux mêmes fins que sa requête par les moyens que :
- la faute n'a pas fait perdre au patient une chance de guérison puisque l'intervention litigieuse, certes inutile, n'a pas causé de dommage, ni n'a aggravé l'état de santé de l'intéressé, qui pourrait être amélioré par une nouvelle intervention ;
- les préjudices réparables sont ceux liés au caractère inutile de l'intervention ;
- l'indemnisation des dépenses de santé a été décidée par l'arrêt du 30 décembre 2016, qui n'a pas été remis en cause par le Conseil d'Etat ;
- il n'existe pas de perte de revenus en l'espèce ;
- la mise à la retraite de l'intéressé est exclusivement imputable à sa pathologie initiale et, en toute hypothèse, le préjudice invoqué ne présente pas de caractère certain ;
- aucune indemnité n'est due au titre de l'incidence professionnelle ;
- l'indemnité de 50 000 F CFP allouée par le tribunal administratif à M. B...au titre du déficit fonctionnel temporaire total doit être confirmée ;
- le déficit fonctionnel permanent ne présente pas de caractère certain dès lors que M. B... peut subir une nouvelle intervention qui serait à même de résoudre ses cervicalgies, et qu'en toute hypothèse l'indemnité allouée ne saurait excéder celle fixée par l'arrêt du 30 décembre 2016 (1 500 000 F CFP) ;
- la somme de 90 000 F CFP devait bien être déduite de l'indemnisation allouée ; la présence d'un médecin conseil n'est pas obligatoire ; en toute hypothèse il appartient à M. B...d'apporter la preuve des honoraires qu'il aurait versés à son médecin conseil.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, ensemble la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française,
- le code de la santé publique,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Luben,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier de la Polynésie française.
Considérant ce qui suit :
1. M. A...B..., né le 1er décembre 1955, qui présentait une névralgie cervico-brachiale invalidante due à une hernie discale située entre les vertèbres C6 et C7, pour laquelle les analyses avaient établi à plusieurs reprises l'existence d'un bloc congénital C2-C3, a subi, le 13 août 2008, au centre hospitalier de la Polynésie française, une discectomie avec mise en place d'une cage inter-somatique. Les contrôles réalisés postérieurement à l'opération ont révélé que l'intervention avait été pratiquée par erreur à un niveau en dessous de ce qui avait été prévu, soit entre les vertèbres C7 et T1. Cette erreur de la part du chirurgien est constitutive d'une faute que le centre hospitalier de Polynésie française a admise. Par un jugement du 10 mars 2015, le Tribunal administratif de la Polynésie française, saisi par l'intéressé, a condamné le centre hospitalier de la Polynésie française à lui verser une indemnité de 9 535 800 F CFP.
Sur l'évaluation des préjudices contestés :
2. Lorsqu'une intervention destinée à remédier à un handicap échoue parce qu'elle a été conduite dans des conditions fautives, le patient peut prétendre à une indemnisation réparant, outre les troubles liés à l'intervention inutile et ses éventuelles conséquences dommageables, les préjudices résultant de la persistance de son handicap, dans la limite de la perte de chance de guérison qu'il a subie, laquelle doit être évaluée en fonction de la probabilité du succès d'une intervention correctement réalisée. La circonstance qu'une intervention réparatrice demeure possible ne fait pas obstacle à l'indemnisation, dès lors que l'intéressé n'est pas tenu de subir une telle intervention, mais justifie seulement qu'elle soit limitée aux préjudices déjà subis à la date du jugement, à l'exclusion des préjudices futurs, qui ne peuvent pas être regardés comme certains à cette date et pourront seulement, le cas échéant, faire l'objet de demandes ultérieures.
3. Il n'est pas contesté que l'intervention fautive réalisée le 13 août 2008 au centre hospitalier de la Polynésie française, consistant en une discectomie avec mise en place d'une cage inter-somatique pratiquée par erreur entre les vertèbres C7 et T1, a entraîné pour M.B..., compte tenu des chances de succès d'une intervention réalisée correctement, une perte de chance, évaluée à 95 %, de guérir de sa hernie discale ou au moins d'obtenir une amélioration de son état de santé.
