Procédure devant la Cour :
Par une requête et des pièces, enregistrées les 27 décembre 2019 et 2 janvier 2020, la SCP D... C... Coiquaud Sinanyan-Detheve, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement n°s 1815991/6-1 et 1803922/6-1 du 25 octobre 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision de la garde des sceaux, ministre de la justice du 30 juillet 2018 rejetant sa demande de nomination dans un office notarial à créer ;
3°) d'enjoindre au ministre de la justice de procéder à une nouvelle instruction de sa demande de nomination et de modifier en conséquence l'état d'instruction de ses demandes publiées sur le site des officiers publics ;
4°) d'enjoindre au ministre de la justice de reprendre son rang issu du tirage au sort existant en date du 25 février 2018, date de sa première décision de refus sur la zone de Paris, et de procéder à la nomination de la SCP sur un nouvel office ;
5°) d'assortir l'injonction d'une astreinte de 500 euros par jour de retard ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 30 juillet 2018 a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que l'article 52 II de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite " loi Macron ", ne prévoit pas de faculté de réexamen des conditions d'accès des notaires déjà en exercice ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que les premiers juges ont considéré à tort que le ministre de la justice pouvait, sur le fondement de l'article 49 alinéa 1 et de l'article 3 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973, écarter la demande de notaires déjà en exercice, au motif qu'ils ne rempliraient pas les conditions générales d'accès aux fonctions de notaire ; or cette position est contraire au principe énoncé par le Conseil d'Etat dans sa décision du 18 mai 2018, n° 400675 interdisant au pouvoir réglementaire de porter une appréciation sur les candidats, tenant notamment à leurs mérites respectifs et porte une atteinte manifeste à l'égalité de traitement et au principe d'un droit égal à être nommé sur un office à créer ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que les premiers juges ont considéré à tort que le ministre de la justice n'avait pas commis une erreur d'appréciation " compte tenu de la répétition, de l'étalement dans le temps de ces faits et de leur gravité ", en refusant la nomination de la SCP ;
- la décision du 30 juillet 2018 est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'en application de l'article 3 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973, l'impossibilité de nomination pour raisons disciplinaires n'est possible que pour destitution, radiation, révocation, retrait d'agrément ou d'autorisation ; or aucun des associés n'a fait l'objet d'une telle sanction ;
- elle est manifestement illégale dès lors, d'une part, que la demande de candidature a été déposée par Me F... en vue de la création d'un office à Paris pour le compte de la SCP qui est candidate ; or ni Me F..., ni la SCP n'ont fait l'objet de sanctions disciplinaires, ni même ont été reconnues comme ayant commis des actes contraires à l'honneur et à la probité et, d'autre part, la demande de nomination pour office à créer comporte également la demande de nomination de Me F... à la résidence de Paris, or cette dernière n'a fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire et n'a jamais été reconnue comme auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
- le décret n° 67-868 du 2 octobre 1967 ;
- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., avocat de la SCP D... C... Coiquaud Sinanyan-Detheve.
