- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bertrand Mathieu, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude " ; que, selon l'article 59 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, applicable en vertu de l'article 62 du même décret en cas de retrait de décret de naturalisation ou de réintégration décidé en application de l'article 27-2 du code civil, lorsque le Gouvernement a l'intention de retirer un tel décret, il notifie, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les motifs de droit et de fait motivant le retrait à l'intéressé, qui dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification pour faire parvenir ses observations en défense ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.A..., ressortissant tunisien, a déposé une demande de naturalisation le 23 juillet 2014, par laquelle il a indiqué qu'il était divorcé et qu'il n'avait pas d'enfants ; qu'au vu de ses déclarations, il a été naturalisé par un décret du 14 janvier 2015 ; que, toutefois, le ministre des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations le 22 décembre 2015 que M. A...avait épousé en Tunisie, le 8 février 2014, une ressortissante tunisienne résidant habituellement en Tunisie ; que, par le décret attaqué, le Premier ministre a rapporté le décret du 14 janvier 2015 prononçant la naturalisation de M. A...au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que l'intention du ministre chargé des naturalisations de saisir le Conseil d'Etat d'un projet de décret portant retrait du décret du 14 janvier 2015 a été adressé à M. A...le 29 février 2016 ; que l'intéressé a été informé du délai d'un mois dont il disposait à compter de la notification pour faire valoir ses observations ; que M. A...a adressé des observations au ministre par lettre du 8 mars 2016, reçue le 14 mars, lesquelles ont été portées par le ministre à la connaissance de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat avant qu'elle n'émette un avis sur le projet de décret, ainsi que l'indiquent les mentions du décret attaqué ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles procédurales fixées par le décret du 30 décembre 1993 ne peut qu'être écarté ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que le décret attaqué comporte l'indication des éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde et est ainsi suffisamment motivé ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 21-16 du code civil : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation " ; qu'il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts ; que, pour apprécier si cette dernière condition est remplie, l'autorité administrative peut notamment prendre en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation familiale en France de l'intéressé ; que, par suite, la circonstance que le requérant ait été marié en Tunisie avec une ressortissante tunisienne résidant dans ce pays était de nature à modifier l'appréciation qui a été portée par l'autorité administrative sur la fixation du centre de ses intérêts ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A...avait épousé en Tunisie, le 8 février 2014, une ressortissante tunisienne résidant en Tunisie, avant de déposer sa demande d'acquisition de la nationalité française ; qu'il a toutefois déclaré sur l'honneur qu'il était divorcé d'une précédente union en déposant sa demande le 23 juillet 2014 ; qu'au cours de l'entretien à la sous-préfecture du Raincy qui s'est déroulé le même jour, il n'a mentionné, au titre des attaches qu'il conservait avec son pays d'origine, que son père et sa soeur ; qu'alors qu'il maîtrise la langue française comme en atteste le procès-verbal d'assimilation, il ne pouvait se méprendre sur le sens de la déclaration sur l'honneur qu'il a signée le 23 juillet 2014 en déposant sa demande et par laquelle il certifiait exactes et complètes les indications données sur sa situation personnelle et familiale ; qu'en omettant d'indiquer le mariage contracté le 8 février 2014, il doit ainsi être regardé comme ayant sciemment dissimulé la réalité de sa situation familiale ; que, par suite, en rapportant le décret lui ayant conféré la nationalité française, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil ;
7. Considérant, en quatrième lieu, qu'un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale ; qu'en revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée ; qu'en l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. A... garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.