Procédure devant la Cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés les 2 août 2016 et 7 décembre 2017, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de remettre à la charge de la société Engie, anciennement GDF Suez SA, les impositions dont la décharge a été prononcée par le tribunal.
Il soutient que :
- les règles comptables, notamment l'article 212-1 du plan comptable général, interprétées par l'avis n° 00-01 du 20 avril 2000 du Conseil national de la comptabilité, l'avis publié au bulletin CNC n°49 du 4ème trimestre 1981 ainsi que l'avis de la commission des études comptables de la compagnie nationale des commissaires aux comptes publié par la Revue de Droit Fiscal n° 16 du 18 avril 2013, s'opposent à ce que soient provisionnées les cotisations futures à verser à la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG) eu égard à une augmentation à prévoir des cotisations pour accidents du travail et maladies professionnelles, dès lors que l'obligation de payer ces cotisations ne naît qu'au cours de l'exercice, postérieur, où les salariés concernés fournissent un travail générant cette obligation ;
- une telle provision pour augmentation des cotisations ne peut être déduite sur le fondement du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, dès lors que la charge ne peut pas être rattachée à l'exercice de sa constitution ; depuis le 1er janvier 2005, le fonctionnement du régime d'accidents du travail et maladies professionnelles de la branche des industries électriques et gazières (IEG) est assuré par la CNIEG ; la société Engie, anciennement GDF Suez SA, n'est donc plus directement engagée au versement des rentes pour accidents du travail et maladies professionnelles vis-à-vis des salariés de cette société mais est seulement tenue de s'acquitter auprès de la CNIEG, seule responsable du versement des rentes, de cotisations sociales qui, calculées en fonction de sa masse salariale rapportée à celle de la masse salariale de l'ensemble de la branche, ne sont pas destinées uniquement à couvrir les rentes de ses salariés mais aussi celles des autres salariés des IEG et se rattachent à l'exercice au cours duquel les salaires correspondant sont versés ; ainsi, les contributions des entreprises de la branche des IEG à la CNIEG ont la nature de cotisations sociales ;
- la charge correspondant à l'augmentation des cotisations ne peut pas être évaluée avec une approximation suffisante, en méconnaissance de l'article 39 du code général des impôts, dès lors que même si le montant total des engagements de la CNIEG dépend du nombre de salariés accidentés, la contribution annuelle de chaque société, dont l'intimée, ne dépend que du rapport de sa masse salariale sur la masse salariale totale de la branche IEG, alors que la provision litigieuse est calculée sur la base des personnes déjà en situation d'invalidité à la clôture de l'exercice et qu'il n'existe pas de lien direct de causalité entre les accidents ou maladies intervenus au sein d'une entreprise et le niveau de cotisation appelé par la CNIEG ; enfin, la provision constituée présente un caractère aléatoire puisqu'elle ne peut pas tenir compte des fluctuations de la masse salariale au cours de la période de paiement des cotisations.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 ;
- décret n° 2004-1354 du 10 décembre 2004 ;
- le décret n° 2005-278 du 24 mars 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chayvialle,
- et les conclusions de Mme Belle, rapporteur public.
1. Considérant que la société Engie, anciennement GDF Suez SA, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des exercices clos en 2009 et 2010, au terme de laquelle le service a remis en cause la déduction d'une provision que la société avait constituée à raison des contributions futures dont elle est redevable à l'égard de la Caisse nationale des Industries électriques et gazières (CNIEG) au titre de la couverture du risque d'accident du travail et de maladies professionnelles des salariés et anciens salariés des industries électriques et gazières ; que la société Engie, anciennement GDF Suez SA, société mère d'un groupe fiscal intégrée a été assujettie, à raison de ces rectifications, à des suppléments d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales au titre des exercices clos en 2009 et 2010 ; que, par jugement du
14 avril 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge de ces impositions supplémentaires ; que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS relève appel de ce jugement ;
Sur les conclusions du MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges ... notamment : / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provisions et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées, à cette date, par l'entreprise ; que, lorsque la nature des charges ou leurs caractéristiques interdisent de procéder autrement, elles peuvent faire l'objet d'une évaluation selon une méthode statistique à la condition que cette évaluation soit faite de manière précise et suffisamment détaillée et qu'elle prenne en compte notamment la probabilité de réalisation du risque lié à l'éloignement dans le temps ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la loi du 9 août 2004 : " I. - A compter du 1er janvier 2005, le fonctionnement du régime d'assurance vieillesse, invalidité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles des industries électriques et gazières prévu par l'article 47 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz est assuré par la caisse nationale des industries électriques et gazières. Elle est chargée de verser aux affiliés les prestations en espèces correspondantes, dans les conditions prévues au II, de recouvrer et de contrôler les cotisations, dans les conditions prévues au III, et de recouvrer et de contrôler la