Par un jugement nos 1601048 et 1602801 du 11 mai 2018, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté ses demandes.
Procédures devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 juillet 2018 et 15 mai 2019, Mme B..., épouse C..., représentée par Me D..., avocate, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de faire droit à sa demande de protection fonctionnelle et d'enjoindre à la ministre des armées de reconnaître son statut de victime, de supprimer de son dossier personnel son bulletin de notation millésime 2014 comportant les appréciations du colonel Guglielminotti et d'établir un nouveau bulletin de notation, d'ordonner que lui soit proposée une affectation compatible avec ses désidératas et de mettre en oeuvre la protection fonctionnelle sur le fondement de l'article L. 4123-10 du code de la défense ;
3° de faire droit à sa demande d'indemnisation à hauteur de 17 000 euros s'agissant de son préjudice moral, de 5 000 euros à parfaire s'agissant des dommages intérêts et du préjudice moral subi pour lui avoir refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, et de 8 991 euros en réparation de son préjudice matériel découlant des frais d'avocats qu'elle a été contrainte d'engager pour faire valoir sa défense, soit 30 991 euros en réparation de son entier préjudice ;
4° de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le ministre de la défense lui a, à tort, refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, prévue par l'instruction n° 5226/DEF/SGA/DAJ/CX/CPJ, alors qu'elle a subi des faits de harcèlement moral, caractérisés en l'ensemble de leurs éléments constitutifs ;
- elle est fondée à engager la responsabilité du ministère des armées pour faute de service, à raison des faits de harcèlement moral, ou à tout le moins pour faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service, ainsi que du fait du refus illégal de protection fonctionnelle, en vue de l'indemnisation du préjudice moral qu'elle a subi.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., avocat de Mme B..., épouse C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., épouse C..., commandant de l'armée de terre, a été affectée le 1er août 2011 au service de maintenance industrielle terrestre (SMITer) de Versailles en qualité d'officier supérieur adjoint (OSA). Le 28 mai 2015, elle a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle auprès du ministre de la défense pour des faits de harcèlement moral au travail et a formé, le 7 septembre suivant, un recours devant la commission des recours des militaires (CRM) à la suite de la décision implicite de rejet née du silence de l'administration. Par décision du 6 juin 2016, la CRM a conclu au rejet du recours. Le 7 septembre 2015, Mme B..., épouse C..., a également saisi le ministre de la défense d'une demande indemnitaire préalable tendant à la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison de ces mêmes faits de harcèlement moral au travail ainsi que du rejet de sa demande de protection fonctionnelle. A la suite du silence gardé par l'administration pendant deux mois, elle a saisi, le 18 novembre suivant, la CRM laquelle a conclu au rejet du recours le 25 octobre 2016. L'intéressée fait appel du jugement du 11 mai 2018 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté ses demandes tendant, notamment et d'une part, à l'annulation des décisions implicites initiales de rejet du ministre de la défense, ainsi que de celles confirmant ces rejets à la suite des recours devant la CRM, et, d'autre part, à l'indemnisation des préjudices résultant du refus de protection fonctionnelle ainsi que des faits de harcèlement moral dont elle fait état. Elle doit néanmoins être regardée comme demandant, devant le juge d'appel, d'une part, la seule annulation de la décision de la ministre de la défense rejetant sa demande de protection fonctionnelle après avis de la CRM, laquelle s'est substituée à la décision administrative initiale, et, d'autre part, à la condamnation de l'État à raison des préjudices subis.
Sur les conclusions tendant à la condamnation de l'État à raison de faits de harcèlement moral :
2. Aux termes de l'article L. 4123-10-2 du code de la défense : " Aucun militaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un militaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral mentionnés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ou militaire ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
4. Mme B..., épouse C..., soutient avoir été victime d'agissement répétés de harcèlement moral commis par le colonel Guglielminotti et le lieutenant-colonel Biquet à compter de l'année 2013, caractérisés par la dégradation de ses relations avec sa hiérarchie, un comportement et des capacités professionnelles systématiquement dénigrées dans des termes souvent humiliants, une attitude passive de sa hiérarchie pourtant informée de la situation et des conditions de travail extrêmement pathogènes, eu égard, d'une part, à la dégradation de sa notation pour l'année 2014 et, d'autre part, à l'absence de soutien de sa hiérarchie.
5. Toutefois et en premier lieu, si Mme B..., épouse C..., fait valoir que l'abaissement de sa notation, de A " Excellent " en 2013 à C " Bon " en 2014, est arbitraire, traduit une volonté du colonel Guglielminotti d'attaquer sa conscience professionnelle et révèle une intention punitive de sa part afin de lui ôter toute perspective de départ, elle n'apporte aucun élément de nature à établir que cette notation n'aurait pas été fixée en fonction de ses qualités morales, intellectuelles et professionnelles et de sa manière de servir, au titre de la période de référence, conformément aux dispositions des articles L. 4135-1 et R. 4135-1 du code de la défense, alors qu'elle ne conteste pas que les résultats de l'année évaluée sont " en deçà des résultats précédemment observés ", ainsi que cela figure dans la rubrique " Performance dans l'année de notation " de son BNO, et que la ministre des armées souligne en défense, sans être davantage contestée, des défaillances de gestion et d'organisation ainsi qu'une incapacité à déléguer. Si Mme B..., épouse C..., impute par ailleurs la baisse de sa notation à une supposée inimitié de son chef de corps, elle n'apporte aucun élément probant à l'appui de ses allégations, alors que, comme le souligne la ministre des armées, l'évaluation effectuée par le premier notateur a été confirmée par un second notateur puis, pour l'essentiel, par la CRM.
