Par un jugement n° 1803171 du 19 avril 2018, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 15 mai 2018 et régularisée le 4 septembre 2018, M. A..., représenté par Me Boiardi, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;
3° d'enjoindre au préfet du Val-d'Oise de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile en procédure normale, dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4° " à titre subsidiaire ", de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué méconnaît l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'il est entaché d'une insuffisance de motivation en fait traduisant un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- il viole l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en raison de l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile en Espagne ;
- en l'absence de prise en charge adaptée des affections graves en Espagne, la décision de transfert s'assimile à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- il viole les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et celles de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans la mesure où sa situation n'a pas été examinée au regard de son état de santé et la décision aurait dû être différée dans l'attente des résultats de ses examens médicaux ;
- l'arrêté attaqué est également entaché d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle, le centre de ses intérêts personnels se situant désormais en France.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et son décret d'application n° 91-1266 du
19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen né le 12 décembre 1991 à Kounolara (Guinée), a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile le 24 novembre 2017. Par un arrêté du
30 mars 2018, le préfet du Val-d'Oise a décidé le transfert de l'intéressé vers l'Espagne. Par la présente requête, M. A... fait appel du jugement du 19 avril 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. ". Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui :
/ 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". L'article L. 211-5 du même code précise que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".
3. L'arrêté attaqué comporte les principaux éléments de fait relatifs à la situation administrative et personnelle de M. A.... Si le requérant fait grief à la décision en litige de ne mentionner ni son état de santé et le suivi médical dont il bénéficie en France, ni le défaut de prise en charge effective de sa pathologie en Espagne, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que M. A... aurait effectivement porté à la connaissance de l'autorité préfectorale, notamment dans le cadre de l'entretien individuel dont il a bénéficié le 14 novembre 2017, les éléments dont il fait état dans le cadre de la présente instance. A cet égard, la seule mention d'une information des services préfectoraux dans la demande déposée en première instance ne saurait constituer un élément suffisant pour établir une telle information. Par ailleurs, est sans incidence sur la légalité de la décision de transfert prise le 30 mars 2018, le fait que l'attestation de demande d'asile délivrée à M. A... n'expirait que le 19 avril 2018 alors au surplus qu'il est établi par les pièces du dossier que l'intéressé disposait de premiers éléments relatifs à son état de santé dès le 20 mars 2018. Dans ces conditions l'autorité préfectorale n'a pas été mise en mesure d'examiner la situation médicale du requérant ni, par suite, les conditions d'une prise en charge médicale en Espagne. Par conséquent, le moyen tiré du défaut de motivation et de l'absence d'examen sérieux de sa situation doit être écarté.
4. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :
" (...) / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / (...) ". Aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
5. Il résulte des dispositions précitées que la présomption selon laquelle un État membre respecte les obligations découlant de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est renversée lorsqu'il existe de sérieuses raisons de croire qu'il existe, dans " l'État membre responsable " de la demande d'asile au sens du règlement précité, des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile impliquant pour ces derniers un risque d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants.
6. M. A... soutient que la saturation du système d'accueil des demandeurs d'asile en Espagne ne permet pas la prise en charge de sa pathologie dans ce pays. Toutefois, le requérant se contente de produire des articles de presse d'ordre général au soutien de ce qu'il allègue. En outre, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a pu réaliser un bilan médical en Espagne. La circonstance que celui-ci n'a pas mis en évidence de pathologie n'est pas en
elle-même de nature à caractériser une défaillance dans la prise en charge médicale de M. A... en Espagne, État membre de l'Union européenne, qui est d'ailleurs également partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision en litige aurait été prise en méconnaissance de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union doit être écarté.
7. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat ".
8. Il résulte des articles précités que ceux-ci laissent à chaque État membre la faculté de décider d'examiner une demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers, alors même que cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement. Ce choix est donc discrétionnaire et ne constitue nullement un droit opposable en ce qui concerne les demandeurs d'asile placés sous procédure Dublin. En tout état de cause, si M. A... fait valoir qu'il ne pourrait bénéficier d'une prise en charge médicale en Espagne, il ne l'établit pas, ainsi que cela a été rappelé au point 6. Par ailleurs, et ainsi qu'il a été dit au point 3., aucun élément d'ordre médical n'a été porté à la connaissance du préfet du Val-d'Oise avant l'édiction de l'arrêté en litige. Il suit de là que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet du Val-d'Oise en ne faisant pas usage de la faculté stipulée à l'article 17 précité en raison de l'état de santé de M. A... ou dans l'attente des résultats des examens médicaux de l'intéressé, doit être écarté.
9. M. A... soutient, enfin, que le centre de ses intérêts personnels se situe en France, où résident l'un de ses oncles et la famille de ce dernier. A supposer même établi le lien de parenté invoqué, la circonstance que ces personnes sont de nationalité française ne suffit pas à établir que le requérant dispose en France de l'essentiel de ses attaches familiales alors qu'il a vécu dans son pays d'origine jusqu'à l'âge de vingt-six ans et qu'il a indiqué que sa femme et sa fille y résident toujours. La participation de l'intéressé depuis janvier 2018 aux activités et au fonctionnement de l'association Solidarité internationale ne saurait suffire à caractériser une intégration particulièrement forte. Enfin, si M. A... a subi différents examens de dépistage de la pathologie dont il se prévaut, la seule analyse de sang datée du 20 mars 2018 et l'attestation d'un médecin établie trois jours plus tard sont, au vu des autres documents médicaux produits, insuffisants à établir qu'un transfert vers l'Espagne aurait sur la santé de M. A... des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dans ces conditions, l'arrêté attaqué portant transfert aux autorités espagnoles n'est pas entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à ce que soit mis à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être également rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
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N° 18VE01678