Procédures devant le Conseil d'Etat
1° Sous le n° 421679, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 juin et 2 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge du médecin conseil, chef de service de l'échelon local du contrôle médical de Seine-Saint-Denis la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire distinct, enregistré le 2 juillet 2018, présenté en application de l'article R. 771-16 du code de justice administrative, M. B...conteste le refus opposé par la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 145-1 et L. 145-7 du code de la sécurité sociale.
2° Sous le n° 421878, par une requête, enregistrée le 2 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner, en application de l'article L. 821-5 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution de la même décision de la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins ;
2°) de mettre à la charge du médecin conseil, chef de service de l'échelon local du contrôle médical de Seine-Saint-Denis la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 38 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la décision n° 98-399 DC du 5 mai 1998 du Conseil constitutionnel ;
- la décision n° 2012-289 QPC du 17 janvier 2013 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-François de Montgolfier, maître des requêtes ;
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. B...;
1. Considérant que le pourvoi et la requête de M. B... sont dirigés contre la même décision de la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la décision en tant qu'elle refuse la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité :
2. Considérant que les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ;
3. Considérant que l'article L. 145-1 du code de la sécurité sociale prévoit que " les fautes, abus, fraudes et tous faits intéressant l'exercice de la profession ", relevés à l'encontre des médecins à l'occasion des soins dispensés aux assurés sociaux sont soumis, en première instance, à la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance et, en appel, à la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins ; que l'article L. 145-7 du même code fixe les règles de composition de la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins ; que, par la décision attaquée, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés que la Constitution garantit, tirée de ce qu'elles méconnaîtraient, en raison de la composition des juridictions ordinales, le principe de la souveraineté nationale, le principe d'égal accès aux emplois publics ainsi que les principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions ;
En ce qui concerne l'article L. 145-1 du code de sécurité sociale :
4. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que, pour refuser de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article L. 145-1 du code de la sécurité sociale soulevée devant elle par M.B..., la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins a jugé que cet article avait été " considéré conforme " à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-289 QPC du 17 janvier 2013 ; qu'en statuant ainsi, alors que le Conseil constitutionnel ne s'est, ni par cette décision ni par aucune autre, prononcé sur la conformité à la Constitution des dispositions de cet article, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins a commis une erreur de droit ;
5. Considérant, toutefois, que les dispositions de l'article L. 145-1 du code de la sécurité sociale, qui se bornent, ainsi qu'il a été dit, à désigner les juridictions compétentes pour connaître des fautes, abus, fraudes et tous faits intéressant l'exercice de la profession, relevés à l'encontre des praticiens à l'occasion des soins dispensés aux assurés sociaux, ne fixent pas la composition de ces juridictions ; qu'elles ne sauraient, par suite, porter atteinte à aucune règle ni aucun principe à raison de leur composition ; qu'ainsi, la question de la conformité de ces dispositions aux exigences constitutionnelles invoquées par M. B... à l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; que ce motif doit être substitué au motif retenu par la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins pour juger non sérieux le moyen présenté, à l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, par M. B... ;
En ce qui concerne l'article L. 145-7 du code de la sécurité sociale :
S'agissant de l'atteinte à la souveraineté nationale garantie par l'article 3 de la Constitution :
6. Considérant, d'une part, que la section de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins dénommée, en vertu des dispositions de l'article L. 145-1 du code de la sécurité sociale, " section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins " est une juridiction spécialisée relevant du Conseil d'Etat, au sens de l'article 61-1 de la Constitution ; qu'elle rend la justice au nom de l'Etat ; que la circonstance qu'elle siège, ainsi qu'il est dit pour la chambre disciplinaire nationale par l'article L. 4122-3 du code de la santé publique, " auprès " du Conseil national de l'ordre des médecins, qui est une personne privée chargée d'une mission de service public, n'est pas de nature à porter atteinte à la souveraineté nationale ;
7. Considérant, d'autre part, qu'ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision n° 98-399 DC du 5 mai 1998, il résulte du même principe de souveraineté nationale que l'exercice de fonctions juridictionnelles, qui est inséparable de l'exercice de la souveraineté nationale, ne saurait, en principe, être confié à des personnes de nationalité étrangère ; que si les dispositions contestées de l'article L. 145-7 du code de la sécurité sociale ne prévoient pas expressément la nationalité française des membres de la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins, cette circonstance n'a ni pour objet ni pour effet de permettre à la composition de cette juridiction de déroger à cette règle ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article L. 145-7 du code de la sécurité sociale ne portent pas atteinte à la souveraineté nationale ; que ce motif doit par suite, en tout état de cause, être substitué au motif retenu par la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins pour juger non sérieux le moyen soulevé à l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité et tiré de ce que l'article L. 145-7 du code de la sécurité sociale porterait atteinte à ce principe constitutionnel ;
