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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code des transports ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Les articles L. 5543-2 et L. 5543-2-1 du code des transports prévoient qu'à bord des navires, la représentation des gens de mer est assurée par les délégués de bord, élus par les gens de mer travaillant à bord du navire, qui ont pour mission de présenter au capitaine leurs réclamations individuelles ou collectives, de les assister dans leurs plaintes ou réclamations individuelles et de saisir l'inspection du travail ou l'autorité maritime de toutes plaintes et observations relatives à l'application des dispositions légales et conventionnelles dont ces autorités sont chargées d'assurer le contrôle.
2. Les requêtes visées ci-dessus doivent, eu égard aux moyens qu'elles soulèvent, être regardées comme tendant à l'annulation des dispositions de l'article 14 du décret du 15 décembre 2015 relatif au délégué de bord sur les navires, pris pour l'application de l'article L. 5543-2-1 du code des transports, qui prévoient l'inéligibilité à ce mandat de l'officier chargé de la suppléance du capitaine, ainsi que de ses parents et alliés. Ces requêtes étant dirigées contre les mêmes dispositions, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur la recevabilité des requêtes :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ". Les requêtes du syndicat national des cadres navigants de la marine marchande - Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres Officiers (C.F.E. - C.C.C. - Officiers) et du syndicat national des personnels navigants et sédentaires de la marine marchande Confédération française des travailleurs chrétiens (C.F.T.C.) comportent un exposé suffisant des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge.
4. En deuxième lieu, eu égard à la portée du décret du 15 décembre 2015, qui est relatif au délégué de bord sur les navires et dont l'article 14 fixe les conditions d'éligibilité à cette institution représentative du personnel destinée à assurer la représentation des gens de mer à bord des navires, le syndicat national C.F.T.C. des personnels navigants et sédentaires de la marine marchande, qui a pour objet, en vertu de ses statuts, de défendre à l'égard des marins et officiers des compagnies de navigation les intérêts prévus par l'article L. 2131-1 du code du travail, et le syndicat national des cadres navigants de la marine marchande C.F.E. - C.G.C. - Officiers, qui a pour objet, en vertu de ses statuts, de défendre les mêmes intérêts à l'égard des officiers et élèves officiers de la marine marchande, justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour demander l'annulation des dispositions de l'article 14 de ce décret prévoyant l'inéligibilité au mandat de délégué de bord sur les navires de l'officier chargé de la suppléance du capitaine, ainsi que de ses parents et alliés.
5. En troisième lieu, il ressort des pièces des dossiers que l'action du syndicat national des cadres navigants de la marine marchande C.F.E. - C.G.C. - Officiers a été engagée par son secrétaire général, M. C...D..., qui tient des statuts de ce syndicat qualité pour le représenter en justice et que celle du syndicat national C.F.T.C. des personnels navigants et sédentaires de la marine marchande l'a été par son vice-président, M. A...B..., qui a reçu mandat du bureau, ainsi que le permettaient les statuts de cette organisation, pour la représenter en justice.
6. Par suite, le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer n'est pas fondé à soutenir que les requêtes seraient irrecevables, faute pour les syndicats requérants d'avoir énoncé les conclusions soumises au juge et de justifier de leur intérêt pour agir et de la qualité de leur signataire.
Sur la légalité du décret attaqué :
7. Si le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose que " tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ", l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical. Il en résulte que c'est au législateur qu'il incombe de déterminer, dans le respect du principe énoncé au huitième alinéa du Préambule de 1946, les conditions et garanties de sa mise en oeuvre et, en particulier, les modalités selon lesquelles la représentation des travailleurs est assurée dans l'entreprise. C'est à lui que revenait, à ce titre, de prévoir les conditions dans lesquelles l'éligibilité des salariés des entreprises d'armement maritime aux institutions représentatives du personnel pourrait être limitée dans la mesure nécessaire à la prise en compte des contraintes propres à la vie à bord.
