Par jugement n° 1805345/5-2 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a condamné la ville de Paris à verser à M. E... la somme de 57 252,50 euros, somme dont doit être déduite la provision de 30 000 euros déjà versée.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, un mémoire et des pièces, enregistrés les 29 juillet 2019 et les 31 juillet, 3 août et 17 décembre 2020, M. E..., représenté par Me A..., demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) de confirmer le jugement n°1805345/5-2 du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Paris s'agissant de la reconnaissance de l'engagement de la responsabilité de la ville de Paris pour défaut d'entretien normal de la chaussée et de la somme de 18 000 euros qui lui a été allouée au titre du déficit fonctionnel permanent ;
2°) de réformer le jugement n°1805345/5-2 du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Paris en portant les sommes qui lui ont été allouées au titre des autres préjudices à des sommes supérieures ou en reconnaissant les préjudices qui ont été écartés comme fondés et en lui accordant une indemnisation à ce titre ;
3°) de lui allouer sur ces sommes les intérêts de droit à compter de la date de réception de la demande préalable, soit à compter du 17 octobre 2017 ainsi que la capitalisation des intérêts échus à compter du mois d'octobre 2018 ;
4°) de rejeter les demandes de la ville de Paris ;
5°) de mettre la somme de 3 500 euros à la charge de la ville de Paris en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
6°) de mettre les dépens à la charge de la ville de Paris.
Il soutient que :
- la responsabilité de la ville de Paris est engagée pour défaut d'entretien normal de la chaussée du fait de l'accident du 18 août 2017 ;
- les préjudices subis du fait de ce défaut d'entretien normal doivent être évalués à 647,10 euros au titre des dépenses de santé restées à charge, 1 232,90 euros au titre des frais divers, à 28 000 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels, à 7 140 euros au titre de la tierce personne avant la consolidation, à titre principal, à 34 348,20 euros au titre de la tierce personne post-consolidation ou à titre subsidiaire, la somme de 31 934,12 euros au titre de la tierce personne post-consolidation, à 35 179,20 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs ou à titre subsidiaire, à 34 230 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs, à 70 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, à 4 980,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, à 7 000 euros au titre des souffrances endurées et à 9 000 euros au titre du préjudice d'agrément et au maintien de la somme de 18 000 euros qui lui a été attribuée au titre du déficit fonctionnel permanent ;
- l'indemnisation de la tierce personne après consolidation et des pertes de gain professionnel futurs doit lui être allouée sous forme de capital compte tenu, d'une part, du taux de revalorisation des rentes qui ne suit pas le coût de la vie et, d'autre part, s'agissant de la tierce personne de l'évaluation qui a été retenue de ce besoin d'aide humaine correspondant à une heure par semaine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juillet 2020, la ville de Paris, représentée par Me C..., demande à la Cour de rejeter la requête de M. E... et de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les sommes allouées par les premiers juges doivent être maintenues.
Par ordonnance du 15 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 août 2020 à midi.
Un mémoire a été produit pour la ville de Paris le 17 août 2020 à 12h50, soit après la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 1716138 du 14 mars 2018 par laquelle le juge des référés a condamné la ville de Paris à verser à M. E... une provision de 30 000 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris une somme de 2 229,78 euros ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Le 19 août 2014, alors qu'il circulait en scooter dans le 20ème arrondissement de Paris, M. E... a été victime d'un accident provoqué par un trou dans la chaussée. Ayant reconnu sa responsabilité dans la réalisation du dommage, la ville de Paris a proposé, par courrier du 1er août 2017, à M. E... une indemnisation de ses préjudices à hauteur de 52 304,34 euros en se fondant sur les conclusions de l'expertise amiable du 20 avril 2016. M. E... a refusé cette proposition et a formé une demande indemnitaire préalable le 17 octobre 2017, reçue le lendemain, qui a été implicitement rejetée par la ville de Paris. Il a ensuite formé un recours contentieux devant le tribunal administratif de Paris tenant à la condamnation, à titre principal, de la ville de Paris à lui verser la somme de 214 901,87 euros en réparation des préjudices subis. Par jugement n° 1805345/5-2 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Paris a condamné la ville de Paris à verser à M. E... la somme de 57 252,50 euros, en précisant que devait être déduit de cette somme le montant de la provision de 30 000 euros déjà perçue par l'intéressé en application de l'ordonnance n° 1716138 du 14 mars 2018 du juge des référés du même tribunal. M. E... relève appel de ce jugement en tant que les sommes qui lui ont été allouées excepté au titre du déficit fonctionnel permanent sont insuffisantes et les parties ne contestent pas le principe de l'engagement de la responsabilité de la ville de Paris pour défaut d'entretien normal de la voie publique ayant entrainé l'accident dont il a été victime le 19 août 2014 qui a été reconnu par les premiers juges.
