2°) d'annuler ces opérations électorales.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- le code de procédure civile ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- la loi n° 2020-760 du 22 juin 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 ;
- la décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 dans la commune du Lardin-Saint-Lazare (Dordogne), les dix-neuf sièges de conseillers municipaux et les quatre sièges de conseillers communautaires ont été pourvus. Quinze des sièges de conseillers municipaux et trois des quatre sièges de conseillers communautaires ont été attribués à la liste " Le Lardin-Saint-Lazare - un nouveau départ ", conduite par Mme D... A..., qui a obtenu 54,27 % des suffrages exprimés, tandis que les quatre autres sièges de conseillers municipaux et le dernier siège de conseiller communautaire ont été attribués à des candidats de la liste " Le Lardin-Saint-Lazare continuons ensemble pour vous et avec vous " conduite par M. B..., maire sortant, qui a obtenu 45,72 % des suffrages exprimés. M. B... relève appel de l'ordonnance du 17 juillet 2020 par laquelle le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté, comme tardive, sa protestation tendant à l'annulation de ces opérations électorales et refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.
2. L'article R. 119 du code électoral dispose : " Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal, sinon être déposées, à peine d'irrecevabilité, au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture. Elles sont immédiatement adressées au préfet qui les fait enregistrer au greffe du tribunal administratif. / Les protestations peuvent également être déposées directement au greffe du tribunal administratif dans le même délai (...) ".
3. L'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a autorisé le Gouvernement, pendant trois mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, " toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi (...) 2° (...) b) Adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d'un droit, fin d'un agrément ou d'une autorisation ou cessation d'une mesure, à l'exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. Ces mesures sont rendues applicables à compter du 12 mars 2020 (...) ". Sur le fondement de cette habilitation, le 3° du II de l'article 15 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif dispose que : " Les réclamations et les recours mentionnées à l'article R. 119 du code électoral peuvent être formées contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour, fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020 dans les conditions définies au premier alinéa du III de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 susvisée ou, par dérogation, aux dates prévues au deuxième ou troisième alinéa du même III du même article ". Aux termes de l'article 1er du décret du 14 mai 2020 définissant la date d'entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dont le conseil municipal a été entièrement renouvelé dès le premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020 : " (...) les conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet lors du scrutin organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction le 18 mai 2020 ".
4. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, combinées avec celles du second alinéa de l'article 642 du code de procédure civile selon lesquelles " Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant ", que les réclamations contre les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pouvaient être formées au plus tard le lundi 25 mai 2020 à dix-huit heures.
5. La protestation de M. B... a été enregistrée le 29 mai 2020 au greffe du tribunal administratif de Bordeaux, soit après l'expiration du délai de recours. Il résulte néanmoins de l'instruction que cette protestation a été déposée au bureau de poste le jeudi 14 mai 2020, soit onze jours avant l'expiration du délai imparti. En l'absence de circonstances particulières propres à la période considérée et de nature à rendre prévisible un allongement de la durée d'acheminement du courrier, cette protestation doit être regardée comme ayant été remise au service postal en temps utile pour parvenir dans le délai imparti pour contester les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020. Par suite, il y a lieu d'annuler l'ordonnance attaquée.
6. Le délai imparti au tribunal administratif pour statuer sur des protestations dirigées contre les opérations électorales est expiré. Le tribunal administratif se trouvant en conséquence dessaisi, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de statuer sur la protestation de M. B..., à l'appui de laquelle ce dernier a présenté une question prioritaire de constitutionnalité.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
7. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
En ce que la question prioritaire de constitutionnalité est dirigée contre les dispositions du premier et du dernier alinéas du I de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 :
8. L'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 dispose au premier alinéa du paragraphe I que : " Lorsque, à la suite du premier tour organisé le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, un second tour est nécessaire pour attribuer les sièges qui n'ont pas été pourvus, ce second tour, initialement fixé au 22 mars 2020, est reporté au plus tard en juin 2020, en raison des circonstances exceptionnelles liées à l'impérative protection de la population face à l'épidémie de covid-19. Sa date est fixée par décret en conseil des ministres, pris le mercredi 27 mai 2020 au plus tard si la situation sanitaire permet l'organisation des opérations électorales au regard, notamment, de l'analyse du comité de scientifiques institué sur le fondement de l'article L. 3131-19 du code de la santé publique ", et au dernier alinéa du même paragraphe que : " Dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d'arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution ". Par sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions des premier et quatrième alinéas du paragraphe I de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 conformes à la Constitution. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ne peut qu'être écarté.
