Procédure devant la Cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés le 3 juin 2015 et le 19 décembre 2016, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de remettre à la charge de la société RREEF Investment GmbH les impositions en litige.
Il soutient que :
- le redevable de la contribution exceptionnelle prévue à l'article 235 ter ZAA du code général de l'impôt est la société RREEF Investment GmbH, en sa qualité de redevable de l'impôt sur les sociétés, et non son établissement stable français, qui est sans personnalité juridique distincte ;
- si seul le bénéfice réalisé par l'établissement stable de la société défenderesse est assujetti à l'impôt sur les sociétés et, à ce titre, également à la contribution exceptionnelle en litige par application combinée des articles 209 du code général des impôts et 4 de la convention fiscale franco-allemande, en revanche, ces dispositions et stipulations n'ont pas pour effet de faire obstacle à la prise en compte du chiffre d'affaires global réalisé par cette société pour l'appréciation du seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle ; l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, en ce qu'il fait référence au redevable de l'impôt sur les sociétés pour apprécier la condition de chiffre d'affaires, n'a pas en effet pour objet de le limiter au seul chiffre d'affaires réalisé par l'établissement stable français d'une société étrangère ;
- dans sa décision n° 395015 du 9 décembre 2016, le Conseil d'État a statué dans le même sens.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 49
et 54 ;
- la convention entre la France et la République fédérale d'Allemagne tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, du 21 juillet 1959 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Locatelli,
- et les conclusions de M. Coudert, rapporteur public.
1. Considérant que la société de droit allemand RREEF Investment GmbH qui, notamment, réalise des investissements immobiliers en France pour le compte de fonds allemands, a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés en application de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts ; que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS relève appel du jugement du 13 avril 2015 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a fait intégralement droit aux demandes de la société RREEF Investment GmbH tendant à la décharge de ces impositions ;
Sur le recours du ministre :
2. Considérant qu'aux termes du I de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts : " Les redevables de l'impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à
250 millions d'euros sont assujettis à une contribution exceptionnelle égale à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables (...) / Le chiffre d'affaires mentionné au premier alinéa du présent I s'entend du chiffre d'affaires réalisé par le redevable au cours de l'exercice ou de la période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant, et pour la société mère d'un groupe mentionné à l'article 223 A ou à l'article 223 A bis, de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe " ; qu'aux termes du premier alinéa du I de l'article 209 du même code : " (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, de ceux mentionnés aux a, e, e bis et e ter du I de l'article 164 B ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions " ; qu'aux termes de l'article 4 de la convention susvisée conclue entre la France et l'Allemagne le 21 juillet 1959 : " 1. Les bénéfices d'une entreprise de l'un des Etats contractants ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'effectue des opérations commerciales dans l'autre Etat par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise effectue de telles opérations commerciales, l'impôt peut être perçu sur les bénéfices de l'entreprise dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ces bénéfices peuvent être attribués audit établissement stable. Cette fraction des bénéfices n'est pas imposable dans le premier mentionné des Etats contractants (...) " ;
3. Considérant qu'en application de l'article 235 ter ZAA précité, l'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés repose sur la qualité de redevable de l'impôt sur les sociétés et sur la réalisation d'un chiffre d'affaires annuel d'au moins
250 millions d'euros ; que si la territorialité de l'impôt sur les sociétés résultant de l'article 209 du code général des impôts limite les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés à ceux réalisés en France, sous réserve des stipulations des conventions internationales relatives aux doubles impositions, elle n'a ni pour objet ni pour effet de limiter le chiffre d'affaires pris en compte pour apprécier le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle à celui réalisé en France ; que, dès lors, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil, après avoir jugé que, pour l'application de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, il y avait lieu de ne retenir que le seul chiffre d'affaires qui se rattache aux bénéfices soumis en France à l'impôt sur les sociétés, a prononcé la décharge de ces contributions ;
4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société RREEF Investment GmbH devant le tribunal administratif ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe de liberté d'établissement découlant de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :
5. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 54 du même traité : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des Etats membres " ; que le principe de liberté d'établissement, qui découle de ces stipulations, s'oppose à l'application de toute réglementation nationale qui, en restreignant la possibilité pour les opérateurs économiques établis dans un Etat membre de choisir librement la forme juridique appropriée pour l'exercice de leurs activités dans un autre Etat membre, interdit, gêne ou rend moins attrayant l'exercice de la liberté d'établissement ;
6. Considérant que la société RREEF Investment GmbH soutenait dans ses demandes au tribunal que le principe de liberté d'établissement impose que l'établissement stable français d'une société étrangère et la société française filiale d'une société étrangère soient traités de manière identique et qu'en retenant, pour apprécier le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle, le chiffre d'affaires de la société étrangère dans le premier cas et celui de la société française dans le second cas, les dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts sont à l'origine d'une différence de traitement entre l'établissement stable et la filiale d'une société étrangère et, par suite, d'une restriction à la liberté d'établissement ;
7. Considérant qu'au regard de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, une société établie dans un autre Etat membre ayant une filiale ou une succursale en France est traitée de manière identique à une société établie en France ayant une filiale ou une succursale en France ou dans un autre Etat membre ; que, dès lors, le moyen tiré de ce qu'il existerait une différence de traitement selon le lieu d'établissement de la société ou selon la structure juridique de l'établissement secondaire de la société ne peut qu'être écarté ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe de non discrimination prévu au paragraphe 4 de l'article 21 de la convention fiscale franco-allemande :
8. Considérant qu'aux termes du paragraphe 4 de l'article 21 de la convention fiscale franco-allemande : " L'imposition d'un établissement stable qu'une entreprise d'un Etat contractant a dans l'autre Etat contractant n'est pas établie dans cet autre Etat d'une façon moins favorable que l'imposition des entreprises de cet autre Etat qui exercent la même activité " ;
9. Considérant, d'une part, qu'au regard de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, une société établie en Allemagne ayant une filiale ou un établissement stable en France est traitée de manière identique à une société établie en France ayant une filiale ou un établissement stable en France dès lors que le seuil d'assujettissement à cette contribution s'apprécie, dans tous les cas, soit au regard du chiffre d'affaires agrégé réalisé par la société et son établissement stable, soit au regard de la seule filiale française ; que, dès lors, le moyen tiré de ce qu'il existerait une différence de traitement selon le lieu d'établissement de la société ou selon la structure juridique de l'établissement secondaire de la société ne peut qu'être écarté ;
10. Considérant, d'autre part, que la société RREEF Investment GmbH n'est pas fondée à soutenir que son choix de créer en France un établissement stable plutôt qu'une filiale s'avère plus pénalisant s'agissant d'apprécier le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés dès lors qu'une société française qui aurait opté pour le même choix n'aurait pas été traitée différemment et, donc, plus favorablement au regard de ce choix ; que, dès lors, le moyen tiré de ce qu'il existerait, de ce fait, une différence de traitement à l'origine d'une discrimination prohibée par la convention fiscale franco-allemande doit être écarté ;
11. Considérant, enfin, que, pour l'appréciation du seuil d'assujettissement à cette contribution, une société allemande disposant d'un établissement stable en France est traitée de manière identique à une société française ne disposant d'aucun établissement stable à l'étranger dès lors que le chiffre d'affaires à retenir est, dans l'un comme l'autre cas, égal au chiffre d'affaires global réalisé par chacune de ces sociétés ; que la circonstance que le chiffre d'affaires global de la société française est, en l'absence d'établissement stable étranger, de source exclusivement nationale est sans incidence à cet égard ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que, pour le calcul du chiffre d'affaires à retenir pour l'appréciation du seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, une société allemande disposant d'un établissement stable en France serait traitée plus défavorablement qu'une société française ne disposant d'aucun établissement stable à l'étranger doit dès lors être rejeté ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société RREEF Investment GmbH de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés établie au titre de ses exercices clos en 2011 et 2012 ;
Sur les conclusions de la société RREEF Investment GmbH tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, la somme que la société défenderesse sollicite au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1307960, 1307971 du Tribunal administratif de Montreuil, en date du 13 avril 2015, est annulé.
Article 2 : Les contributions exceptionnelles sur l'impôt sur les sociétés auxquelles la société RREEF Investment GmbH a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 sont remises à sa charge.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société RREEF Investment GmbH sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
N° 15VE01732 5