Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 août 2020 et 8 avril 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de remettre à la charge de la SAS Cachemire Cartier les sommes dont elle a été déchargée.
Le ministre soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a jugé que la procédure de vérification a méconnu les droits que la société requérante tient de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales ;
- les autres moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bouzar ;
- et les conclusions de M. Met, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Cachemire Cartier, créée le 12 juillet 2010, a pour objet la fabrication et la commercialisation d'articles relatifs à l'habillement en cachemire. Elle a conclu le 29 juillet 2010 avec la société AMS Studio un " contrat de collaboration d'étude de recherche et de création de collection " en vue de la création d'une collection de 200 modèles de vêtements féminins pour l'année 2011, pour un montant de 500 000 euros. Un contrat de licence de fabrication et de distribution a parallèlement été conclu le 27 décembre 2010 avec la société Body One pour fabriquer et commercialiser ses modèles sous la marque du même nom. Une quatrième société, la société tunisienne SMTC, devait intervenir enfin dans la fabrication des collections. La SAS Cachemire Cartier a obtenu, par une décision du 10 mai 2011, la restitution d'un crédit d'impôt pour dépenses de recherche d'un montant de 250 000 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010. Sa comptabilité a ensuite fait l'objet d'une vérification à l'issue de laquelle l'administration, par une proposition de rectification du 13 février 2013, a remis en cause le crédit d'impôt pour dépenses de recherche dont elle avait bénéficié et procédé à la rectification correspondante en matière d'impôt sur les sociétés ainsi qu'en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Outre les intérêts de retard, cette rectification a été a assortie d'une majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses.
Sur le motif retenu par le Tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales : " I.- Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois (...) / II.- Par dérogation au I, l'expiration du délai de trois mois n'est pas opposable à l'administration : (...) / 4° En cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité. Dans ce cas, la vérification sur place ne peut s'étendre sur une durée supérieure à six mois. (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que le service bénéficiait, à l'issue des opérations de contrôle sur place de la comptabilité de la SAS Cachemire Cartier, de l'ensemble des éléments relatifs aux conditions d'exploitation de l'activité. Dans le cadre des opérations de vérification diligentées sur la comptabilité de la SARL AMS Studio, le service n'a nullement procédé à des investigations portant sur l'examen de documents comptables de la SAS Cachemire Cartier. La vérification de la comptabilité de cette dernière n'a ainsi pas été prolongée par la vérification de la comptabilité de la SARL AMS Studio. La circonstance que les opérations de vérification de la comptabilité de la SARL AMS Studio se sont déroulées plus de six mois après le début de celles diligentées sur la comptabilité de la SAS Cachemire Cartier n'entraîne pas par suite de méconnaissance du délai prescrit par les dispositions de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales. De même, aucune disposition légale ou réglementaire, ni aucun principe général du droit n'interdisait à l'administration de procéder à une visite domiciliaire par application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales postérieurement à la vérification de comptabilité. Au surplus, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration ait utilisé des informations recueillies au cours de cette visite domiciliaire pour fonder la reprise du crédit d'impôt qui lui avait été accordé. La vérification de la comptabilité de la SAS Cachemire Cartier s'est ainsi déroulée sur place du 7 novembre 2011 au 31 janvier 2012, soit dans le délai de trois mois prévu par les dispositions susvisées.
4. En tout état de cause, aucun document justificatif d'une activité de SAS Cachemire Cartier, qui a déclaré un chiffre d'affaires nul au titre de l'exercice 2010, n'a pu être présenté. Pour sa part, la Sarl AMS Studio ne disposait pas des moyens matériels et humains pour réaliser l'ensemble des modèles commandés par ses différents clients. L'administration a pu à bon droit déduire de l'ensemble des éléments recueillis que les factures fondant le crédit d'impôt recherche présentaient un caractère fictif et servaient un schéma frauduleux destiné à justifier la déductibilité de charges fictives et, par voie de conséquence, du remboursement d'un crédit d'impôt pour dépenses de recherche. Les faits étaient de nature à justifier que le délai de la vérification sur place soit porté à six mois.
5. Il résulte de ce qui précède que le délai dont disposait l'administration pour effectuer ses opérations de contrôle sur place n'a pas été méconnu et que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales doit être écarté en toutes ses branches. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a retenu ce moyen pour faire droit à la demande de décharge présentée par la SAS Cachemire Cartier.
6. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens présentés en première instance et en appel par la SAS Cachemire Cartier.