Considérant ce qui suit :
1. La SCP D..., C..., Coiquaud, Sinanyan-Detheve, qui est titulaire d'un office notarial à Cannes (Alpes-Maritimes), a déposé le 16 novembre 2016 une demande aux fins de nomination en qualité de titulaire d'un office notarial à créer à Paris, dans le cadre de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite " loi Macron ". Cette demande ayant fait l'objet d'un tirage au sort favorable, elle a été instruite mais rejetée, d'abord, par une décision de la garde des sceaux, ministre de la justice, du 26 février 2018 dont l'exécution a été suspendue par une ordonnance du 23 mars 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Paris, puis par une décision du 30 juillet 2018. La SCP D..., C..., Coiquaud, Sinanyan-Detheve a demandé au tribunal administratif de Paris par deux requêtes d'annuler ces deux décisions. Par un jugement n°s 1815991/6-1 et 1803922/6-1 du 25 octobre 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de la garde des sceaux, ministre de la justice, du 26 février 2018 et a rejeté le surplus des conclusions des deux requêtes. La SCP D..., C..., Coiquaud, Sinanyan-Detheve relève appel de ce jugement en tant que le surplus des conclusions des deux requêtes de première instance a été rejeté par son article 2.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, la SCP D..., C..., Coiquaud, Sinanyan-Detheve se borne à reproduire en appel, sans l'assortir d'éléments nouveaux, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision du 30 juillet 2018 qu'elle avait développé en première instance. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges d'écarter ce moyen.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du décret du 2 octobre 1967 pris pour l'application à la profession de notaire de la loi du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles dans sa version applicable aux procédures engagées avant la date d'entrée en vigueur du décret n° 2016-1509 du 9 novembre 2016 relatif aux sociétés constituées pour l'exercice de la profession de notaire : " (...) Une société ne peut être déclarée apte à être nommée à l'office créé que si chacun des futurs associés a été déclaré apte à être nommé à cet office. (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que si la demande de nomination à l'office notarial à créer a été déposée au nom de la SCP D... C... Coiquaud Sinanyan-Detheve le 16 novembre 2016 par Me E..., il ressort des dispositions précitées que chacun des futurs associés de la SCP candidate doit remplir les conditions d'aptitude à la profession de notaire pour qu'elle puisse être déclarée apte. Par suite, la circonstance que la demande de nomination ait été déposée par Me E... qui devait être nommée dans l'office de Paris et que ni cette dernière ni la SCP D... C... Coiquaud Sinanyan-Detheve n'ait fait l'objet de sanctions disciplinaires ou ait été reconnue comme ayant commis des actes contraires à l'honneur et à la probité ne faisait pas obstacle à ce que la garde des sceaux, ministre de la justice, se fonde, à bon droit comme l'ont reconnu les premiers juges, sans entacher d'illégalité la décision du 30 juillet 2018, sur les faits commis par seulement deux des notaires associés composant la SCP D... C... Coiquaud Sinanyan-Detheve.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " I. - Les notaires (...) peuvent librement s'installer dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services. / Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la justice et de l'économie, sur proposition de l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 462-4-1 du code de commerce. (...) / A cet effet, cette carte identifie les secteurs dans lesquels, pour renforcer la proximité ou l'offre de services, la création de nouveaux offices de notaire (...) apparaît utile. / (...) / II. Dans les zones mentionnées au I, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommé en qualité de notaire (...), le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office de notaire (...) créé. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 49 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire, dans sa rédaction issue du décret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels : " Peuvent demander leur nomination sur un office à créer les personnes qui remplissent les conditions générales d'aptitude aux fonctions de notaire. ". Ces conditions générales sont énoncées à l'article 3 du même décret, aux termes duquel : " Nul ne peut être notaire s'il ne remplit les conditions suivantes : / (...) / 2° N'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité ; / 3° N'avoir pas été l'auteur d'agissements de même nature ayant donné lieu à mise à la retraite d'office ou à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, retrait d'agrément ou d'autorisation ; / (...) ".
