Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 21 avril 2020 et 24 mars 2021, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1920667/6-3 du 9 avril 2020 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 janvier 2019 du préfet de police ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'est pas signé ;
- le tribunal a méconnu le principe du contradictoire dès lors que les premiers juges se sont fondés, pour écarter le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée, sur un arrêté de délégation de signature qui n'a pas été versé aux débats ;
- le jugement est insuffisamment motivé, dès lors que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en tant qu'il protège le droit à l'épanouissement personnel et à l'intégrité physique et morale des personnes transgenres ;
- la décision de refus de séjour méconnait les dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'avis du 15 mai 2018 du collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration ne lui a pas été communiqué ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait les dispositions de l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier en considérant que l'arrêté contesté ne méconnaissait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2021, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 22 mars 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 mars 2021 à 16h.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'ordonnance n° 305-2020 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Mme A... a présenté son rapport au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante brésilienne née le 1er juin 1979 à Santa Maria Madalena et entrée en France le 2 avril 2014, a bénéficié d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont elle a sollicité le renouvellement. Par un arrêté du 24 janvier 2019, le préfet de police a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement. Mme D... relève appel du jugement du 9 avril 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Aux termes de l'article 12 de l'ordonnance n° 305-2020 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif : " Durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (...), il est dérogé aux dispositions législatives et réglementaires applicables aux juridictions administratives dans les conditions prévues au présent titre. ". Aux termes de l'article 12 de la même ordonnance : " Par dérogation aux articles R. 741-7 à R. 741-9 du code de justice administrative, la minute de la décision peut être signée uniquement par le président de la formation de jugement. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement du 9 avril 2020 a été signée par le président de la formation de jugement, conformément aux prescriptions de l'ordonnance n° 305-2020 du 25 mars 2020. La circonstance que l'ampliation qui a été notifiée à l'appelante ne comporte pas la reproduction de cette signature est de ce point de vue sans influence sur la régularité du jugement.
4. En deuxième lieu, si la requérante fait état de ce que la décision portant délégation de signature à l'auteur de l'arrêté attaqué n'a pas été produite dans le cadre de la procédure contradictoire, une telle décision, dès lors qu'elle présente un caractère réglementaire et a fait l'objet d'une publication, n'avait pas à être produite. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal aurait méconnu le principe du contradictoire doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
6. Pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les premiers juges ont relevé que si Mme D... soutenait avoir créé des liens intenses depuis son arrivée en France, celle-ci était célibataire et sans charge de famille et n'établissait pas être dépourvue d'attaches familiales à l'étranger, où elle avait vécu jusqu'à l'âge de 35 ans. Dès lors, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments soulevés par la requérante, ont suffisamment motivé leur réponse au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
S'agissant de la décision portant refus de renouvellement du titre de séjour :
7. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser à Mme D..., qui souffre du virus de l'immunodéficience humaine (VIH), le renouvellement de son titre de séjour, le préfet de police a notamment pris en compte l'avis du 15 mai 2018 du collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration, qu'il a produit en pièce jointe de son mémoire en défense de première instance contrairement à ce que soutient la requérante, qui précise que, si l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé au Brésil. Mme D... conteste devant la Cour que les soins médicaux adaptés à son état de santé soient disponibles au Brésil et soutient qu'elle ne pourra pas en bénéficier effectivement en cas de retour dans son pays d'origine. Si Mme D..., qui suit un traitement à base de Triumeq, soutient que ce dernier médicament n'est pas disponible dans son pays d'origine, elle ne l'établit pas par les certificats médicaux des 19 février, 15 mars et 16 octobre 2019 et du 12 mai 2020 qu'elle produit qui se bornent à indiquer qu'elle suit un traitement et que ce suivi est difficilement accessible dans son pays d'origine alors qu'il ressort des pièces produites par le préfet de police que les principes actifs de ce