En ce que la question prioritaire de constitutionnalité est dirigée contre le deuxième alinéa du I de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 :
9. Aux termes du deuxième alinéa du I de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 : " Si la situation sanitaire ne permet pas l'organisation du second tour au plus tard au mois de juin 2020, le mandat des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d'arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains concernés est prolongé pour une durée fixée par la loi. Les électeurs sont convoqués par décret pour les deux tours de scrutin, qui ont lieu dans les trente jours qui précèdent l'achèvement des mandats ainsi prolongés ". Ces dispositions ont pour objet de prévoir, s'agissant des conseils municipaux qui n'ont pas été élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020, la convocation des électeurs pour les deux tours de scrutin, dans le cas où la situation sanitaire ne permettrait pas l'organisation du seul second tour au plus tard au mois de juin 2020, ainsi que la prorogation du mandat des membres de ces conseils.
10. Ainsi qu'il est dit au point 1, le conseil municipal du Lardin-Saint-Lazare a été élu dès le premier tour des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020. Par suite, les dispositions du deuxième alinéa du I de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 ne sont pas applicables au litige dont est saisi le Conseil d'Etat au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ne peut qu'être écarté.
Sur les griefs :
11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 262 du code électoral, applicable aux communes de mille habitants et plus : " Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application des dispositions du troisième alinéa ci-après. / Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour (...) ". Aux termes de l'article L. 273-8 du code électoral : " Les sièges de conseiller communautaire sont répartis entre les listes par application aux suffrages exprimés lors de cette élection des règles prévues à l'article L. 262. (...) ".
12. Ni par ces dispositions, ni par celles de la loi du 23 mars 2020 le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.
13. En l'espèce, M. B... fait seulement valoir que les personnes fragiles, et en particulier les personnes âgées, ont été soit empêchées d'aller voter, en ce qui concerne les résidents des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ou des maisons de retraite, confinés préventivement, soit dissuadées d'aller voter. Toutefois, il n'invoque aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu'il existerait un lien entre une abstention des personnes âgées de la commune plus marquée qu'au niveau national, à la supposer établie, et un plus faible nombre de suffrages exprimés en faveur de la liste qu'il conduisait, ou que le vote par procuration aurait été rendu impossible dans la commune. Dans ces conditions, le niveau de l'abstention constatée, qui est en tout état de cause inférieur de près de vingt points à celui constaté au niveau national, ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin.
14. En deuxième lieu, la prise en compte de l'élection régulière des conseillers municipaux élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 résulte des dispositions du I de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 citées au point 9. Par suite, M. B... ne peut utilement soutenir que la prise en compte des élections acquises dès le 15 mars 2020 porterait atteinte à l'égalité du suffrage entre les communes dont la totalité des sièges de conseillers municipaux et communautaires ont été pourvus le 15 mars 2020 et les autres communes.
15. En dernier lieu, si M. B... soutient que l'annulation d'une réunion publique, après les déclarations du Premier ministre sur la situation sanitaire, l'aurait empêché de répondre aux arguments avancés dans un tract distribué le vendredi 13 mars par la liste concurrente, ce grief n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B..., que celui-ci n'est pas fondé à demander l'annulation des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires dans la commune du Lardin-Saint-Lazare. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas partie à la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance n° 2002296 du 17 juillet 2020 du président du tribunal administratif de Bordeaux est annulée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....
Article 3 : La protestation de M. B... est rejetée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C... B..., à Mme D... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.