Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 3 décembre 2018, Mme B..., assistée de l'Union départementale des associations familiales (UDAF) de la Dordogne, en sa qualité de curateur, demande à la Cour :
1°) d'annuler la décision du 20 septembre 2018 de la commission départementale d'aide sociale en tant qu'elle a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 27 décembre 2017 du président du conseil départemental de la Dordogne refusant d'admettre M. B..., son mari, à l'aide sociale à l'hébergement pour personnes âgées pour la période du 15 mai 2017 au 12 novembre 2017, date de son décès ;
2°) d'annuler la décision du 27 décembre 2017 du président du conseil départemental de la Dordogne refusant d'accorder à M. B... l'aide sociale pour la période du 15 mai 2017 au 12 novembre 2017 ;
3°) de prononcer la prise en charge des frais d'hébergement au titre de l'aide sociale de M. B... pour la période du 15 mai 2017 au 12 novembre 2017, date de son décès.
Elle soutient que :
- les ressources mensuelles de M. B... sont insuffisantes pour lui permettre de s'acquitter de ses frais d'hébergement au sein de l'EHPAD dans lequel il réside ;
- le président du conseil départemental de la Dordogne ne peut refuser d'accorder l'aide sociale en se fondant sur le motif tiré de ce que les obligés alimentaires de M. B... n'ont pas fait état de leur situation financière dès lors que la carence de ces derniers n'est pas de nature à remettre en cause le droit à l'aide sociale de l'intéressé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2019, le président du conseil départemental de la Dordogne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que malgré les demandes qui leur ont été adressées en septembre et novembre 2017, les obligés alimentaires de M. B... ont refusé de communiquer aux services du département les informations relatives à leur situation financière ; ce refus faisait obstacle à l'admission de l'intéressé à l'aide sociale ; dans ces conditions, il appartenait au demandeur et à l'UDAF de saisir le juge aux affaires familiales afin de fixer la participation des obligés alimentaires aux frais d'hébergement de M. B....
Par un courrier du 1er septembre 2020, les parties ont été informées que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que la composition de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne qui a rendu la décision attaquée du 20 septembre 2018 était irrégulière en ce qu'elle était seulement composée du président, qui exerçait les fonctions de rapporteur, et d'une secrétaire non rapporteur en méconnaissance des dispositions de l'article L. 134-6 du code de l'action sociale et des familles en vigueur à la date de cette décision.
Par une ordonnance en date du 3 décembre 2019, le président de la chambre sociale de la Cour d'appel de Bordeaux a transmis le jugement de la requête de Mme B..., assistée de l'Union départementale des associations familiales de la Dordogne en sa qualité de curateur, à la Cour administrative d'appel de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;
- le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né en 1938, placé sous la tutelle de l'Union départementale des Associations familiales (UDAF) de la Dordogne par un jugement du 20 décembre 2016 du juge des tutelles du tribunal d'instance de Périgueux, était hébergé au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) résidence de la Dronne à Brantôme-en-Périgord depuis le 13 octobre 2016. Le 15 mai 2017, l'UDAF a sollicité du département de la Dordogne la prise en charge par l'aide sociale des frais d'hébergement de M. B... à compter du 13 octobre 2016. Par une décision du 27 décembre 2017, le président du conseil départemental de la Dordogne a rejeté la demande d'aide sociale pour la période du 13 octobre 2016 au 14 mai 2017 au motif que cette " demande n'avait pas été déposée dans les délais réglementaires ". Par une décision du même jour, il a également refusé d'accorder à M. B... l'aide sociale pour la période du 15 mai 2017 au 12 novembre 2017, date de son décès, au motif que les éléments relatifs à la situation financière des obligés alimentaires de l'intéressé n'ayant pas été communiqués, le demandeur n'établissait pas son état de besoin. Par une décision du 20 septembre 2018, la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne a rejeté la demande de Mme B..., épouse du demandeur, assistée de l'UDAF en sa qualité de curateur, tendant à l'annulation des décisions du 27 décembre 2017 du président du conseil départemental de la Dordogne. Mme B..., assistée de l'UDAF, relève appel de cette décision en tant qu'elle a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 27 décembre 2017 du président du conseil départemental de la Dordogne refusant d'admettre son mari à l'aide sociale à l'hébergement pour personnes âgées pour la période du 15 mai 2017 au 12 novembre 2017, date de son décès.