Sur les préjudices :
2. Il résulte de l'instruction que la chute de M. E... a provoqué une fracture du trochiter gauche ainsi qu'une fissure au niveau du pied gauche puis une algodystrophie qui est à l'origine de vives douleurs au niveau du membre supérieur gauche. La date de consolidation de son état a été fixée au 12 avril 2016 par le rapport d'expertise.
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
S'agissant des préjudices temporaires :
Quant aux dépenses de santé actuelles :
3. Dès lors que M. E... n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau ou déterminant au soutien de ses prétentions concernant les dépenses de santé actuelles qu'il a exposées, il y a lieu de maintenir la somme de 83,60 euros allouée par les premiers juges et d'écarter l'indemnisation de ses frais d'optique par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
Quant aux frais divers :
4. Dès lors que M. E... n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau ou déterminant au soutien de ses prétentions concernant les frais divers qu'il a exposés, il y a lieu de maintenir la somme de 168,90 euros allouée par les premiers juges s'agissant de ses frais de taxi et la réparation de son téléphone portable et d'écarter l'indemnisation de son alliance et de ses vêtements par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
Quant aux frais d'assistance par tierce personne :
5. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. E... a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne non spécialisée à raison de deux heures par jour entre le 19 août et le 19 octobre 2014, d'une heure par jour entre le 20 octobre et le 31 décembre 2014, de trois heures par semaine entre le 1er janvier 2015 et le 27 juillet 2015 et de deux heures par semaine du 28 juillet 2015 jusqu'au 12 avril 2016, date de la consolidation de son état de santé. Ainsi pour la période du 19 août 2014 jusqu'au 12 avril 2016, en retenant pour base de calcul un tarif horaire qui fera l'objet d'une juste évaluation à 18 euros sur une durée annuelle de 365 jours, il sera alloué de ce chef de préjudice à l'intéressé, lequel établit n'avoir perçu aucune aide à ce titre et notamment pas la prestation de compensation du handicap, la somme de 6 433,38 euros et le jugement du tribunal administratif sera réformé en ce sens.
Quant aux pertes de gains professionnels :
6. Comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, le caractère certain du préjudice lié à la perte de revenus en qualité d'auto-entrepreneur mandataire de la société Neguev pour des missions d'attaché commercial, avec laquelle il avait signé un contrat à durée indéterminée le 15 juillet 2014 alors qu'il était sans activité professionnelle depuis le mois de janvier 2013, n'est pas établi. En revanche, il résulte de l'instruction que M. E... établit l'existence d'une perte de chance sérieuse de gains professionnels liée à la proposition de recrutement qu'il n'a pu honorer, qui faisait suite à sa présentation le 7 juillet 2014 dans les bureaux de la société Enea dans le cadre de sa recherche d'emploi en qualité de commercial, et qui lui a été faite par cette société le 27 octobre 2014 pour un poste à pourvoir à compter du mois de novembre avec un salaire mensuel d'environ 2 000 euros net. Il lui sera alloué à ce titre pour la période du 1er novembre 2014 jusqu'au 31 décembre 2014, date de fin de la période d'arrêt de travail mentionnée dans le rapport d'expertise comme étant en lien direct avec l'accident la somme de 4 000 euros. Ensuite, pour la période suivante du 1er janvier 2015 jusqu'au 12 avril 2016, il résulte de l'instruction que si l'expert a considéré qu'il était apte à reprendre une activité professionnelle, M. E... établit avoir été placé en arrêt de travail pour maladie par son médecin traitant suite à la fracture de son épaule gauche survenue lors de l'accident dont il a été victime et étant à l'origine de douleurs constantes. Par suite, dès lors qu'il n'a eu aucune activité professionnelle pendant cette période d'arrêt de travail qui doit ainsi être regardée comme étant également en lien direct avec l'accident dont a été victime M. E..., ce dernier peut prétendre au bénéfice de la somme de 24 000 euros. La somme allouée par les premiers juges au titre de ce chef de préjudice est donc portée à la somme totale demandée par M. E... de 28 000 euros et le jugement devra être réformé sur ce point.
S'agissant des préjudices permanents :
Quant aux frais d'assistance par tierce personne :
7. Il résulte de l'instruction et notamment des conclusions définitives du rapport d'expertise modifiées le 12 mai 2016 que l'état de santé de M. E... nécessite une aide humaine viagère à raison d'une heure par semaine après la date de consolidation. M. E..., né en 1961, étant âgé de 60 ans à la date de lecture du présent arrêt, il y a lieu de porter la somme allouée par les premiers juges à ce titre à 19 307 euros.