Sur les moyens des parties, dans le cadre de l'effet dévolutif :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
7. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 5 de la présente décision, la circonstance que les opérations de vérification de la comptabilité de la SARL AMS Studio se sont déroulées plus de six mois après le début de celles diligentées sur la comptabilité de la SAS Cachemire Cartier n'entraîne pas par suite de méconnaissance du délai prescrit par les dispositions de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, pas plus que ne constitue une méconnaissance de l'obligation de débat oral et contradictoire la circonstance que n'ont pas été communiqués à la SAS Cachemire Cartier les éléments recueillis dans le cadre de la vérification de la comptabilité de la Sarl AMS Studio, qui d'une part ne sont pas des éléments de sa propre comptabilité et d'autre part n'ont pas servi à fonder les rectifications.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".
9. Il résulte de l'instruction que les termes de la proposition de rectification adressée à la SAS Cachemire Cartier l'ont clairement informée de l'origine et de la teneur des informations obtenues de tiers en lui indiquant celles des informations susceptibles de lui être opposées. De plus, le service a communiqué en annexe à sa réponse aux observations de la requérante les termes de la proposition de rectification qui a été adressée à la SARL AMS Studio, de sorte que la SAS Cachemire Cartier en connaissait la teneur, malgré les passages occultés qui ne la concernaient pas. Par suite, les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales n'ont pas été méconnues.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. Sur demande du contribuable reçue par l'administration avant l'expiration du délai mentionné à l'article L. 11, ce délai est prorogé de trente jours. ". Aux termes de l'article L. 11 du même livre : " À moins qu'un délai plus long ne soit prévu par le présent livre, le délai accordé aux contribuables pour répondre aux demandes de renseignements, de justifications ou d'éclaircissements et, d'une manière générale, à toute notification émanant d'un agent de l'administration des impôts est fixé à trente jours à compter de la réception de cette notification ". Aux termes de l'article R. 57-1 de ce livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article ".
11. La SAS Cachemire Cartier soutient que l'administration n'a pas respecté les dispositions de l'article L. 57 précité du livre des procédures fiscales, en ce qu'elle lui a, à tort, refusé la prorogation de son délai de réponse. Il résulte certes de l'instruction que l'administration a refusé d'accorder à cette société la prorogation, sollicitée par courriers des 19 mars 2013 et 27 mars 2013, du délai de trente jours qui lui était imparti pour présenter ses observations sur la proposition de rectification du 13 février 2013 dont il est constant qu'elle a été notifiée à l'intéressée le 1er mars 2013. Toutefois, il résulte également de l'instruction que par courriers des 27 mars 2013 et 26 avril 2013, la requérante a exprimé son refus des rappels qui lui ont été notifiés. L'administration a répondu à ces observations par courrier des 26 avril 2013, 21 mai 2013 et 2 juillet 2013. Dans ces conditions, le refus de l'administration d'accorder un délai supplémentaire de réponse à la SAS Cachemire Cartier n'a pas eu pour effet de priver cette dernière des garanties que la prorogation du délai de réponse de trente jours a vocation à préserver.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
12. En premier lieu, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. - 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. / (...) ".
13. Il résulte de l'instruction que l'administration a remis en cause la taxe sur la valeur ajoutée déclarée par la SAS Cachemire Cartier au motif qu'elle grevait le prix des prestations fictives facturées par la SARL AMS Studio. Cependant, il résulte également de l'instruction que la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à ces factures n'a ni été imputée par la SAS Cachemire Cartier ni été remboursée à cette dernière. A cet égard, contrairement à ce que soutient le ministre, les déclarations souscrites par la SAS Cachemire Cartier font apparaître une taxe déductible et non pas une taxe déduite. Dès lors, la SAS Cachemire Cartier est fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration lui a notifié les rappels de la taxe sur la valeur ajoutée en litige ainsi que, par suite, les intérêts moratoires et les pénalités correspondants.
14. En deuxième lieu, aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 decies, 44 undecies , 44 duodecies, 44 terdecies et 44 quaterdecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. Le taux du crédit d'impôt est de 30 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d'euros et de 5 % pour la fraction des dépenses de recherche supérieure à ce montant. / Le taux de 30 % mentionné au premier alinéa est porté à 50 % et 40 % au titre respectivement de la première et de la deuxième année qui suivent l'expiration d'une période de cinq années consécutives au titre desquelles l'entreprise n'a pas bénéficié du crédit d'impôt et à condition qu'il n'existe aucun lien de dépendance au sens du 12 de l'article 39 entre cette entreprise et une autre entreprise ayant bénéficié du crédit d'impôt au cours de la même période de cinq années. (...) ".