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
S'agissant des pertes de revenus professionnels :
4. Il résulte de l'instruction que M.B..., professeur des écoles du corps de l'Etat créé pour la Polynésie française, directeur d'un établissement d'éducation spécialisée, aurait pu reprendre son activité professionnelle en novembre 2008, après une période d'incapacité temporaire totale et d'incapacité temporaire partielle liées à sa convalescence, si l'intervention chirurgicale du 13 août 2008 avait réussi. Il a été placé en congé de maladie et a perçu un demi traitement pour la période allant du 24 avril 2008 au 31 janvier 2010. Il demande une indemnité de 5 020 199 F CFP correspondant à la moitié de son traitement sur cette période. Toutefois, comme l'ont à bon droit estimé les premiers juges, la période antérieure au 1er novembre 2008, qui correspond d'une part au congé de maladie du fait de son affection initiale (une hernie cervicale), et d'autre part aux suites normales et prévisibles de l'intervention chirurgicale du 13 août 2008, n'est pas en lien avec la faute commise par le centre hospitalier de la Polynésie française. Par suite, il y a lieu de fixer à 3 514 000 F CFP les pertes de revenus indemnisables sur la période allant du 1er novembre 2008 au 31 janvier 2010.
S'agissant de l'incidence professionnelle :
5. Il résulte de l'instruction que M.B..., du fait de sa hernie cervicale qui n'avait pas pu être traitée lors de l'intervention chirurgicale du 13 août 2008, a fait valoir prématurément, à l'âge de cinquante cinq ans, ses droits à la retraite à compter du 1er septembre 2011, alors qu'il soutient que si l'opération avait réussi, il aurait continué à travailler jusqu'à l'âge de soixante ans, eu égard à la circonstance qu'il devait supporter seul des charges familiales importantes ainsi que le remboursement de plusieurs prêts bancaires. M.B..., au 1er septembre 2011, était au 11ème échelon, indice brut 801, indice nouveau majoré 658. Il est vraisemblable que, s'il avait pu travailler jusqu'à l'âge de soixante ans, comme il en avait l'intention, il aurait pu accéder à la hors classe de son corps ; l'échec de l'intervention chirurgicale du 13 août 2008 lui a donc fait perdre une chance sérieuse d'avancement, qui de surcroît a une incidence sur le montant de sa pension de retraite. Par suite, eu égard à sa carrière écourtée et à la répercussion sur sa pension de retraite, il sera fait une juste indemnisation de ces préjudices en ramenant à 3 300 000 F CFP la somme de 4 000 000 F CFP que les premiers juges avaient allouée à ce titre.
Sur les sommes que le centre hospitalier de la Polynésie française devra verser à M. B... :
6. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de la Polynésie française devra verser à M. B...d'une part les sommes de 70 000 F CFP au titre des honoraires du médecin conseil, de 50 000 F CFP au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 400 000 F CFP au titre des souffrances endurées et de 600 000 F CFP au titre du déficit fonctionnel permanent pour la part due à la perte de la mobilité du rachis due à l'intervention chirurgicale fautive, ces préjudices étant tout entiers en lien direct avec la faute commise, soit une somme totale, pour ces préjudices, de 1 120 000 F CFP, et d'autre part les sommes de 3 514 000 F CFP au titre de la perte de revenus professionnels, de 3 300 000 F CFP au titre de l'incidence professionnelle et de la répercussion sur le montant de la pension de retraite et de 900 000 F CFP au titre du déficit fonctionnel permanent pour la part due au trouble persistant de l'humeur et à un état psychique douloureux, ces derniers préjudices, d'un total de 7 714 000 F CFP, correspondant à la perte de chance d'amélioration de l'état de santé de M. B...estimée, comme il a été dit ci-dessus, à un taux de 95 % soit, après application de ce pourcentage, une indemnité de 7 328 300 F CFP. Par suite, le centre hospitalier de la Polynésie française devra verser à M. B...une somme totale de 8 448 300 F CFP, de laquelle il convient de déduire la somme de 2 000 000 F CFP versée à titre de provision par l'ordonnance du 21 mai 2013 du juge des référés du Tribunal administratif de la Polynésie française.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier de la Polynésie française est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 10 mars 2015, le Tribunal administratif de la Polynésie française l'a condamné à verser à M. B...la somme de 9 535 800 F CFP, sous déduction de toutes sommes versées à titre de provision.
Sur les frais liés à l'instance :
8. D'une part, en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance ; dès lors, les conclusions présentées à ce titre par M. B...doivent être rejetées.
9. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de la Polynésie française, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 9 535 800 F CFP que le centre hospitalier de la Polynésie française a été condamné à verser à M. B...est ramenée à 8 448 300 F CFP, dont il convient de déduire la somme de 2 000 000 F CFP versée à titre de provision en application de l'ordonnance du 21 mai 2013 du juge des référés du Tribunal administratif de la Polynésie française.
Article 2 : Le jugement n° 1400415 du 10 mars 2015 du Tribunal administratif de la Polynésie française est reformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. B...et par la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de la Polynésie française, à M. A... B...et à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française.
Copie en sera adressée à la Mutuelle générale de l'éducation nationale.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme Guilloteau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 décembre 2018.
Le rapporteur,
I. LUBENLe président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA02472