S'agissant de l'atteinte au principe d'égal accès aux emplois publics :
9. Considérant que la seconde phrase de l'article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que les citoyens : " Sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents " ; que ceux des citoyens qui exercent une fonction juridictionnelle occupent, dans cet exercice, un emploi public, au sens de ces dispositions ;
10. Considérant que le premier alinéa de l'article L. 145-7 du code de la sécurité sociale prévoit que la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecin est présidée par un conseiller d'Etat et comprend un nombre égal d'assesseurs membres de l'ordre et d'assesseurs représentant des organismes de sécurité sociale, nommés par l'autorité compétente de l'Etat sur proposition de la Caisse nationale de l'assurance maladie ; que le cinquième alinéa de ce même article dispose que les assesseurs membres de l'ordre des médecins sont désignés pour une durée de six ans renouvelable par le conseil national parmi les membres et anciens membres des conseils de l'ordre ; que ces dispositions sont de nature à garantir que ces médecins présentent les capacités requises pour exercer des fonctions d'assesseurs au sein de juridictions ayant à juger d'agissements commis par des médecins à l'occasion de soins dispensés aux assurés sociaux ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'elles méconnaissent l'exigence de capacité qui découle de l'article 6 de la Déclaration de 1789 n'est pas sérieux ; que ces motifs doivent être substitués au motif retenu par la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins pour juger non sérieux le moyen soulevé à l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité et tiré de ce que l'article L. 145-7 porterait atteinte à l'égal accès aux emplois publics ;
S'agissant de l'atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions :
11. Considérant que les principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions, qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789, sont indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles ;
12. Considérant, d'une part, qu'il résulte des termes mêmes du deuxième alinéa de l'article L. 145-7 du code de la sécurité sociale que le conseiller d'Etat exerçant les fonctions de président ou président suppléant de la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins ne peut exercer, simultanément, sur le fondement des dispositions de l'article L. 4122-1-1 du code de la santé publique, des fonctions de membre du Conseil national de l'ordre des médecins ; que, par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'article L.145-7 du code de la sécurité sociale aurait omis de prévoir une telle incompatibilité ; que, d'autre part, si le dixième alinéa de ce même article prévoit que le montant des indemnités allouées aux présidents et aux présidents suppléants des sections des assurances sociales des conseils nationaux est fixé par arrêté des ministres chargés du budget et de la santé, après consultation de l'ordre, le renvoi ainsi opéré au pouvoir réglementaire, pour fixer le montant de ces indemnités ne méconnaît pas les principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 145-7 du code de la sécurité sociale soulevée par M. B..., qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation du refus de transmission opposé par la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins à la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par lui ;
Sur les autres moyens du pourvoi :
15. Considérant qu'aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux " ;
16. Considérant que, pour demander l'annulation de la décision qu'il attaque, M. B... soutient qu'elle est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle refuse de procéder à une mesure d'instruction ; qu'elle est entachée d'inexacte qualification juridique des faits, premièrement en ce qu'elle juge qu'il a eu recours à des prescriptions de spécialités pharmaceutiques potentiellement dangereuses, deuxièmement, en ce qu'elle juge fautives des prescriptions de spécialités pharmaceutiques non conformes aux indications de leur autorisation de mise sur le marché et, troisièmement, en ce qu'elle juge qu'il a eu recours à des prescriptions de spécialités pharmaceutiques qui excédaient les limites que lui imposait sa qualité de médecin généraliste ; qu'elle se méprend sur la portée des écritures des parties et qu'elle est entachée d'insuffisance de motivation en ce qu'elle juge qu'il ne peut utilement invoquer l'illégalité des prescriptions dont l'autorisation de mise sur le marché d'une spécialité pharmaceutique est assortie ; que la sanction prononcée est hors de proportion avec les fautes reprochées ;
17. Considérant qu'aucun de ces moyens n'est de nature à justifier l'admission du pourvoi ;
Sur la demande de sursis à exécution :
18. Considérant que le pourvoi formé par M. B... n'étant pas admis, sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de la même décision de la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins est devenue sans objet ; qu'il n'y a pas lieu d'y statuer ;
19. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du médecin conseil, chef de service de l'échelon local du contrôle médical de Seine-Saint-Denis la somme que demande, à ce titre, M. B... ;
D E C I D E :
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Article 1er : La contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité opposé à M. B...par la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins dans sa décision du 7 juin 2018 est rejetée.
Article 2 : Le surplus du pourvoi n° 421679 de M. B...n'est pas admis.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 421678 de M. B....
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête n° 421678 de M. B..., présenté au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B....
Copie en sera adressée au médecin-conseil, chef de service de l'échelon local du contrôle médical de Seine-Saint-Denis.