Sur la régularité de la décision de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne :
2. Aux termes de l'article L. 134-6 du code de l'action sociale et des familles applicable à la date de la décision du 20 septembre 2018 de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne : " La commission départementale est présidée par le président du tribunal de grande instance du chef-lieu ou le magistrat désigné par lui pour le remplacer. En cas d'égal partage des voix, le président a voix prépondérante. Un commissaire du Gouvernement désigné par le préfet prononce ses conclusions sur les affaires que lui confie le président. Il n'a pas voix délibérative. Les fonctions de rapporteur sont assurées par le secrétaire de la commission. Il peut lui être adjoint un ou plusieurs rapporteurs. Le secrétaire et les rapporteurs sont nommés par le président de la commission parmi les personnes figurant sur une liste établie conjointement par le président du conseil départemental, ou, en Corse, le président du conseil exécutif et le préfet. Ils ont voix délibérative sur les affaires qu'ils rapportent. (...) ".
3. Il ressort des mentions de la décision attaquée de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne que cette commission était seulement composée du président et rapporteur, et de la secrétaire. Or les dispositions de l'article L. 134-6 du code de l'action sociale et des familles ne permettent pas au président de siéger comme rapporteur d'une commission composée de lui-même, avec voix prépondérante, et du secrétaire de la commission. Ainsi, la composition de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne ayant rendu la décision attaquée était irrégulière. Par suite, il y a lieu d'annuler cette décision et d'évoquer la demande.
Sur le bien-fondé de la demande d'aide sociale pour la période du 13 octobre 2016 au 14 mai 2017 :
4. Aux termes de l'article L. 113-1 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne âgée de soixante-cinq ans privée de ressources suffisantes peut bénéficier, soit d'une aide à domicile, soit d'un accueil chez des particuliers ou dans un établissement. (.... Aux termes de l'article L. 131-1 du même code : " Sous réserve de l'article L. 252-1, les demandes d'admission au bénéfice de l'aide sociale, à l'exception de celles concernant l'aide sociale à l'enfance, sont déposées au centre communal ou intercommunal d'action sociale ou, à défaut, à la mairie de résidence de l'intéressé. Les demandes donnent lieu à l'établissement d'un dossier par les soins du centre communal ou intercommunal d'action sociale. Celui-ci peut utiliser à cet effet des visiteurs-enquêteurs. Les demandes sont ensuite transmises, dans le mois de leur dépôt, au représentant de l'Etat ou au président du conseil départemental qui les instruit avec l'avis du centre communal ou intercommunal d'action sociale ou, à défaut, du maire et celui du conseil municipal, lorsque le maire ou le centre communal ou intercommunal d'action sociale a demandé la consultation de cette assemblée. ". Aux termes de l'article L. 131-4 du même code : " Les décisions attribuant une aide sous la forme d'une prise en charge de frais d'hébergement peuvent prendre effet à compter de la date d'entrée dans l'établissement à condition que l'aide ait été demandée dans un délai fixé par voie réglementaire. ". Aux termes de l'article R. 131-2 du même code : " Sauf dispositions contraires, les demandes tendant à obtenir le bénéfice de l'aide sociale prévue aux titres III et IV du livre II prennent effet au premier jour de la quinzaine suivant la date à laquelle elles ont été présentées. Toutefois, pour la prise en charge des frais d'hébergement des personnes accueillies dans un établissement social ou médico-social, habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale ou dans un établissement de santé dispensant des soins de longue durée, la décision d'attribution de l'aide sociale peut prendre effet à compter du jour d'entrée dans l'établissement si la demande a été déposée dans les deux mois qui suivent ce jour. Ce délai peut être prolongé une fois, dans la limite de deux mois, par le président du conseil départemental ou le préfet. Le jour d'entrée mentionné au deuxième alinéa s'entend, pour les pensionnaires payants, du jour où l'intéressé, faute de ressources suffisantes, n'est plus en mesure de s'acquitter de ses frais de séjour. ".
5. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 131-2 du code de l'action sociale et des familles que pour bénéficier d'une prise en charge à compter du 13 octobre 2016, date d'entrée de M. B... au sein de l'EHPAD résidence de la Dronne, le dossier de demande d'aide sociale aurait dû être déposé en mairie ou auprès du centre communal d'action sociale au plus tard le 14 décembre 2016. Il résulte de l'instruction qu'à cette date, l'UDAF n'avait pas encore été désigné comme tuteur de M. B... et que l'état de santé de ce dernier ne lui permettait pas de présenter seul sa demande d'aide sociale. Toutefois, le président du conseil départemental pouvait user de la faculté de proroger le délai de dépôt de deux mois qui aurait alors expiré le 14 février 2017. Or, à cette date, l'UDAF, qui avait été désigné tuteur de M. B... par un jugement du 20 décembre 2016, n'avait toujours pas déposé la demande d'aide sociale de l'intéressé qui n'a été présentée que le 15 mai 2017. Dans ces conditions, compte tenu du dépôt tardif de la demande, le président du conseil départemental de la Dordogne pouvait légalement refuser d'admettre M. B... à l'aide sociale à l'hébergement pour personnes âgées pour la période allant du 13 octobre 2016 au 14 mai 2017. Par suite, les conclusions tendant à l'annulation de la décision du conseil départemental de la Dordogne refusant d'accorder à M. B... l'aide sociale pour la période du 13 octobre 2016 au 14 mai 2017 doivent être rejetées.
Sur le bien-fondé de la demande d'aide sociale pour la période du 15 mai 2017 au 12 novembre 2017, date du décès de M. B... :
6. Aux termes de l'article 205 du code civil : " Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin ". L'article 208 du même code précise que : " Les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit ". Aux termes de l'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes tenues à l'obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil sont, à l'occasion de toute demande d'aide sociale, invitées à indiquer l'aide qu'elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais. / (...) / (...) / La proportion de l'aide consentie par les collectivités publiques est fixée en tenant compte du montant de la participation éventuelle des personnes restant tenues à l'obligation alimentaire. La décision peut être révisée sur production par le bénéficiaire de l'aide sociale d'une décision judiciaire rejetant sa demande d'aliments ou limitant l'obligation alimentaire à une somme inférieure à celle qui avait été envisagée par l'organisme d'admission. La décision fait également l'objet d'une révision lorsque les débiteurs d'aliments ont été condamnés à verser des arrérages supérieurs à ceux qu'elle avait prévus. ". Et aux termes de l'article L. 132-7 du même code : " En cas de carence de l'intéressé, le représentant de l'Etat ou le président du conseil général peut demander en son lieu et place à l'autorité judiciaire la fixation de la dette alimentaire et le versement de son montant, selon le cas, à l'Etat ou au département qui le reverse au bénéficiaire, augmenté le cas échéant de la quote-part d'aide sociale ".