médicament, à savoir le dolutegravir, l'abacavir sulfate, et la lamivudine, sont disponibles au Brésil, pays qui dispose, par ailleurs, de nombreuses infrastructures sanitaires susceptibles d'assurer la prise en charge de l'intéressée. Si Mme D... conteste la valeur probante des documents présentés par le préfet de police au motif qu'ils proviennent de sites internet, elle n'apporte toutefois aucun élément de nature à établir que le traitement qui lui est prescrit en France ne serait pas disponible dans son pays d'origine ou ne pourrait être remplacé par des médicaments contenant le même principe actif, alors qu'il ressort du rapport établi par la Haute Autorité de Santé le 17 décembre 2014 sur le médicament Triumeq, produit par l'intéressée, que celui-ci ne permet qu'une simplification thérapeutique et n'apporte pas d'amélioration du service médical rendu par rapport à la prise séparée de ses différents composants. Par ailleurs, il ressort des informations de la direction générale des étrangers en France communiquées par le préfet de police en défense que le gouvernement brésilien met à la disposition de ses citoyens un site web leur permettant, d'une part, d'obtenir des informations sur le VIH, et particulièrement sur les centres de diagnostic et de soin des individus touchés par ce virus, et d'autre part, leur facilitant l'accès au traitement du VIH par le système de santé public. En outre, si Mme D... soutient que, compte-tenu de son identité transgenre, elle ne pourra avoir accès au traitement que requiert son état de santé au Brésil compte tenu des discriminations dont font l'objet les personnes transgenres dans ce pays, le rapport établi en 2018 par le département d'Etat des Etats-Unis sur les droits de l'Homme au Brésil, indiquant que la presse ou des organisations de la société civile ont rapporté l'existence de discriminations à l'encontre de personnes atteintes du VIH, ou la citation d'un extrait du site internet de l'ONG Avert, qui ferait état de ce que les discriminations résultant du VIH sont un obstacle s'agissant de la prévention de la maladie ainsi que de son traitement au Brésil, au demeurant non traduits en langue française, ne permettent pas d'établir que Mme D... ne pourrait pas personnellement bénéficier des soins médicaux requis par son état de santé en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que le préfet de police aurait méconnu les dispositions précitées de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) / 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ;(...) ".
10. Ainsi qu'il a été dit au point 8 du présent arrêt, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme D... ne pourrait pas bénéficier de manière effective d'un traitement approprié dans son pays d'origine, le Brésil. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
11. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
12. Si Mme D... soutient que les premiers juges auraient dénaturé les pièces du dossier en minimisant ses attaches personnelles en France, un tel moyen n'est pas susceptible d'être utilement soulevé devant le juge d'appel mais seulement devant le juge de cassation. A supposer toutefois que Mme D... ait entendu soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il ressort des pièces du dossier que Mme D... est célibataire et sans charge de famille en France, et qu'elle ne démontre pas être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, où elle a vécu au moins jusqu'à l'âge de 35 ans. Par ailleurs, si l'intéressée soutient avoir de nombreux amis en France, la seule production d'attestations établies par cinq des membres de son entourage ne suffit pas à établir l'ancienneté et l'intensité des liens dont elle se prévaut. En outre, si Mme D... établit exercer une activité de massage en qualité de micro-entrepreneur, elle n'établit pas, compte tenu de la faiblesse des revenus qu'elle perçoit dans ce cadre, d'une insertion professionnelle durable en France. Dans ces conditions, la décision contestée ne peut être regardée comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit ainsi être écarté.
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
13. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants ".
14. Mme D... soutient qu'elle serait, en raison de son identité transgenre, exposée à des risques de violences et de discriminations en cas de retour au Brésil. Toutefois, l'intéressée ne l'établit pas en se bornant à produire un rapport établi en 2019 par l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur les minorités sexuelles et de genre au Brésil, qui fait état, de manière générale, de la situation des personnes appartenant à la communauté LGBTI dans ce pays, des discriminations dont elles font l'objet, de l'importance du taux de criminalité dont sont victimes ces personnes, ainsi que de l'impossibilité d'obtenir la protection ou le soutien des forces de l'ordre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction ainsi que celles présentées au titre des frais liés au litige ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Luben, président de la formation de jugement,
- Mme A..., premier conseiller,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2021.
Le président de la formation de jugement,
I. LUBEN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01232