Quant à la perte de gains professionnels et à l'incidence professionnelle :
8. D'une part, s'agissant de la période du 13 avril 2016 jusqu'au 20 juillet 2016, veille de la date de sa reprise effective d'activité professionnelle, M. E... établit, comme indiqué au point 6 du présent arrêt, avoir été placé en arrêt de travail pour maladie par son médecin traitant suite à la fracture de son épaule gauche survenue lors de l'accident dont il a été victime et étant à l'origine de douleurs constantes empêchant toute reprise d'une activité professionnelle, il peut prétendre au bénéfice de la somme de 7 000 euros et le jugement devra être réformé sur ce point. En revanche, à compter du 21 juillet 2016, si M. E... soutient qu'il a dû accepter un emploi en qualité de responsable de boutique ne correspondant pas à ses prétentions salariales, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que ce préjudice ne présentait pas de lien direct avec l'accident provoqué par le défaut d'entretien normal de la chaussée, dès lors qu'il résulte de l'instruction que le rapport d'expertise n'a relevé aucune contre-indication à la reprise de son activité professionnelle et que la société Enea, avec laquelle il devait signer un contrat de travail, l'avait invité à renouveler sa candidature lorsqu'il serait rétabli. Aucune indemnisation ne peut donc lui être allouée au titre de la perte de gains professionnels à compter du 21 juillet 2016 et le jugement contesté doit être maintenu sur ce point.
9. D'autre part, s'agissant de l'incidence professionnelle, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de la limitation fonctionnelle de l'épaule gauche dont souffre M. E... et qui lui occasionne une gêne limitant ses possibilités de déplacement de longue durée en voiture en lui allouant à ce titre la somme de 4 000 euros qui doit donc être maintenue.
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :
S'agissant des préjudices temporaires :
Quant au déficit fonctionnel temporaire :
10. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. E... a souffert d'une incapacité partielle de 50 % entre le 19 août et le 19 octobre 2014 puis d'une incapacité partielle de 25 % entre le 20 octobre 2014 et la date de consolidation le 12 avril 2016. Les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en allouant à M. E... la somme de 2 500 euros qui doit donc être maintenue.
Quant aux souffrances endurées :
11. Les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice que les experts ont fixé à 3 sur une échelle de 7 en allouant à M. E... la somme de 3 000 euros.
S'agissant des préjudices permanents :
Quant au déficit fonctionnel permanent :
12. La somme de 18 000 euros allouée à M. E... au titre de son déficit fonctionnel permanent doit être maintenue, comme les parties le demandent.
Quant au préjudice d'agrément :
13. Dès lors que M. E... n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau ou déterminant au soutien de ses prétentions concernant son préjudice d'agrément, il y a lieu de maintenir la somme de 1 500 euros qui lui a été allouée à bon droit par les premiers juges.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que la ville de Paris a été condamnée à verser à M. E... par les premiers juges doit être portée à 89 992,88 euros qui doit être arrondie à 90 000 euros, dont il convient de déduire la provision de 30 000 euros déjà versée. M. E... est donc fondé à demander la réformation du jugement n° 1805345/5-2 du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Paris dans cette mesure.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
15. Il y a lieu d'assortir des intérêts au taux légal la condamnation prononcée en faveur de M. E... au point 14 à compter du 17 octobre 2017, date de réception par la ville de Paris de sa demande préalable d'indemnisation.
16. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée par M. E... le 27 juin 2019. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 17 octobre 2018, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière.
Sur les frais liés à l'instance :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. E..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à la ville de Paris la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a, en revanche, lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la ville de Paris une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens.
Sur les dépens :
18. Aucun dépens n'a été exposé au cours de l'instance d'appel. Les conclusions présentées par M. E... à ce titre ne peuvent donc qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 57 252,50 euros, diminuée de la provision de 30 000 euros déjà versée, que la ville de Paris a été condamnée à verser à M. E... par le jugement n° 1805345/5-2 du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Paris, est portée à la somme 90 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 2017 et de la capitalisation des intérêts à compter du 17 octobre 2018, dont sera déduite la provision de 30 000 euros déjà versée.
Article 2 : L'article 2 du jugement n° 1805345/5-2 du 27 juin 2019 du tribunal administratif de Paris est reformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La ville de Paris versera à M. E... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et à la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2021.
La présidente de la 8ème chambre,
H. VINOT
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02489