Procédure devant la Cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés le 5 juillet 2017 et le 13 novembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1515739/1-1 du 8 mars 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rétablir les cotisations d'impôt sur les sociétés des années 2007 et 2009.
Il soutient que :
- en jugeant que les salariés n'avaient pas qualité pour engager la banque Syz, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits et méconnu les faits rappelés par une décision du 29 mars 2011 de la cour d'appel de Paris, confirmée par un arrêt de la Cour de cassation du 3 avril 2012 ;
- il n'y a pas lieu de considérer qu'il n'existe qu'une relation juridique bipartite entre la société luxembourgeoise Oyster Asset Management SA et les clients institutionnels français qui ont souscrit à des compartiments de la SICAV Oyster ;
- que le service a relevé divers éléments desquels il ressort que les commerciaux de la société Banque Syz avaient le pouvoir d'engager celle-ci ; qu'ils constituaient par suite l'établissement stable en France de la banque Syz ;
- les décisions Zimmer et Iota n'ont pas la portée que leur prête la société Banque Syz SA ;
- en présence d'un travail dissimulé, l'existence d'un établissement stable doit s'apprécier en droit et en fait.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 septembre 2017, la société Banque Syz SA, représentée par l'A.A.R.P.I Gide Loyrette Nouel, conclut au rejet du recours du ministre de l'action et des comptes publics et à ce qu'une somme de 20 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens du ministre n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention conclue entre la France et la Suisse le 9 septembre 1966 en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dalle,
- les conclusions de M. Platillero, rapporteur public,
- et les observations de Me Aillet, avocat de la société Banque Syz SA.
1. Considérant que la société de droit helvétique Banque Syz SA a fait l'objet en 2011 et 2012 d'une vérification de comptabilité à la suite de laquelle l'administration, estimant qu'elle disposait en France d'un établissement stable, a reconstitué les résultats imposables de cet établissement et l'a soumise à l'impôt sur les sociétés au titre des années 2007 et 2009 ; que le ministre de l'action et des comptes publics relève appel du jugement en date du 8 mars 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a accordé à la société Banque Syz SA la décharge de ces impositions ;
2. Considérant, d'une part, qu'en vertu de l'article 209 du code général des impôts, les bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, ainsi que ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions, sont passibles de l'impôt sur les sociétés ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 7 de la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 : " 1) Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement... " ; qu'aux termes de l'article 5 de la même convention : " (...) 4) Une personne agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant, autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, visé au paragraphe 6, est considérée comme "établissement stable" dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, à moins que l'activité de cette personne ne soit limitée à l'achat de marchandises pour l'entreprise (...) " ;
4. Considérant que, pour l'application de ces stipulations, une personne résidente de France contrôlée par une société résidente de Suisse ne peut constituer un établissement stable de cette dernière que si elle ne peut être considérée comme un agent indépendant de la société résidente de Suisse et si elle exerce habituellement en France des pouvoirs lui permettant d'engager cette société dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant les activités propres de cette société ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par une convention de " servicing agreement " en date du 3 septembre 2001, la société de droit luxembourgeois Oyster Asset Management (OAM), qui gérait le fonds Oyster, SICAV de droit luxembourgeois, a confié à la Banque Syz le soin d'obtenir le référencement de ce fonds auprès d'institutionnels, tels que des banques ou des compagnies d'assurance, susceptibles de le commercialiser auprès de leur propre clientèle ; que si ces institutionnels acceptaient de prendre le fonds Oyster en référencement dans leurs produits, ils signaient une convention de placement avec la société OAM ; qu'en contrepartie, la société OAM leur rétrocédait une fraction de la commission de gestion que lui versait la SICAV Oyster ; qu'au cours des années en litige 2007, 2008 et 2009, la Banque Syz a eu recours à deux salariés résidents fiscaux français pour placer le fonds Oyster auprès des institutionnels français ; que le service vérificateur a estimé que ces deux salariés avaient le pouvoir d'engager la Banque Syz et qu'ils constituaient par suite un établissement stable par l'intermédiaire duquel cette banque exerçait en France une activité imposable de distribution de produits financiers ; que, toutefois, il résulte des pièces du dossier que la société Banque Syz SA ne passait elle-même aucun contrat ; qu'ainsi qu'il a été dit, les " conventions de placement " en exécution desquelles les institutionnels s'engageaient à distribuer à leurs clients le fonds Oyster moyennant le reversement par la société OAM d'une fraction de la commission de gestion qu'elle percevait, étaient conclues entre les institutionnels et cette société ; que si le ministre de l'action et des comptes publics soutient qu'en fait et dans de nombreux cas, les institutionnels distribuaient le fonds Oyster à leur clientèle avant même que les conventions soient signées avec la société OAM, il n'en résulte pas qu'ils auraient agi en exécution d'une obligation les liant à la Banque Syz plutôt qu'à la société OAM ; que dans ces conditions, les salariés de la Banque Syz ne peuvent être regardés comme ayant disposé en France de pouvoirs leur " permettant de conclure des contrats au nom de [la Banque Syz] ", au sens des stipulations précitées de l'article 5-4 de la convention franco-suisse ; qu'il s'ensuit que le service vérificateur ne pouvait assimiler ces salariés à un établissement stable en France de la Banque Syz ;
6. Considérant que l'autorité de la chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux constatations matérielles contenues dans les décisions des juridictions qui sont définitives et qui statuent sur le fond de l'action publique ; que les ordonnances du 29 mars 2011 par lesquelles le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris a confirmé la validité d'ordonnances rendues par les juges des libertés et de la détention des tribunaux de grande instance de Paris et de Bobigny, autorisant l'administration fiscale à procéder à des visites domiciliaires et à des saisies à l'encontre de la société Syz et Co SA, n'ont pas le caractère de décisions du juge répressif statuant sur le fond de l'action publique ; que le ministre de l'action et des comptes publics n'est donc pas fondé à soutenir que le Tribunal a méconnu les faits rappelés dans ces ordonnances, en tout état de cause, à supposer même qu'il ressorte de ces ordonnances que la Banque Syz ait exercé une activité imposable en France par l'intermédiaire d'un établissement stable ;
7. Considérant que les institutionnels n'étant liés qu'à la société OAM, ainsi qu'il a été dit au point 5 ci-dessus, les moyens tirés de ce que qu'il ressort de divers éléments relevés par le service et notamment une " procuration collective " enregistrée au registre du commerce et des sociétés suisses, que les deux salariés de la banque Syz auraient eu en droit et en fait le pouvoir d'engager celle-ci, ne peuvent en tout état de cause qu'être écartés ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des impositions en litige ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat en remboursement des frais exposés par la société Banque Syz SA ;
DECIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'action et des comptes publics est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Banque Syz SA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à la société Banque Syz SA.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2018 à laquelle siégeaient :
M. Jardin, président de chambre,
M. Dalle, président assesseur,
Mme Stoltz-Valette, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 31 mai 2018.
Le rapporteur, Le président,
D. DALLE C. JARDIN
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA02262