6. En deuxième lieu, si Mme B..., épouse C..., fait état d'une dégradation de ses conditions de travail du fait notamment d'une désorganisation dans ses tâches ainsi que d'une absence de réponse de sa hiérarchie à ses alertes sur les dysfonctionnements et déficits d'organisation, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations en se bornant à renvoyer à des échanges intervenus avec sa hiérarchie s'agissant de ses projets de mutation, alors que la situation de sous-effectifs et l'arrivée de nouveaux agents ayant besoin d'être formé a été prise en considération dans son BNO " millesime 2014 ", que la ministre des armées fait valoir, sans être contestée, que l'équipe de direction du SMITer a été renforcée de manière progressive entre l'été 2013 et l'été 2014, que l'intéressée a admis devant les premiers juges " prendre en charge des attributions qui ne lui étaient pas dévolues " et que l'abaissement de sa notation " millesime 2014 " est notamment justifié par les difficultés de Mme B..., épouse C..., à prendre en compte " un objectif à moyen terme, en planifiant et déclenchant son action en conséquence ", ce " trait de caractère se report[ant] sur la capacité à organiser et déléguer ". En tout état de cause, s'il ne peut être totalement exclu que les conditions de renouvellement des effectifs au SMITer de Versailles ont pu rendre plus difficile l'exercice quotidien de ses fonctions, cette circonstance ne saurait, par elle-même, constituer un élément de harcèlement moral.
7. En troisième lieu, si Mme B..., épouse C..., fait état d'une mauvaise gestion par l'officier traitant de la DRHAT de ses demandes de mutation depuis 2014, se traduisant par des décisions contradictoires ainsi qu'une absence de dialogue, et révélant une volonté de déstabilisation, elle n'apporte aucun élément de nature à établir que l'inadéquation entre les postes qui lui ont été proposés et ses souhaits exprimés dans ses différentes fiches de desiderata de mutation (FIDEMUT) ou les actes de gestion dont elle a fait l'objet auraient une origine autre que les obligations liées au statut militaire et à l'intérêt du service, alors que la ministre des armées fait valoir sans être contestée que toutes les affectations proposées correspondaient au statut de l'intéressée, laquelle n'a pas donné de suites aux propositions de suivi qui lui ont été faites, et que les actes mis en cause par Mme B..., épouse C..., n'émanent pas du seul lieutenant-colonel Biquet.
8. En quatrième lieu, si Mme B..., épouse C..., fait valoir, de la part du colonel Guglielminotti et du lieutenant-colonel Biquet, une volonté de l'écarter, de la disqualifier voire de la piéger sous prétexte de service, dans un contexte militaire avec une subordination particulièrement intense, elle n'apporte aucune précision, ni aucun élément à l'appui de ses allégations.
9. Dans ces conditions et alors même que la dégradation de l'état de santé de Mme B..., épouse C..., du fait d'une " souffrance psychologique majeure ", à l'origine d'arrêts de travail puis de placements en congé longue maladie, a été analysé comme faisant obstacle à sa reprise d'activité, traduit l'existence d'une réelle souffrance psychologique de l'intéressée et pourrait effectivement trouver son origine dans ses conditions de travail devenues plus difficiles en raison notamment de l'évolution des effectifs, en l'absence d'éléments de fait ou de droit, pris isolément ou dans leur ensemble, de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de l'intéressée, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Versailles a considéré que la responsabilité de l'État ne pouvait être engagée à ce titre.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du refus de protection fonctionnelle et à la condamnation de l'Etat du fait de l'illégalité de ce refus :
10. Aux termes de l'article L. 4123-10 du code de la défense : " Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les menaces, violences, harcèlements moral ou sexuel, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l'objet. / L'Etat est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. Il est subrogé aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées aux victimes. / Il peut exercer, aux mêmes fins, une action directe, au besoin par voie de constitution de partie civile, devant la juridiction pénale. / (...) / Le présent article s'applique sans préjudice des dispositions de l'article L. 113-1 du code de la sécurité intérieure et de celles de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. " et aux termes de cet article 11 : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. / (...) / IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. / (...) ".
11. Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
12. Comme il l'a été dit aux points 4. à 9., il ne résulte pas de l'instruction que Mme B..., épouse C..., aurait, contrairement à ce qu'elle soutient, été exposée à des agissements de harcèlement moral imposant à l'administration à lui accorder le bénéfice de la protection statutaire exposée aux points précédents.
13. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Versailles a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision refusant à l'intéressée le bénéfice de la protection fonctionnelle et considéré que la responsabilité de l'État ne pouvait être engagée à raison de l'illégalité de celle-ci.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B..., épouse C..., n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté ses demandes. Par suite, les conclusions à fin d'injonction, celles indemnitaires et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B..., épouse C..., est rejetée.
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N° 18VE02473