Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif, enregistrés le 10 août 2018 et le 24 août 2018, M. C..., représenté par Me Rochiccioli, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;
3° d'enjoindre à l'autorité préfectorale, à titre principal, de délivrer à M. C...un titre de séjour portant la mention " entrepreneur - profession libérale " dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et, à titre subsidiaire, de délivrer un récépissé à l'intéressé et de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4° de condamner le préfet de l'Essonne à verser à M. C...une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. C...soutient que :
- le jugement est irrégulier : le tribunal administratif a omis de répondre à un moyen, qui n'est pas inopérant, tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision portant refus de séjour sur la situation personnelle de l'intéressé ;
- le jugement est infondé ;
- la décision de refus de titre de séjour : elle est entachée d'un défaut de motivation en fait et en droit et d'examen personnalisé de son dossier ; le droit d'être entendu, garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a été méconnu ; elle est affectée d'erreur de droit, le préfet s'étant cru lié par l'avis de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (direccte) ; le refus de séjour méconnaît l'article L. 313-10 (3°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de ce refus sur la situation professionnelle et personnelle de l'intéressé ;
- la décision d'obligation de quitter le territoire français : elle est dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est affectée d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle de l'intéressé ;
- la décision fixant le délai de départ volontaire à trente jours : le choix de limiter à trente jours le délai de départ volontaire n'est pas motivé et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation sur la durée du délai accordé ; cette décision est affectée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle de l'intéressé.
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Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guével a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., ressortissant tunisien né le 20 août 1990, relève régulièrement appel du jugement n° 1803284 du 12 juillet 2018 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 avril 2018 du préfet de l'Essonne rejetant sa demande de changement de statut pour obtenir la délivrance d'un titre de séjour temporaire portant la mention " entrepreneur - profession libérale " et l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort du jugement attaqué que les premiers juges ont omis de répondre au moyen qui n'était pas inopérant, tiré de ce que la décision en date du 4 avril 2018 par laquelle le préfet de l'Essonne a rejeté la demande de titre de séjour présentée par M. C...est affectée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de l'intéressé. Dans ces conditions, le jugement entrepris est dans cette mesure irrégulier. Par suite, le jugement du 12 juillet 2018 du Tribunal administratif de Versailles doit être annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. C...tendant à l'annulation de la décision du 4 avril 2018 portant rejet de sa demande de titre de séjour.
3. Il y a lieu de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Versailles et tendant à l'annulation de la décision de refus de séjour et, par l'effet dévolutif de l'appel, sur les autres demandes.
Sur la décision distincte de refus de séjour :
En ce qui concerne la légalité externe :
4. Par un arrêté n° 2017-PREF-MCP-50, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Essonne le 23 octobre 2017, le préfet de l'Essonne a donné délégation à Mme B...A..., directrice de l'immigration et de l'intégration, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure la police des étrangers. Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence dont serait entachée la décision contestée manque en fait et doit être écartée.
5. La décision attaquée comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, en particulier la mention des dispositions de l'article L. 313-10 (3°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur le fondement duquel M. C... a présenté sa demande, ainsi que l'exposé de sa situation professionnelle. Cette décision est donc suffisamment motivée.
6. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et en particulier des termes de la décision contestée, que le préfet de l'Essonne n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation professionnelle et personnelle de M.C....
7. Aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni aucune autre disposition ni principe général n'imposait au préfet de l'Essonne de communiquer à M. C...l'avis rendu le 2 février 2018 sur le projet entrepreneurial de l'intéressé par la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France (direccte). Au demeurant, cet avis a été produit par l'administration devant le Tribunal administratif de Versailles et communiqué à l'intéressé qui a ainsi été en mesure de faire valoir ses observations de manière utile.
8. Il ne ressort pas de la décision attaquée que, pour rejeter la demande de carte de séjour temporaire sollicitée par M.C..., le préfet de l'Essonne aurait retenu le motif tiré du caractère incomplet de la demande de titre de séjour. Par voie de conséquence, le requérant ne peut utilement soutenir que l'administration aurait été tenue de l'inviter à compléter son dossier en lui demandant de fournir des explications et précisions sur son projet économique.
9. Aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...). ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que si cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union, le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
10. En l'espèce, M.C..., qui a sollicité le 27 octobre 2017 un changement de statut d'étudiant en entrepreneur/profession libérale, a déposé à cette fin une demande de délivrance de carte de séjour temporaire au cours de l'instruction de laquelle il a pu présenter ses observations de manière utile et effective avant l'intervention de la décision de refus de séjour. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
11. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de la motivation de l'arrêté contesté, que le préfet de l'Essonne se serait cru lié par l'avis mentionné au point 7. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.
12. Aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire, d'une durée maximale d'un an, autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l'étranger : (...): 3° Pour l'exercice d'une activité non salariée, économiquement viable et dont il tire des moyens d'existence suffisants, dans le respect de la législation en vigueur. Elle porte la mention "entrepreneur/ profession libérale "./(...). ". Aux termes de l'article R. 313-16-1 du même code : " Pour l'application du 3° de l'article L. 313-10, l'étranger qui demande la carte de séjour temporaire portant la mention " entrepreneur/profession libérale " doit présenter à l'appui de sa demande, outre les pièces mentionnées aux articles R. 311-2-2 et R. 313-1, les justificatifs permettant d'évaluer, en cas de création, la viabilité économique de son projet./(...). ". Aux termes de l'article R. 313-16-2 de ce code : " Lorsque l'étranger présente un projet tendant à la création d'une activité commerciale, industrielle ou artisanale (...) le préfet compétent saisit pour avis le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi compétent dans le département dans lequel l'étranger souhaite réaliser son projet. ".
13. Il résulte de ces dispositions que la délivrance d'une carte de séjour temporaire autorisant l'exercice d'une activité professionnelle à l'étranger qui souhaite exercer en France une profession commerciale, industrielle ou artisanale est subordonnée, notamment, à la viabilité économique de l'activité envisagée. Dès lors que l'étranger est lui-même à l'origine de l'activité, il lui appartient de présenter à l'appui de sa demande les justificatifs permettant d'évaluer la viabilité économique de son activité ou entreprise, que celle-ci soit encore au stade de projet ou déjà créée.
14. Pour refuser de délivrer à M.C..., qui a créé la SAS AB Green Transport dont l'activité a débuté le 1er février 2018, une carte de séjour temporaire portant la mention "entrepreneur/profession libérale", le préfet de l'Essonne a estimé que, du fait de l'absence, d'une part, de précision sur les conditions d'identification et de prospection de la clientèle cible, constituée de professionnels, industriels, distributeurs ou particuliers susceptibles de solliciter des prestations de transport par véhicules hybrides ou électriques, ainsi que sur l'existence d'offres concurrentes alternatives sur le segment du transport propre, et, d'autre part, d'explication, dans le plan d'affaires et le plan de financement présentés, des hypothèses de montée en puissance de l'activité de la société AB Green Transport, la viabilité économique du projet présenté par l'intéressé n'était pas établie. Au demeurant, comme il est dit au point 7, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (direccte) a émis un avis défavorable au projet au vu du dossier présenté. En se bornant à verser à l'instance un document non daté et vague intitulé " Stratégie et viabilité de l'entreprise AB Green Transport " et les lettres d'intention de commandes de trois sociétés, M. C...n'établit pas que le préfet de l'Essonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant, pour rejeter sa demande de carte de séjour temporaire, que la viabilité économique du projet porté par l'intéressé n'était pas démontrée.
15. Les circonstances que M. C...a accompli avec succès des études en France, en obtenant des masters 1 et 2 en Sciences de l'environnement, et a créé une société de transport propre de marchandises, dont la viabilité économique n'est d'ailleurs pas justifiée comme il est dit au point 14, ne permettent pas à elles seules de regarder la décision lui opposant un refus de séjour comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de l'intéressé.
Sur la décision distincte d'obligation de quitter le territoire français :
16. En l'absence d'illégalité de la décision de refus de séjour, la décision obligeant M. C... à quitter le territoire français n'est pas dépourvue de base légale.
17. Pour les motifs exposés aux points 14 et 15, et compte tenu du fait que M. C..., célibataire et sans charge de famille, n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident ses parents et où il a lui-même vécu jusqu'en 2012, année à compter de laquelle il a été autorisé à séjourner en France en qualité d'étudiant, le requérant n'est fondé à soutenir, ni que la mesure d'éloignement contestée a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni qu'elle est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de l'intéressé.
Sur la décision distincte fixant le délai de départ volontaire :
18. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...). II.- L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. Le délai de départ volontaire accordé à l'étranger peut faire l'objet d'une prolongation par l'autorité administrative pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation./(...). ".
19. La motivation de la décision distincte fixant le délai de départ volontaire se confond avec celle de l'obligation de quitter le territoire français, laquelle comporte les considérations de droit et de fait et est suffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
20. Dans la mesure où M. C...n'établit ni même n'allègue avoir sollicité un délai de départ volontaire supérieur à trente jours en se prévalant de circonstances propres à son cas, il n'est pas fondé à soutenir que le choix de fixer un délai de cette durée est affecté d'une erreur manifeste d'appréciation.
21. Pour les motifs exposés aux points 14, 15, 17 et 20, la décision distincte fixant le délai de départ volontaire n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de M.C....
22. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à se plaindre de ce que le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 4 avril 2018 du préfet de l'Essonne. Sa demande devant le Tribunal administratif de Versailles et ses conclusions d'appel en annulation, en injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : le jugement n° 1803284 du 12 juillet 2018 du Tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 2 : La demande de M. C...et les conclusions d'appel sont rejetées.
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N° 18VE02875