contribution tarifaire, dans les conditions prévues à l'article 18 de la présente loi (...) / La caisse nationale des industries électriques et gazières est un organisme de sécurité sociale de droit privé, doté de la personnalité morale. Elle est chargée d'une mission de service public au profit des personnels salariés et retraités des industries électriques et gazières dont le statut est fixé par l'article 47 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée (...) / II. - Les personnels salariés et retraités des industries électriques et gazières sont, à compter du 1er janvier 2005, affiliés de plein droit, pour les risques mentionnés au présent article, à la Caisse nationale des industries électriques et gazières. La caisse leur verse les prestations en espèces correspondantes (...) " ; qu'aux termes du I. de l'article 1er du décret n° 2004-1354 du 10 décembre 2004 : " La caisse nationale des industries électriques et gazières a pour rôle : / 1° De procéder, pour l'ouverture des droits aux prestations en espèces au titre des risques vieillesse, invalidité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles, à l'immatriculation et à la radiation de ses affiliés ; / 2° De recouvrer les recettes destinées au financement des prestations afférentes aux risques mentionnés ci-dessus, notamment les cotisations sociales, la contribution instituée par l'article 18 de la loi du 9 août 2004 susvisée, les cotisations ou contributions sociales recouvrées pour compte de tiers sur les prestations qu'elle sert aux ressortissants du régime ainsi que les recettes destinées à financer le service des prestations qu'elle sert en application du II du présent article ; / 3° D'assurer le service des prestations en espèces au titre des risques mentionnés au 1° du présent article ; / 4° D'exercer les missions relatives aux conventions financières passées avec la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, les fédérations d'institutions de retraite complémentaire prévues par l'article 19 de la loi du 9 août 2004 susvisée ; elle assure notamment le versement à leurs bénéficiaires des contributions exceptionnelles, forfaitaires et libératoires ; / 5° D'assurer la gestion de la trésorerie relative, d'une part, aux risques mentionnés au 1° du présent article et, d'autre part, au service des prestations prévues par le II du présent article ; / 6° D'évaluer, chaque année, le montant des droits spécifiques du régime d'assurance vieillesse de la branche des industries électriques et gazières pour les périodes validées au 31 décembre 2004 ; / 7° De donner, chaque année, aux entreprises de la branche les informations dont elle dispose et qui sont nécessaires à l'évaluation de leurs engagements comptables ; / 8° De recueillir auprès des entreprises, chaque année, les informations concernant les mesures qu'elles ont prises pour assurer le financement des droits spécifiques constitués à compter du 1er janvier 2005 (...) " ; qu'aux termes du I. de l'article 1er du décret n° 2005-278 du 24 mars 2005 : " Les recettes de la caisse nationale des industries électriques et gazières sont constituées par : (...) / 6° Le produit des cotisations dues par les employeurs au titre des risques invalidité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles (...) " ; qu'aux termes du I. de l'article 2 dudit décret : " Les cotisations mentionnées aux (...) 6° (...) du I de l'article 1er du présent décret sont assises, par dérogation à l'assiette définie à l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, sur les éléments de rémunération mentionnés au III de l'article 17 de la loi du 9 août 2004 susvisée, comprenant les rémunérations, salaires et traitements attribués à titre principal aux salariés, notamment la gratification de fin d'année et les majorations versées en application des articles 9 et 14 du statut national du personnel des industries électriques et gazières mentionné ci-dessus. " ; qu'aux termes du I de l'article 4 de ce décret : "Les taux des cotisations à la charge des employeurs mentionnées aux (...) 6° (...) du I de l'article 1er du présent décret sont déterminés par la caisse afin d'assurer un équilibre entre les charges et les produits au cours de chaque exercice : / 1° Le montant dû par chaque employeur est calculé sur la base d'un taux, fixé pour chaque exercice, et appliqué à la masse salariale au sens du I de l'article 2 du présent décret acquittée par l'employeur au titre des salariés relevant du statut national des industries électriques et gazières mentionné ci-dessus. Ce taux correspond au rapport entre le montant des charges du régime et celui de la masse salariale de l'ensemble des employeurs. Il intègre, le cas échéant, les prévisions d'évolution des charges au titre de l'exercice à venir, compte tenu, notamment, d'une modification des règles applicables ou de la démographie du régime ; / 2° En cas d'insuffisance de ressources, la caisse doit soit appeler une régularisation en cours d'exercice, soit augmenter les taux." ;