6. Contrairement à ce que soutient la SCP D..., C..., Coiquaud, Sinanyan-Detheve, la circonstance que le 3° de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 ne trouve à s'appliquer qu'aux notaires déjà en exercice ne dispense pas ces derniers du respect de la condition fixée par le 2°. Il incombe dès lors au garde des sceaux, ministre de la justice, de nommer titulaire d'un office à créer le demandeur qui remplit les conditions générales d'aptitude aux fonctions de notaire précisées à l'article 3 du décret du 5 juillet 1973, dont celles du 2°, et, au contraire, de rejeter la demande lorsque le candidat ne remplit pas ces conditions. Par suite, ne peuvent qu'être écartés les moyens tirés de ce que la décision du 30 juillet 2018 serait entachée d'une erreur de droit dès lors que l'article 52 II de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite " loi Macron ", ne prévoit pas de faculté de réexaminer les conditions d'accès des notaires déjà en exercice et que le jugement attaqué serait entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que les premiers juges ont considéré à tort que le ministre de la justice pouvait, sur le fondement de l'article 49 alinéa 1 et de l'article 3 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973, écarter la demande de notaires déjà en exercice, au motif qu'ils ne rempliraient pas les conditions générales d'accès aux fonctions de notaire et que cette position est contraire au principe énoncé par le Conseil d'Etat dans sa décision du 18 mai 2018, n° 400675 interdisant au pouvoir réglementaire de porter une appréciation sur les candidats, tenant notamment à leurs mérites respectifs et porte une atteinte manifeste à l'égalité de traitement et au principe d'un droit égal à être nommé sur un office à créer. Il en est de même du moyen tiré de ce que la décision du 30 juillet 2018 serait entachée d'une erreur de droit aux motifs qu'en application de l'article 3 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973, l'impossibilité de nomination pour raisons disciplinaires n'est possible que pour destitution, radiation, révocation, retrait d'agrément ou d'autorisation.
7. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier et notamment de la décision contestée du 30 juillet 2018 que Me D... et Me C... ont fait l'objet en 2001 d'une interdiction d'exercer pendant un an, prononcée par un arrêt du 23 février 2001 de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en raison d'une insuffisance de trésorerie et une absence de rigueur dans la gestion de leur office notarial. Par un arrêt du 27 mars 2003, cette même Cour d'appel a condamné Me D... à une nouvelle interdiction d'exercer pendant une durée d'un an pour dysfonctionnements comptables Par un arrêt du 20 novembre 2008, elle a prononcé un rappel à l'ordre pour manquement à la délicatesse à l'encontre de Me D.... Ensuite, par jugement du 20 janvier 2009 du Tribunal de grande instance de Grasse, Me D... a été condamné à une interdiction d'exercer pendant six mois pour manquement aux règles relatives à l'honneur, à la probité et à la délicatesse. Enfin, par jugement du 4 mars 2014, le même tribunal de grande instance a prononcé un rappel à l'ordre à l'encontre de Me C... et par un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 5 mars 2015, Me D... a été condamné à une interdiction d'exercer pendant 18 mois pour manquement à la probité et aux règles professionnelles. Ces fautes professionnelles non contestées par la SCP D..., C..., Coiquaud, Sinanyan-Detheve présentent bien le caractère de manquements à l'honneur, à la probité et aux bonnes moeurs au sens et pour l'application des dispositions de l'article 3 du décret du 5 juillet 1973 précité. Par suite, sans qu'il soit besoin de prendre en compte les faits révélés par l'inspection diligentée en 2016 par le procureur général près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence et qui font l'objet d'une procédure en cours devant le Tribunal de grande instance de Grasse, ces seuls faits précités peuvent, compte tenu de leur caractère répété et quand bien même ils sont pour certains anciens et ont fait l'objet de sanctions disciplinaires entièrement exécutées au moment du dépôt de candidature de la SCP D... C... Coiquaud Sinanyan-Detheve, fonder légalement la décision de la garde des sceaux, ministre de la justice, du 30 juillet 2018 qui n'est entachée d'aucune erreur d'appréciation, comme l'ont considéré à bon droit les premiers juges.
8. Il résulte de ce qui précède que la SCP D..., C..., Coiquaud, Sinanyan-Detheve n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué. L'ensemble des conclusions de la requête d'appel ne peut qu'être rejeté.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCP D..., C..., Coiquaud, Sinanyan-Detheve est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCP D... C... Coiquaud Sinanyan-Detheve et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Luben, président de la formation de jugement,
- Mme A..., premier conseiller,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2021.
Le président de la formation de jugement,
I. LUBEN
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
6
N° 19PA04255