Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 janvier et 14 avril 2015 et le 15 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Groupama Grand Est demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire du fond, de rejeter l'appel du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et de faire droit à son appel incident ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- l'arrêté du 20 mars 1990 fixant les mesures techniques et administratives relatives à la police sanitaire et à la prophylaxie collective de la brucellose bovine ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Christian Fournier, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lévis, avocat de la Société Groupama Grand Est ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'élevage de bovins de M. B..., exploitant agricole à Pontoy (Moselle), a été infecté à partir du mois de janvier 1994 par la maladie de la brucellose bovine, entraînant la mise en place de diverses mesures de police sanitaire relatives à la prophylaxie de cette maladie à compter du mois de février suivant, notamment l'abattage des animaux infectés. Toutefois, les animaux infectés ayant été laissés pâturer dans des parcs au contact d'autres élevages, la maladie s'est propagée aux troupeaux d'exploitants voisins. Par un arrêt en date du 15 juillet 1998 de la cour d'appel de Metz, M. B... a été reconnu coupable de la contamination du troupeau de ces exploitants et condamné à indemniser leurs préjudices, fixés après expertise à 68 000 euros pour l'exploitant M. A... et à 541 359,30 euros pour la familleC.... La société Groupama Grand Est, aux termes du contrat d'assurance la liant à M. B..., a indemnisé ces exploitants. La société Groupama Grand Est a demandé au tribunal administratif de Strasbourg la condamnation de l'Etat à lui verser respectivement les sommes de 60 000 euros et de 573 416,30 euros en réparation de son préjudice. Par un jugement du 28 février 2013, le tribunal a condamné l'Etat à verser à la société les sommes de 30 000 euros et de 270 679,65 euros, ainsi que la somme de 16 008,50 euros au titre des frais d'expertise. Par un arrêt du 18 novembre 2014, saisi sur l'appel du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé le jugement du tribunal, rejeté la demande présentée devant ce tribunal par la société Groupama Grand Est ainsi que son appel incident et mis les frais d'expertise à la charge de cette dernière. La société Groupama Grand Est se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
2. M.B..., estimant avoir subi un préjudice propre, notamment en raison de l'abattage en totalité de son troupeau à deux reprises en août 1994 et septembre 1995, a assigné en justice l'Etat aux fins de faire réaliser une expertise tendant à déterminer la part de la responsabilité des services vétérinaires de la Moselle dans le préjudice subi. Le rapport d'expertise correspondant a été déposé le 8 juin 2006. Par un jugement du 28 février 2013, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat à verser à M. B... une somme de 44 626,33 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'il a subi. Par un arrêt en date du 18 novembre 2014, la cour administrative d'appel de Nancy, saisie d'un appel du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et d'un appel incident de M. B..., a rejeté l'appel du ministre et a rehaussé le montant que l'Etat a été condamné à verser à M. B... en réparation du préjudice subi à 204 022 euros.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le rapport d'expertise déposé le 8 juin 2006 a retenu pour une large part la responsabilité de l'Etat dans la contamination par la brucellose du cheptel de M.B.... Celui-ci a laissé pâturer ses animaux dès le 27 avril 1994, alors que l'instruction des services vétérinaires préconisant leur isolément n'est intervenue que le lendemain. Il ressort des termes de l'arrêt attaqué que la cour, pour juger que M. B... était seul responsable, du fait de son comportement, de la contamination des cheptels voisins, s'est appuyée sur les constatations faites par la cour d'appel de Metz dans son arrêt en date du 15 juillet 1998 selon lesquelles M. B... avait sciemment laissé pâturer ses animaux plusieurs mois et ce malgré l'obligation qui lui a été faite le 28 avril 1994 de les isoler. En se bornant, pour reconnaître le lien exclusif et direct entre le comportement de M. B... et le préjudice subi par les exploitants de cheptel voisins, à se référer aux seules constatations de fait retenues par la cour d'appel de Metz dans son arrêt en date du 15 juillet 1998, sans répondre à l'argumentation non inopérante de la société Groupama Grand Est, qui faisait valoir notamment que la contamination aurait pu avoir lieu dès le 27 avril et que, au vu du rapport d'expertise établi ultérieurement à cet arrêt du juge pénal, la faute n'était pas seulement imputable à M. B... mais également à l'administration, la cour a insuffisamment motivé son arrêt. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société Groupama Grand Est est fondée à demander son annulation.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Groupama Grand Est au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 18 novembre 2014 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : L'Etat versera à la société Groupama Grand Est la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Groupama Grand Est et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.