Procédure devant la Cour :
Par une requête, des mémoires complémentaires et des pièces complémentaires, enregistrés le 17 mars 2020, le 4 juin 2020, le 9 juin 2020 et le 23 mars 2021, M. C..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1926630/5-2 du 5 mars 2020 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 21 novembre 2019 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour valant autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier, sa motivation étant contradictoire et entachée d'erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de droit dès lors que les premiers juges, qui ont retenu à tort qu'il ne justifiait ni de sa présence habituelle sur le territoire français depuis plus de dix années ni de son intégration dans la société française, n'ont pas examiné si l'emploi pour lequel son employeur a sollicité une autorisation de travail figurait dans la liste des métiers figurant à l'annexe IV de l'accord franco-sénégalais ;
- l'arrêté contesté a été signé par une autorité incompétente ;
- l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé dès lors qu'il ne précise pas la nature de son métier, ne mentionne pas ses activités professionnelles antérieures et n'indique pas de manière circonstanciées les motifs ayant conduit le préfet de police à ne pas saisir la commission du titre de séjour ;
- le préfet de police n'a pas procédé à un examen sérieux et particulier de sa situation ;
- l'arrêté contesté méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il justifie d'une présence habituelle sur le territoire français de plus de dix années ; le préfet de police aurait ainsi dû saisir la commission du titre de séjour ;
- l'arrêté querellé méconnaît les dispositions de l'article 42 de l'accord franco-sénégalais dès lors que le métier qu'il exerce figure à l'annexe IV de l'accord précité ;
- cet arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il justifie d'un motif d'admission exceptionnelle au séjour, compte tenu de son expérience professionnelle et de son intégration sociale et professionnelle ;
- cet arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que sa soeur, son oncle et sa cousine résident sur le territoire français et qu'il est parfaitement intégré professionnellement ;
- le préfet de police a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2021, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention du 1er août 1995 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Sénégal sur la circulation et le séjour des personnes ;
- l'accord du 23 septembre 2006 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Sénégal relatif à la gestion concertée des flux migratoires et l'avenant à cet accord signé le 25 février 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été rendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les observations de Me A... substituant Me E..., avocat de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant sénégalais, né le 9 décembre 1976 et entré en France le 24 février 2007 selon ses déclarations, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié " sur le fondement de l'article 42 de l'accord franco-sénégalais et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 21 novembre 2019, le préfet de police a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. M. C... relève appel du jugement du 5 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. M. C... soutient que les premiers juges, en retenant d'une part qu'il ne justifiait ni de sa présence habituelle sur le territoire français depuis plus de dix années ni de son intégration dans la société française et en omettant d'autre part d'examiner si l'emploi pour lequel son employeur a sollicité une autorisation de travail figurait dans la liste des métiers figurant à l'annexe IV de l'accord franco-sénégalais, auraient insuffisamment motivé leur jugement. En outre, l'intéressé fait valoir que le raisonnement retenu est contradictoire. Toutefois, il ressort des termes du jugement dont il est fait appel que les premiers juges ont suffisamment répondu aux moyens soulevés devant eux, le bien fondé des réponses qu'ils ont apportées au regard des pièces versées au dossier étant sans incidence sur la régularité du jugement. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait insuffisamment motivé doit être écarté.
Sur la légalité de la décision contestée du 21 novembre 2019 refusant de délivrer le titre de séjour sollicité par M. C..., et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
4. Aux termes du paragraphe 32 de l'article 3 de l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 modifié : " (...) La carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", d'une durée de douze mois renouvelables, ou celle portant la mention " travailleur temporaire " sont délivrées, sans que soit prise en compte la situation de l'emploi, au ressortissant sénégalais titulaire d'un contrat de travail visé par l'Autorité française compétente, pour exercer une activité salariée dans l'un des métiers énumérés à l'annexe VI ". Aux termes du paragraphe 42 de ce même accord : " (...) Un ressortissant sénégalais en situation irrégulière en France peut bénéficier, en application de la législation française, d'une admission exceptionnelle au séjour se traduisant par la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant : / - soit la mention " salarié " s'il exerce l'un des métiers mentionnés dans la liste figurant en annexe IV de l'Accord et dispose d'une proposition de contrat de travail (...) ". Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. ".
5. Les stipulations du paragraphe 42 de l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 relatif à la gestion concertée des flux migratoires, dans sa rédaction issue de l'avenant signé le 25 février 2008, renvoyant à la législation française en matière d'admission exceptionnelle au séjour des ressortissants sénégalais en situation irrégulière rendent applicables à ces ressortissants les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le préfet, saisi d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour par un ressortissant sénégalais en situation irrégulière, est conduit, par l'effet de l'accord du 23 septembre 2006 modifié, à faire application des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Dans l'hypothèse où il serait fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat de travail ne saurait être regardé, par principe, comme attestant des motifs exceptionnels exigés par la loi. Il appartient, en effet, à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a effectué une brève mission d'intérim en qualité de plongeur (vaisselle) en 2011, a été embauché par de courts contrats à durée déterminée comme plongeur au sein d'une société de restauration collective entre janvier 2012 et août 2012, a été manoeuvre à temps complet du 11 février 2014 au 30 juin 2014, a été personnel d'entretien du 1er avril au 22 avril 2014 et travaillait à temps complet, sous couvert d'un contrat à durée indéterminée et sous une fausse identité, en tant que préparateur / plongeur depuis le 16 janvier 2018, soit près de deux ans à la date de la décision litigieuse, la société de restauration LCPP qui l'employait ayant sollicité une autorisation auprès de la DIRECCTE pour le recruter en tant que crêpier, métier qui au demeurant figure dans la liste figurant en annexe IV de l'accord franco-sénégalais, et lui ayant délivré à cet effet une promesse d'embauche. Par suite, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle et professionnelle de M. C..., qui caractérisent une insertion professionnelle sur le territoire français, le préfet de police, en refusant de lui délivrer le titre de séjour sollicité sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a entachée sa décision contestée du 21 novembre 2019 d'une erreur manifeste d'appréciation. Il s'ensuit que cette décision du 21 novembre 2019 et le jugement du 5 mars 2020 du tribunal administratif de Paris doivent être annulés.
8. Par voie de conséquence, les décisions du préfet de police du même jour faisant obligation à M. C... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination duquel il pourra être éloigné à l'issue de ce délai doivent être également annulées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
10. Eu égard au motif d'annulation ci-dessus retenu, et sous réserve d'un changement substantiel dans la situation de droit ou de fait de l'intéressé, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à M. C... d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ". Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de police de délivrer ce titre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat (ministère de l'intérieur) le paiement de la somme de 1 000 euros à M. C... au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1926630/5-2 du 5 mars 2020 du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 21 novembre 2019 du préfet de police sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " à M. C... dans le délai maximum de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat (ministère de l'intérieur) versera à M. C... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., au préfet de police et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. B..., président de la formation de jugement,
- Mme Collet, premier conseiller,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2021.
Le président de la formation de jugement,
I. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01029