7. D'une part, en rejetant la demande d'aide sociale au motif que la situation des obligés alimentaires de M. B... n'avait pas pu être précisée, le président du conseil départemental de la Dordogne a méconnu la combinaison des dispositions ci-dessus rappelées des articles L. 132-6 et L. 132-7 du code de l'action sociale et des familles. Ainsi, en application de ces dispositions, il appartenait au département de fixer la contribution des obligés alimentaires aux frais d'hébergement de l'intéressé pour vérifier si leur participation, ajoutée aux ressources propres de ce dernier, permet de couvrir ses frais d'hébergement. En application de ces mêmes dispositions il appartenait également au département, en cas de carence de l'intéressé à saisir l'autorité judiciaire malgré la défaillance d'un ou de plusieurs de ses obligés alimentaires à faire connaître le montant de l'aide qu'il peut lui allouer, de saisir lui-même l'autorité judiciaire en son lieu et place, pour obtenir la fixation de leur dette alimentaire et l'obligation au versement de son montant. En effet le département, à la différence du postulant à l'aide alimentaire, est en mesure de s'assurer qu'il récupèrera les sommes qu'il avancerait, le cas échéant, à tout ou partie d'éventuels obligés alimentaires défaillants, par le biais de la prise en charge provisoire de sommes dues par eux à compter de la date d'effet de la décision de l'autorité judiciaire leur enjoignant de procéder au paiement de la dette alimentaire, en émettant au besoin un titre exécutoire à leur encontre sous le contrôle du juge judiciaire. Le département de la Dordogne n'est dès lors pas fondé à soutenir que l'UDAF de la Dordogne, en s'abstenant de saisir elle-même le juge judiciaire, l'aurait contraint à rejeter la demande d'aide sociale.
8. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction et n'est d'ailleurs pas allégué que l'autorité judiciaire aurait assigné aux obligés alimentaires de M. B... le montant et la date d'exigibilité de leur participation aux frais d'hébergement de l'intéressé, ni même qu'elle aurait été saisie à cette fin. Or les frais d'hébergement de M. B..., qui s'élevaient à 1 757,81 euros par mois, n'étaient pas couverts par ses ressources propres, lesquelles s'élèvent à 1 139,23 euros après déduction de la quote-part de 10 % devant être laissée à sa disposition en vertu de l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles. Il suit de là que son état de besoin pour régler ses frais d'hébergement est établi.
9. Par suite, Mme B..., assistée de l'UDAF de la Dordogne en sa qualité de curateur, est fondée à soutenir que son mari M. B... devait être admis à l'aide sociale à l'hébergement pour la période allant du 15 mai 2017 au 12 novembre 2017, date de son décès, et à demander pour ce motif l'annulation de la décision du 27 décembre 2017 du conseil départemental de la Dordogne.
10. Il y a lieu de renvoyer Mme B..., assistée de l'UDAF de la Dordogne en sa qualité de curateur, devant le président du conseil départemental de la Dordogne afin qu'il procède à la détermination du déficit constaté entre les ressources perçues par M. B..., diminuées de la quote-part de 10 % fixée à l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles ainsi que des dépenses mises à sa charge par la loi et exclusives de tout choix de gestion, par rapport aux frais de son hébergement au sein de l'EHPAD résidence de la Dronne à Brantôme-en-Périgord pour la période comprise entre le 15 mai 2017 et le 12 novembre 2017, date du décès de M. B..., et au paiement des sommes ainsi calculées.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision du 20 septembre 2018 de la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne, ainsi que la décision du 27 décembre 2017 du président du conseil départemental de la Dordogne refusant d'accorder à M. B... l'aide sociale pour la période du 15 mai 2017 au 12 novembre 2017, sont annulées.
Article 2 : M. B... est admis à l'aide sociale pour la prise en charge de ses frais d'hébergement pour la période comprise entre le 15 mai 2017 et le 12 novembre 2017. Mme B..., assistée de l'union départementale des associations familiales de la Dordogne en sa qualité de curateur, est renvoyée devant le président du conseil départemental de la Dordogne afin qu'il procède à la détermination et au paiement des sommes dues à ce titre.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par Mme B..., assistée de l'UDAF en sa qualité de curateur, devant la commission départementale d'aide sociale de la Dordogne est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à l'Union départementale des associations familiales de la Dordogne, au département de la Dordogne et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie pour information sera adressée à l'EHPAD Résidence de la Dronne de Brantome.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme D..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.
Le rapporteur,
V. D...Le président,
H. VINOT
Le greffier,
C. POVSE La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA00216