15. La SAS Cachemire Cartier a déposé le 24 mars 2011 auprès du service des impôts des entreprises de Pantin une déclaration tendant à obtenir au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010 le remboursement d'un crédit d'impôt pour dépenses de recherche d'un montant de 250 000 euros pour des dépenses de collection exposées par les entreprises industrielles du secteur textile habillement cuir, correspondant à 50 % de la somme de 500 000 euros. Il résulte de l'instruction que, alors que cette demande est exclusivement fondée sur quatre factures établies par la SARL AMS Studio, l'administration a constaté que les relations unissant celle-ci avec les sociétés mentionnées au point 1 étaient mal définies par des stipulations contractuelles imprécises et dont il n'est pas démontré qu'elles aient été effectivement exécutées. Sur les deux cent cinquante prototypes à réaliser, quatre-vingt-seize prototypes ont été présentés dans un premier temps lors de l'intervention sur place réalisée le 12 décembre 2011, puis soixante-dix-neuf autres lors de l'intervention suivante du 24 janvier 2012, soit au total centre soixante-quinze prototypes, dont rien n'établit qu'ils ont effectivement été confectionnés par ses partenaires. Les mentions du dossier constitué chez la SCP Chikani- Da Silva, huissiers de justice dont se prévaut la SAS Cachemire Cartier, relatives au nom des modèles, au temps de tricotage, aux pièces du panneau et à la dimension des empiècements, ne sont pas de nature à contredire le constat fait dans la proposition de rectification du caractère fictif de ces factures. Il en est de même de la circonstance que, lors de la saisie conservatoire de biens meubles effectuée chez elle le 21 janvier 2012, l'huissier de justice a constaté la présence de prototypes ou encore de la facture du 17 décembre 2010 adressée par la société SMTC à la SARL AMS Studio qui fait mention de " 3 000 pulls ". Si elle soutient avoir acheté auprès de l'entreprise chinoise " Zhong Meiying " 146 kilogrammes de fil de cachemire, elle ne conteste pas l'observation figurant en page 15 de la proposition de rectification selon laquelle cette quantité de fil était manifestement insuffisante pour réaliser la collection annoncée. Enfin, ainsi qu'il a été dit au point 4 ci-dessus, le droit de visite exercé par l'administration dans les locaux de celle-ci a révélé qu'aucun document justificatif de son activité ne s'y trouvait. L'administration a également constaté que la Sarl AMS Studio ne disposait pas des moyens humains pour réaliser l'ensemble des modèles commandés par ses différents clients, dont la SAS Cachemire Cartier qui a déclaré un chiffre d'affaires nul au titre de l'exercice 2010. Ces factures présentent ainsi un caractère fictif. Cette seule circonstance, établie par l'administration et non remise en cause dans la présente instance par la SAS Cachemire Cartier, fait obstacle à ce que celle-ci puisse prétendre au crédit d'impôt pour dépenses de recherche sollicité. Par suite, l'administration est fondée à réclamer la restitution de la somme initialement remboursée à la SAS Cachemire Cartier.
Sur les pénalités :
16. D'une part, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...) ". D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. ".
17. Il résulte des termes de la proposition de rectification que l'application de cette pénalité est motivée par l'existence d'un schéma frauduleux dont a fait usage la SAS Cachemire Cartier pour justifier du remboursement d'un crédit d'impôt pour dépenses de recherche. Il résulte des éléments rappelés ci-dessus que l'administration a suffisamment démontré l'existence de ce schéma frauduleux. Dès lors, la SAS Cachemire Cartier n'est pas fondée à en demander la décharge.
18. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Cachemire Cartier est seulement fondée à obtenir la décharge des rappels des rappels de la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 12 juillet 2010 au 31 août 2011 et des intérêts moratoires et des pénalités correspondants à ces rappels.
Sur les frais d'instance :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est ni la partie tenue aux dépens, ni la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, la somme que la SAS Cachemire Cartier demande au titre de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement no 1805073 du 22 juin 2020 du tribunal administratif de Montreuil est annulé en ce qu'il a déchargé la SAS Cachemire Cartier des droits et pénalités des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2010.
Article 2 : Les droits et pénalités des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2010 sont remis à la charge de la SAS Cachemire Cartier.
Article 3 : Le surplus des conclusions du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la SAS Cachemire Cartier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 20VE02102