3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser à chacune des requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité de fonctionnement de l'Union Européenne, notamment ses articles 20 et 21 ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yves Doutriaux, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme E... F..., rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil, dans leur rédaction applicable au présent litige : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai d'un an à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".
2. Il ressort des pièces du dossier que Mme D..., ressortissante camerounaise, a souscrit le 2 octobre 2012 une déclaration d'acquisition de la nationalité française dans laquelle elle indiquait être la mère d'un enfant, né le 10 juillet 2007, Jordy B..., de nationalité française en raison de la reconnaissance de paternité de M. I... G..., de nationalité française. Au vu de ses déclarations, l'intéressée a été naturalisée par décret du 3 décembre 2013, ainsi que sa fille, Mme J..., à raison de l'effet collectif attaché à cette naturalisation. Toutefois, par courriel reçu le 30 octobre 2017, le préfet de police de Paris a informé le ministre chargé des naturalisations de ce que, par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 28 mars 2017, la reconnaissance de paternité de M. G... envers l'enfant A... B... avait été annulée et que, par un arrêté du 27 octobre 2017, le préfet de police de Paris avait procédé au retrait pour fraude des cartes de séjour précédemment délivrées à Mme D.... Par décret du 28 octobre 2019, le Premier ministre a rapporté le décret du 3 décembre 2013 de naturalisation de Mme D... au motif qu'il n'avait été pris qu'à raison des manoeuvres frauduleuses de l'intéressée. Mme D... et Mme J... demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.
3. En premier lieu, le décret attaqué énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde et est, dès lors, suffisamment motivé.
4. En deuxième lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 62 et 59 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un décret de naturalisation, il notifie, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les motifs de droit et de fait motivant le retrait à l'intéressé, qui dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification pour faire parvenir ses observations en défense.
5. Il ressort des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur a indiqué à Mme D... et Mme J... les motifs justifiant le retrait du décret ayant prononcé la naturalisation de Mme D... par des lettres datées, respectivement, des 12 décembre 2018 et 23 août 2019. Les lettres ont été expédiées aux noms et aux adresses des intéressées avec demande d'avis de réception. Elles ont été présentées aux domiciles, d'une part, de Mme D..., le 14 décembre 2018 et, d'autre part, de Mme J..., le 24 août 2019 mais n'ont pas été réclamées par les intéressées aux services postaux, qui ont retourné les plis au ministre après expiration du délai de mise en instance postal. Ces notifications doivent être regardées, faute pour les intéressées d'avoir pris toutes les dispositions utiles pour retirer les plis qui leur avait été régulièrement adressés, comme étant intervenues aux dates de première présentation du pli par les services postaux, soit le 14 décembre 2018 pour Mme D... et le 24 août 2019 pour Mme J.... Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait illégal faute pour les intéressées d'avoir pu présenter leurs observations en défense ne peut qu'être écarté.
6. En troisième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de Mme D... commence à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressé est portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. Il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs à l'annulation de la reconnaissance de paternité de l'enfant A... B... et au retrait des cartes de séjour de Mme D... que le 30 octobre 2017, date à laquelle ils ont reçu ces informations, transmises par courriel du préfet de police de Paris. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 28 octobre 2019, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil.
7. En quatrième lieu, la définition des conditions et de la perte de la nationalité relève de la compétence de chaque Etat membre de l'Union européenne. Toutefois, dans la mesure où la perte de nationalité d'un Etat membre a pour conséquence la perte du statut de citoyen de l'Union, la perte de la nationalité d'un Etat membre doit, pour être conforme au droit de l'Union, répondre à des motifs d'intérêt général et être proportionnée à la gravité des faits qui la fondent, au délai écoulé depuis l'acquisition de la nationalité et à la possibilité pour l'intéressé de recouvrer une autre nationalité. L'article 27 2 du code civil permet de rapporter, dans un délai de deux ans, un décret qui a conféré la nationalité française au motif que l'intéressé ne remplit pas les conditions mises par la loi à l'acquisition de la nationalité française. Ces dispositions ne sont pas incompatibles avec les exigences résultant du droit de l'Union et permettaient en l'espèce, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fonde, de rapporter légalement le décret attaqué. En outre, Mme D... n'apporte aucun élément de nature à établir qu'elle aurait perdu sa nationalité d'origine ou ne pourrait la recouvrer. Par suite, le Premier ministre a pu légalement prendre le décret attaqué.
8. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur les liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, Mme D... ne saurait utilement se prévaloir d'une éventuelle perte de son emploi de fonctionnaire hospitalière, au demeurant non établie, et de la durée de son séjour sur le territoire français pour soutenir que le décret attaqué porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme D... et Mme J... ne sont pas fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 octobre 2019 par lequel le Premier Ministre a rapporté le décret du 3 décembre 2013. Leurs conclusions à fins d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de Mme D... et Mme J... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme C... D..., Mme H... J... et au ministre de l'intérieur.