Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 mars 2018 et complétée par des mémoires du 6 avril 2018, des 4 avril, 18 octobre et 23 décembre 2019 et du 19 décembre 2020, Mme D..., agissant en son nom propre et au nom de son fils mineur, représentée par Me Trombone, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner solidairement le centre hospitalier René Dubos de Pontoise et son assureur à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices subis ;
3°) avant-dire droit, d'ordonner une expertise pour évaluer les préjudices de l'enfant, leur imputabilité et leur lien de causalité avec les éventuels dysfonctionnements du service de gynécologie ;
4°) d'exécuter provisoirement l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le choix thérapeutique d'un accouchement par voie basse au lieu d'une césarienne est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;
- le service a fonctionné de manière déficiente du fait d'un manque de personnel et d'un retard de prise en charge ;
- toutes les mesures de surveillance et de sécurité qui s'imposaient n'ont pas été prises malgré l'aggravation de son état de santé ;
- le centre hospitalier a manqué à son obligation d'information ;
- son fils est lourdement handicapé, sa vie personnelle et familiale est fortement perturbée, elle a droit à la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis ;
- elle a subi un préjudice moral à raison du défaut d'information et son fils a dû subir de nombreux examens avant qu'un diagnostic puisse être posé.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Margerit, rapporteur public,
- et les observations de Me E... pour le centre hospitalier René Dubos.
Considérant ce qui suit :
1. Ressentant des contractions utérines alors qu'elle était enceinte, Mme D... a été admise, le 6 avril 2007, au centre hospitalier René Dubos. Le 7 avril 2007, l'équipe médicale a décidé de déclencher artificiellement le travail à 16 heures 15, avant la date prévue du terme, et de privilégier un accouchement par voie basse. Du fait d'une bradycardie du foetus intervenue après 18 heures 05, au cours de l'accouchement, la parturiente a été conduite au bloc opératoire où l'enfant a été extrait, inanimé, au moyen de spatules de Thierry, à 18 heures 18. Son fils souffrant, depuis la naissance, de plusieurs handicaps, Mme D... a sollicité le 23 novembre 2014, puis à nouveau le 13 mars 2015, une indemnisation au centre hospitalier René Dubos et à son assureur, en vain. Mme D... relève appel du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant sa demande de condamnation solidaire du centre hospitalier René Dubos et du Bureau européen d'assurance hospitalière à lui verser une somme de 80 000 euros, en réparation des préjudices subis à la fois par son fils et par elle-même.
Sur les fins de non-recevoir opposées en défense par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise et tirées des demandes nouvelles en appel :
2. En premier lieu, Mme D... soulève pour la première fois en cause d'appel, dans son mémoire du 18 octobre 2019, le moyen tiré du défaut d'information en faisant valoir que le centre hospitalier lui a laissé croire que l'accouchement par voie basse était sans risque pour elle et son enfant. Si le centre hospitalier fait valoir dans son mémoire du 2 décembre 2019 qu'il s'agirait d'une cause juridique nouvelle en appel et que cette demande est par suite irrecevable, il résulte de l'instruction qu'à l'appui de son action en responsabilité engagée contre le centre hospitalier René Dubos, Mme D... avait invoqué, dans le délai de recours contentieux, plusieurs fautes de l'hôpital relatives au choix thérapeutique et à ses conditions d'accouchement. Dès lors, elle est recevable à soulever pour la première fois en cause d'appel une nouvelle faute du centre hospitalier tirée d'un défaut d'information qui ne relève pas d'une cause juridique distincte.
3. En second lieu, il résulte de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question. La circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins, en application de ces dispositions, de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du foetus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir. En particulier, en présence d'une pathologie de la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse, l'intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention.
4. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. L'expert peut se voir confier une mission de médiation. Il peut également prendre l'initiative, avec l'accord des parties, d'une telle médiation. Si une médiation est engagée, il en informe la juridiction. Sous réserve des exceptions prévues par l'article L. 213-2, l'expert remet son rapport d'expertise sans pouvoir faire état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation. ".
5. Mme D... demande pour la première fois, dans son mémoire du 6 avril 2018, une expertise pour évaluer les préjudices de l'enfant, leur imputabilité et leur lien de causalité avec les éventuels dysfonctionnements du service de gynécologie du centre hospitalier René Dubos de Pontoise. Si le centre hospitalier fait valoir que la demande d'expertise présentée par Mme D... constitue une demande nouvelle en appel, il résulte des dispositions précitées de l'article R. 621-1 du code de justice administrative qu'il est toujours possible au juge d'ordonner une expertise qui relève de ses pouvoirs d'instruction pour autant que celle-ci présente un caractère utile. Il résulte de l'instruction que le dossier, qui ne comporte aucune expertise médicale contradictoire, n'apporte pas d'éléments précis sur les préjudices et leur imputabilité. En particulier, en l'absence de réponse à la mesure d'instruction diligentée par la cour, aucun élément du dossier ne permet de se prononcer sur le point de savoir si le centre hospitalier René Dubos de Pontoise aurait informé Mme D... des risques liés à un accouchement par voie basse, ni si une telle information aurait permis à l'intéressée de se soustraire au risque qui s'est réalisé. Ainsi, l'état du dossier ne permet pas à la cour de statuer sur les conclusions à fin d'indemnisation présentées par la requérante. Par suite, il y a lieu d'ordonner avant-dire droit une mesure d'expertise médicale aux fins précisées ci-après.
DECIDE :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de Mme D..., procédé par un expert gynécologue-obstétricien et un expert pédiatre, désignés par le président de la cour, à une expertise avec pour mission de :
1°) déterminer la nature et l'étendue des troubles subis par Mme D... et son fils B... ;
2°) fixer la date de consolidation de B... D... ;
3°) évaluer les préjudices résultant de ces troubles, en distinguant les préjudices avant et après consolidation et en indiquant, pour chacun de ces préjudices, dans quelle mesure il est imputable aux conséquences de l'accouchement ;
4°) déterminer si le choix d'un accouchement par voie basse et cet accouchement, compte tenu notamment d'un contexte d'utérus cicatriciel et d'une naissance avant terme, ont été décidés et effectués conformément aux règles de l'art ;
5°) déterminer si Mme D... a été informée par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise des risques liés à cet accouchement par voie basse ;
6°) déterminer si Mme D... avait une possibilité raisonnable de refuser un accouchement par voie basse et de chiffrer la perte de chance de l'intéressée de se soustraire aux risques qui se sont produits ;
7°) fournir à la cour tous éléments utiles à la solution du litige.
Article 2 : Pour l'accomplissement de leur mission, les experts se feront communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme D... et de son fils B..., notamment ceux concernant le suivi médical, les actes de soins et les diagnostics pratiqués sur Mme D... lors de sa prise en charge par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise ; ils pourront entendre toute personne du service hospitalier ayant participé aux actes de soin ; ils procéderont à l'examen sur pièces du dossier médical de Mme D..., ainsi qu'à l'examen clinique de son fils B....
Article 3 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre Mme D... et son fils B..., le centre hospitalier René Dubos de Pontoise, et la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis.
Article 4 : Les experts seront désignés par le président de la cour. Ils accompliront leur mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Le rapport d'expertise sera déposé en deux exemplaires dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de l'ordonnance de désignation des experts. Les experts en notifieront des copies aux parties intéressées.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.
N° 18VE00884 2