4. Considérant qu'il résulte des dispositions citées au point 3 que la création de la CNIEG n'a eu ni pour objet ni pour effet de transférer à cet organisme la responsabilité du financement des rentes pour accidents du travail et maladies professionnelles dues aux personnels et anciens personnels des industries électriques et gazières, lequel incombe aux employeurs, la caisse intervenant seulement comme gestionnaire de ces rentes ; que les contributions que sont tenues de verser, à cette fin, chaque année à la caisse les entreprises relevant du régime des accidents du travail et maladies professionnelles des industries électriques et gazières au titre de leur appartenance à ce régime correspondent à une quote-part du montant total des sommes nécessaires pour assurer, au titre de cette année, le service des rentes dues aux salariés et anciens salariés de la branche à l'égard desquels le risque s'est réalisé, calculée en appliquant à ce montant total de charges le ratio constaté, au titre de cette année, entre la masse salariale de chacune des entreprises concernées et celle de l'ensemble des entreprises relevant de la caisse ; que si ces charges futures apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de chaque exercice et se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date, dès lors qu'en dépit de son mode de calcul en pourcentage des salaires versés, l'obligation en cause trouve sa source non pas uniquement dans le versement des salaires futurs mais dans la réalisation passée du risque, la détermination du montant des contributions annuelles futures dues par chaque entreprise au titre du service des rentes relatives aux risques déjà réalisés, et partant celle de la somme actualisée de ces contributions, dépend du ratio qui sera observé chaque année à venir entre la masse salariale de l'entreprise en cause et celle de la totalité des entreprises relevant de la caisse ;
5. Considérant qu'il résulte, en premier lieu et ainsi qu'il a été dit au point 4, des dispositions combinées de la loi du 9 août 2004, des décrets des 10 décembre 2004 et 24 mars 2005, citées au point 3, que, contrairement à ce que soutient le ministre, la création de la CNIEG n'a eu ni pour objet ni pour effet de transférer à cet organisme la responsabilité du financement des rentes d'accidents du travail et maladies professionnelles dues aux personnels des industries électriques et gazières, lequel incombe à chaque employeur en vertu de son obligation de sécurité, mais a seulement conduit à confier à cet organisme le soin d'évaluer et de collecter les sommes dues par les entreprises à ce titre, de leur fournir les éléments d'information nécessaires à l'évaluation de leurs engagements comptables et de servir les prestations à leurs bénéficiaires ;
6. Considérant, en deuxième lieu, ainsi qu'il a également été dit au point 4, que l'obligation pour les employeurs affiliés à la Caisse nationale des industries électriques ou gazières au titre des risques invalidité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles de contribuer annuellement à la couverture des charges exposées à cette fin par cette caisse ne trouve pas, contrairement à ce que soutient le ministre, en dépit de son mode de calcul en pourcentage des salaires versés, son fait générateur au cours de l'exercice au titre duquel les salariés sont rémunérés de leur travail, mais dans la réalisation passée du risque assuré ; que cette obligation constitue ainsi un élément de passif existant à la clôture de l'exercice concerné mais dont l'échéance et le montant ne peuvent être fixés de manière certaine, de sorte qu'elle justifie, contrairement à ce que soutient le ministre, la constitution d'une provision, en conformité avec les prescriptions de la réglementation comptable ; qu'à cet égard, le ministre ne saurait utilement se prévaloir d'avis du Conseil national de la comptabilité rendus antérieurement à la création de la CNIEG, ou d'un avis de la commission des études comptables de la compagnie nationale des commissaires aux comptes émis en 2012 qui, outre qu'il n'ont pas force obligatoire et qu'ils sont relatifs aux cotisations du régime général de sécurité sociale, sont postérieurs aux exercices en cause dans la présente espèce ;
7. Considérant enfin qu'il résulte de l'instruction que la provision litigieuse a été calculée par application à la masse de salariale de la société Engie, venant aux droits de GDF Suez, du taux de contribution déterminé annuellement par la CNIEG selon le rapport entre le montant total des engagements dus au titre de l'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnels et la masse salariale des entreprises relevant du secteur de l'industrie électrique et gazière dans son ensemble ; que si la charge future supportée par chaque entreprise dépend de l'évolution de la part de sa propre masse salariale dans la masse salariale totale des entreprises de la branche, il résulte de l'instruction qu'eu égard aux caractéristiques du marché en cause, notamment à l'affirmation non contestée de la société Engie selon laquelle la plupart des nouveaux entrants sur ce marché ne relèvent pas de la CNIEG dès lors qu'ils ont la possibilité, conformément à loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, confirmée et précisée sur ce point par la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation des marchés de l'électricité, de demeurer soumis à un autre statut ou régime conventionnel, et à la position qu'y occupe la société Engie, anciennement GDF Suez SA, il pouvait raisonnablement être estimé, à la clôture de l'exercice au titre duquel la provision litigieuse a été déduite, que la part de la masse salariale de cette entreprise au sein de la masse salariale totale des entreprises relevant de la CNIEG ne présenterait pas des fluctuations de nature à regarder la provision constituée pour y faire face comme évaluée avec une précision insuffisante ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société Engie, anciennement GDF Suez SA des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2009 et 2010 à raison de la remise en cause des provisions pour rentes futures d'accidents du travail et de maladies professionnelles ;
Sur les conclusions de la société Engie, anciennement GDF Suez SA, tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à la société Engie, anciennement GDF Suez SA d'une somme de
2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES est rejeté.
Article 2 : L'État versera à la société Engie, anciennement GDF Suez SA, une somme de
2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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16VE02516