8. Le livre III de la deuxième partie du code du travail rassemble les dispositions relatives aux institutions représentatives du personnel. Aux termes de l'article L. 5543-2 du code des transports : " Les conditions d'application aux entreprises d'armement maritime des dispositions du livre III de la deuxième partie du code du travail sont fixées, compte tenu des adaptations nécessaires, par décret en Conseil d'Etat. / A bord des navires, la représentation des gens de mer est assurée par les délégués de bord ". L'article L. 5543-2-1 du même code dispose que : " I. - Les délégués de bord ont pour mission : / 1° De présenter au capitaine les réclamations individuelles ou collectives des gens de mer relatives à l'application du présent livre et aux conditions de vie à bord ; / 2° D'assister les gens de mer dans leurs plaintes ou réclamations individuelles ; / 3° De saisir l'inspection du travail ou l'autorité maritime de toutes plaintes et observations relatives à l'application des dispositions légales et conventionnelles dont ces autorités sont chargées d'assurer le contrôle. / II. - Les délégués de bord sont élus par les gens de mer travaillant à bord du navire. / III. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application du présent article. Il précise notamment : / 1° L'effectif à partir duquel est organisée l'élection ; / 2° Le nombre de délégués à élire en fonction de l'effectif du navire et la durée de leur mandat ; / 3° L'organisation des candidatures, des élections et des modalités de contestation (...) ". L'article 14 du décret attaqué prévoit que sont éligibles à la fonction de délégué de bord " tous électeurs âgés de dix-huit ans révolus, à l'exception du capitaine et de l'officier chargé de sa suppléance, des conjoints, partenaires d'un pacte civil de solidarité, concubins, ascendants, descendants, frères, soeurs et alliés au même degré de l'armateur, du capitaine et de l'officier chargé de sa suppléance ".
9. D'une part, si l'article L. 5543-2 du code des transports, cité ci-dessus, habilite le pouvoir réglementaire, agissant par voie de décret en Conseil d'Etat, à fixer les conditions d'application aux entreprises d'armement maritime des dispositions du code du travail relatives aux institutions représentatives du personnel, il n'a ni pour objet ni pour effet de permettre au pouvoir réglementaire de rendre l'officier chargé de la suppléance du capitaine inéligible au mandat de délégué de bord sur les navires qui, s'il présente des similitudes avec celui de délégué du personnel, pour lequel l'article L. 2314-16 du code du travail a prévu l'inéligibilité de l'employeur et de ses parents et alliés, n'est pas au nombre des institutions représentatives du personnel établies par les dispositions du livre III de la deuxième partie du code du travail et dont l'existence, propre aux entreprises d'armement maritime, résulte directement du deuxième alinéa de l'article L. 5543-2 du code des transports. Cette inéligibilité, qui relève des modalités selon lesquelles la représentation des gens de mer est assurée à bord des navires, excède le champ des modalités d'application de l'article L. 5543-2-1 du même code, dont le III de cet article renvoie la détermination à un décret en Conseil d'Etat, notamment s'agissant de " l'organisation des candidatures ".
10. D'autre part, l'officier chargé de suppléer le capitaine ne détient pas habituellement, à bord du navire, les pouvoirs qui conduisent à assimiler le capitaine, qui, selon le premier alinéa de l'article L. 5412-2 du code des transports, " est désigné par le propriétaire du navire ou, en cas d'affrètement, par l'armateur (...) ", à celui-ci ou à son représentant. Il ne se trouve dans une situation différente de celle des autres gens de mer, au regard de l'objet du mandat de délégué de bord tel qu'il est défini par l'article L. 5543-2-1 du code des transports cité au point 8, que lorsqu'il est appelé à exercer les attributions du capitaine, du seul fait de l'empêchement de ce dernier à exercer ses fonctions. Au demeurant, rien ne s'opposerait à ce que, si cet officier venait à exercer les fonctions de capitaine, le mandat de délégué de bord soit alors exercé par son suppléant élu en application de l'article 9 du décret attaqué. Par suite, la situation de l'officier chargé de la suppléance du capitaine au regard de l'objet du mandat de délégué de bord ne saurait être assimilée à celle du capitaine.
11. Il en résulte qu'en prévoyant l'inéligibilité aux fonctions de délégué de bord de l'officier chargé de la suppléance du capitaine, ainsi que de son conjoint, partenaire d'un pacte civil de solidarité, ou concubin et de ses ascendants, descendants, frères, soeurs et alliés au même degré, le pouvoir réglementaire a excédé sa compétence.
12. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens des requêtes, les syndicats requérants sont fondés à demander l'annulation des dispositions de l'article 14 du décret attaqué prévoyant l'inéligibilité au mandat de délégué de bord sur les navires de l'officier chargé de la suppléance du capitaine, ainsi que de ses parents et alliés, qui sont divisibles des autres dispositions du décret.
D E C I D E :
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Article 1er : Sont annulés, à l'article 14 du décret du 15 décembre 2015, les mots : " et de l'officier chargé de sa suppléance ".
Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat national des cadres navigants de la marine marchande - Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres Officiers, au syndicat national des personnels navigants et sédentaires de la marine marchande - Confédération française des travailleurs chrétiens, au Premier ministre et à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer.