Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 27 juillet 2017 et le 5 janvier 2018, la SAS COMILOG FRANCE, représentée par Me Le Roux, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer le rétablissement de ses déficits reportables au 1er janvier 2010 à hauteur d'une somme de 104 430 187 euros et de la décharger des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés d'un montant de 2 539 778 euros auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice 2012 ;
3° de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS COMILOG FRANCE soutient que :
- c'est à tort que le service a rejeté la prise en compte des déficits constatés au
31 décembre 2003 qui demeuraient encore reportables au 1er janvier 2010, au motif que l'arrêt de la production sur son site industriel de Boulogne-sur-Mer et son recentrage sur son activité holding devaient être regardés comme caractérisant un " changement d'activité " au sens de l'article 221-5 du code général des impôts ; elle s'est en effet recentrée sur une activité préexistante qui n'avait rien de marginale en comparaison de l'activité abandonnée ; elle ne peut, en toute hypothèse, être regardée comme ayant cessé son activité de gestion industrielle de son site industriel de Boulogne-sur-Mer en 2003 dès lors qu'elle a continué à effectuer des opérations de démantèlement de ce site pour les besoins de la liquidation de son activité industrielle ;
- l'administration s'étant bornée, au cours de la procédure de redressement, à remettre en cause le principe même de la provision d'un montant de 8 800 000 euros passée au titre de son exercice clos en 2012 au motif que, compte tenu de son changement d'activité, elle ne pouvait imputer sur ses résultats cette provision pour risques destinée à faire face à des charges de remise en état d'un site qu'elle n'exploitait plus, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, saisie à sa demande, s'est déclarée incompétente lors de sa séance du 16 octobre 2014 ; que le motif tiré de l'absence de justification de l'existence probable de travaux complémentaires à ceux antérieurement provisionnés, soulève une question de fait qui relève de la compétence de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffres d'affaires ; que, dans ces conditions, sauf à la priver de la garantie que constitue la consultation de la commission, le ministre n'est pas fondé à invoquer ce nouveau motif ; la circonstance qu'elle ait cessé d'exercer son activité d'exploitation du site de Boulogne-sur-Mer ne faisait pas obstacle à ce qu'elle provisionne les risques liés à la remise en état du site ;
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Campoy,
- et les conclusions de Mme Belle, rapporteur public,
1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société anonyme (SA) COMILOG FRANCE, devenue en 2012 la société par actions simplifiée (SAS) COMILOG FRANCE, exerçait jusqu'au mois de décembre 2003 une activité industrielle de production et de vente de ferromanganèse carburé sur son site de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) et exploitait jusqu'au mois de décembre 2007 le centre de stockage de déchets dit de Manihen, situé à proximité de Boulogne-Sur-Mer, à cheval sur les communes de Saint-Etienne-au-Mont et d'Outreau ; qu'elle avait, par ailleurs, développé à compter de 1992 une activité de gestion des participations détenues dans ses filiales, notamment, au sein de la société en nom collectif (SNC) Comilog Dunkerque ; qu'après avoir cessé ses activités de production et de stockage, elle a procédé au démantèlement des installations existantes et à la remise en état des terrains d'assiette de ces installations, tout en continuant de percevoir les produits financiers s'attachant à ses participations ; qu'elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant, en matière d'impôt sur les sociétés, sur ses exercices clos le 31 décembre des années 2010 à 2012 ; qu'à l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a estimé qu'à la suite de l'arrêt de ses activités industrielles sur le port de Boulogne-sur-Mer en décembre 2003, la société avait opéré un changement d'activité entraînant la cessation de son activité initiale et qu'elle ne pouvait, pour ce motif, reporter sur les bénéfices réalisés au cours de ses exercices clos en 2010 et en 2011 dans le cadre de son activité de gestion de participations, le déficit d'un montant de 104 430 187 euros constaté au titre de son exercice clos en 2003 résultant de l'exercice de ses activités industrielles ; que l'administration a, en outre, assujettie la SAS COMILOG FRANCE à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés au titre de son exercice clos en 2012 au motif que la société ne pouvait déduire du résultat de son activité financière une provision pour risques et charges de 8 800 000 euros destinée à faire face à des charges liées à son ancienne activité d'exploitante industrielle ; que la SAS COMILOG FRANCE relève appel du jugement du 6 juin 2017 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant au rétablissement de ses déficits reportables au 1er janvier 2010 à hauteur d'une somme de 104 430 187 euros et à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés susmentionnées ;
Sur le déficit reportable :
2. Considérant qu'il résulte des dispositions du I de l'article 209 du code général des impôts relatif à la détermination de la base de l'impôt sur les sociétés, d'une part, qu'en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice et, d'autre part, que si ce bénéfice n'est pas suffisant pour que la réduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté successivement sur les exercices suivants ; qu'en vertu des dispositions du 5 de l'article 221 du même code, le changement de l'objet social ou de l'activité réelle d'une société emporte cessation d'entreprise ;
3. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que la mise en oeuvre du droit au report déficitaire est subordonnée notamment à la condition qu'une société n'ait pas subi, dans son activité, des transformations telles qu'elle n'est plus, en réalité, la même ; que de telles transformations dans l'activité d'une société, qui doivent être regardées comme emportant cessation d'entreprise, font obstacle à ce que celle-ci puisse reporter un déficit antérieur à son changement d'activité sur le bénéfice d'un exercice postérieur à ce changement ;
4. Considérant qu'il est constant que la SA COMILOG FRANCE a cessé, le
15 décembre 2003, la production de ferromanganèse sur le port de Boulogne-sur-Mer ce qui a conduit à la mise en oeuvre, en 2004, d'un plan social touchant une très grande partie du personnel employé sur ce site, à l'arrêt de tout achat de marchandises, à la dépréciation intégrale de ses moyens de production, puis à leur disparition par l'effet des opérations de démantèlement intervenues dans le courant de l'année 2005 ainsi qu'à la baisse de son chiffre d'affaires industriel, qui de 88 766 465 euros en 2003, est passé à 43 087 689 euros en 2004 à raison de la vente des productions encore en stock au 31 décembre 2003, pour être ensuite ramené à 2 786 601 euros en 2005, puis à zéro de 2008 à 2012 ; que si la société s'est concomitamment recentrée sur son activité financière, les produits correspondants ne s'élevaient qu'à 61 022 euros à la clôture de son exercice 2002 pour un chiffre d'affaires industriel de 108 030 048 euros, et représentaient seulement 908 770 euros à la clôture de l'exercice suivant pour un chiffre d'affaires lié à son activité industrielle de 88 766 465 euros ; que l'investissement réalisé dans ses diverses lignes de participation au moment de la mise à l'arrêt de l'usine de Boulogne-sur-Mer d'un montant de 27 524 020 euros représentait moins du quart de la valeur de ses actifs immobilisés et de ses stocks industriels ; que l'activité de gestion de titres de participations sur laquelle la société requérante s'est recentrée à compter de son exercice 2003 présentait ainsi, à cet époque, un caractère marginal au regard de l'importance de son activité industrielle même si, à la différence de son activité industrielle, elle contribuait de manière positive aux résultats de la société ; que c'est, par suite, à juste titre que l'administration a estimé que la transformation subie par la société requérante devait être regardée comme emportant cessation d'entreprise au sens des dispositions précitées du 5 de l'article 221 du code général des impôts et qu'elle a remis en cause pour ce motif le report du déficit né de l'exercice de son activité industrielle à la clôture l'exercice clos en 2003, sur le résultat de son activité financière au titre de ses exercices 2010 et 2011 ;
Sur la provision :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 221 bis du code général des impôts : " En l'absence de création d'une personne morale nouvelle, lorsqu'une société ou un autre organisme cesse totalement ou partiellement d'être soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal, les bénéfices en sursis d'imposition (...) ne font pas l'objet d'une imposition immédiate, à la double condition qu'aucune modification ne soit apportée aux écritures comptables et que l'imposition desdits bénéfices (...) demeure possible sous le nouveau régime fiscal applicable à la société ou à l'organisme concerné. (...) " ; qu'aux termes de l'article 221 du code général des impôts : " (...) 5. Le changement de l'objet social ou de l'activité réelle d'une société emporte cessation d'entreprise (...) " ;
6. Considérant qu'il est constant qu'à la clôture de l'exercice 2012, la SAS COMILOG FRANCE a comptabilisé en franchise d'impôt un complément de provision pour risques et charges de 8 800 000 euros destiné à faire face aux travaux de remise en état futurs du centre de stockage de déchets de Manihen dont l'exploitation avait cessé le 27 décembre 2007 ; que l'administration, tant au cours de la procédure d'imposition que devant le tribunal administratif et la cour, remet en cause le principe de cette provision, sans en contester les modalités de calcul ;
7. Considérant qu'il ressort des dispositions combinées du 5 de l'article 221 et de l'article 221 bis du code général des impôts que si le changement de l'activité réelle d'une société emporte cessation d'entreprise, les bénéfices en sursis d'imposition parmi lesquels figurent les provisions pour risque ne font l'objet d'une imposition immédiate que lorsque les conditions tenant à l'absence de modification des écritures comptables et au maintien de l'imposition des bénéfices et plus-values sous le nouveau régime fiscal applicable à la société concernée, ne sont pas remplies ; qu'il ne résulte pas de l'instruction et qu'il n'est d'ailleurs pas allégué par le ministre que tel serait le cas en l'espèce ; qu'ainsi, la seule circonstance que la SAS COMILOG FRANCE ait abandonné son activité industrielle à la fin de l'année 2003, ne pouvait, à elle seule, justifier la remise en cause de la provision constituée par cette dernière à la clôture de son exercice 2012 à l'effet de faire face aux risques éventuels liés à la remise en état de ses installations ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAS COMILOG FRANCE est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés résultant de la réintégration dans le résultat imposable de son exercice clos en 2012 de la somme de 8 800 000 euros ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu' il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SAS COMILOG FRANCE d'une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La SAS COMILOG FRANCE est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés résultant de la réintégration dans le résultat imposable de son exercice clos en 2012 de la somme de
8 800 000 euros.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Montreuil n° 1509537 du 6 juin 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la SAS COMILOG FRANCE une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SAS COMILOG FRANCE est rejeté.
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N° 17VE02472