Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2015/2193 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative à la limitation des émissions de certains polluants dans l'atmosphère en provenance des installations de combustion moyennes ;
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2018-704 du 3 août 2018 ;
- l'arrêté du 24 septembre 2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique n° 2910-B de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Bachini, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) prévue par les articles L. 511-2 et R. 511-9 du code de l'environnement contient une rubrique n° 2910, qui définit les régimes applicables aux installations de combustion, en fonction de la nature du combustible qu'elles utilisent et de leur puissance thermique nominale. La directive n° 2015/2193 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 visée ci-dessus a défini des objectifs en matière de limitation des émissions de certains polluants dans l'atmosphère en provenance des installations de combustion moyennes. Ces objectifs ont été transposés en droit interne par le décret du 3 août 2018 modifiant la nomenclature des installations classées et certaines dispositions du code de l'environnement ainsi que par cinq arrêtés, notamment deux arrêtés du 3 août 2018 relatifs aux prescriptions générales applicables aux ICPE relevant respectivement du régime de l'enregistrement ou de celui de la déclaration. Le Conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des départements d'outre-mer doit être regardé comme ayant demandé au ministre de la transition écologique et solidaire d'abroger les dispositions de ces deux arrêtés fixant les valeurs limites d'émission dans l'air applicables à de telles installations. Il demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le refus implicite qui lui a été opposé.
Sur les interventions :
2. L'EARL Domaines de Thieubert, la société Bellonnie et Bourdillon Successeurs, la société La Distillerie Dillon, la société La Distillerie La Favorite, la société Rhums martiniquais Saint-James et la société La Distillerie du Simon justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation des dispositions attaquées. Ainsi, leurs interventions sont recevables.
Sur la légalité de la décision attaquée :
3. En premier lieu, si, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger un acte réglementaire, la légalité des règles fixées par celui-ci, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les dispositions litigieuses auraient été édictées en méconnaissance du II de l'article L. 123-19 du code de l'environnement doit être écarté comme inopérant.
4. En deuxième lieu, les dispositions dont le requérant demande l'abrogation fixent des valeurs limites d'émissions en matière de dioxyde de soufre, d'oxydes d'azote et de poussières ainsi que de monoxyde de carbone en distinguant, notamment, selon la puissance thermique nominale de l'installation, la nature du combustible qu'elle utilise, sa date d'enregistrement et sa durée de fonctionnement par an, ces différentes valeurs étant assorties de dérogations destinées à tenir compte de situations particulières, conformément aux objectifs fixés par la directive du 25 novembre 2015 précédemment mentionnée. Si la rédaction de l'arrêté attaqué présente ainsi un caractère technique, cette circonstance n'est pas, en elle-même, de nature à caractériser une méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme, dès lors, en particulier, qu'elle ne prive pas les professionnels auxquels ces dispositions sont destinées de la possibilité de déterminer les valeurs limites d'émission qui leur sont applicables en fonction des caractéristiques particulières de leur installation. En outre, si le requérant soutient que les dispositions dont il demande l'abrogation ne précisent pas la manière dont sont identifiées les installations qui ne sont pas exploitées plus de 500 heures par an, il résulte du point 3 de l'article 6 de la directive du 25 novembre 2015 précitée que cette valeur s'apprécie, s'agissant des installations existantes, " en moyenne mobile calculée sur une période de cinq ans ", définition reprise à l'article 2 de l'arrêté du 2 janvier 2019 précisant les modalités de recueil des données relatives aux installations de combustion moyennes. Enfin, s'il est reproché aux dispositions litigieuses d'établir une différence de traitement inintelligible, pour les dates d'entrée en vigueur des nouvelles valeurs limites qu'elles fixent selon que l'installation en cause présente une puissance thermique nominale inférieure ou supérieure à 2 MW, cette différence, qui découle des différences de caractéristiques entre les installations en cause, n'est, en tout état de cause, pas de nature à caractériser une méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance de cet objectif doit être écarté.
5. En troisième lieu, le point 1 de l'article 6 de la directive du 25 novembre 2015 précitée dispose : " Les valeurs limites d'émission énoncées à l'annexe II ne s'appliquent pas aux installations de combustion moyennes situées dans les îles Canaries, les départements français d'outre-mer, les Açores et Madère. Les Etats membres concernés fixent des valeurs limites d'émission pour ces installations en vue de réduire leurs émissions atmosphériques et les risques que celles-ci sont susceptibles de présenter pour la santé humaine et l'environnement ". Aux termes du considérant n° 17 de la directive, cette disposition se justifie par la nécessité de prendre en compte les problèmes techniques et logistiques liés à l'isolement des installations situées dans ces territoires.
6. Il résulte de ces dispositions que si les valeurs fixées par la directive ne s'imposent pas, par principe, aux installations de combustion moyennes situées dans les îles Canaries, les départements d'outre-mer français, les Açores et Madère, les Etats membres sont tenus de fixer des valeurs limites d'émission applicables à ces installations afin de réduire les risques que leurs émissions atmosphériques peuvent présenter pour la santé humaine et l'environnement. Contrairement à ce qui est soutenu, elles n'interdisent pas aux Etats membres concernés d'imposer, le cas échéant, aux installations situées dans ces territoires les mêmes valeurs limites que celles qui sont applicables aux installations situées sur le territoire métropolitain, si les contraintes techniques et logistiques liées à l'isolement auxquelles ces installations peuvent être confrontées le permettent.
7. Si les dispositions litigieuses sont rendues applicables aux installations situées dans les départements d'outre-mer, il ne ressort pas des pièces du dossier que les contraintes techniques et logistiques liées à l'isolement auxquelles ces installations sont susceptibles d'être confrontées feraient obstacle à ce qu'elles respectent les mêmes valeurs limites d'émission que celles qui s'appliquent aux installations situées sur le territoire métropolitain, ces valeurs pouvant, au demeurant, si les circonstances locales le justifient, faire l'objet de mesures d'adaptation par arrêté préfectoral, pris en application de l'article L. 512-7-3 du code de l'environnement s'agissant des installations relevant du régime de l'enregistrement. Il s'ensuit qu'en prévoyant l'application aux installations situées dans les départements d'outre-mer des mêmes valeurs limites que celles qui sont opposables aux installations se trouvant sur le territoire métropolitain, l'autorité administrative n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur manifeste d'appréciation.
8. En quatrième et dernier lieu, afin de permettre aux installations existantes de s'adapter aux contraintes résultant des valeurs limites qu'elle fixe, l'article 6 de la directive du 25 novembre 2015 précitée prévoit que ces valeurs ne s'appliqueront à ces installations qu'à compter du 1er janvier 2025 ou du 1er janvier 2030, en fonction, notamment, de leur puissance thermique nominale.
9. Si les dispositions dont le requérant demande l'abrogation prévoient que certaines des valeurs limites qu'elles fixent s'appliquent à certaines installations existantes dès le 20 décembre 2018, il ressort des pièces du dossier, comme le fait valoir la ministre en défense, que les seules valeurs limites que ces installations sont tenues de respecter dès cette date sont identiques à celles auxquelles elles étaient précédemment soumises en application, respectivement, de l'article 64 de l'arrêté du 24 septembre 2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique n° 2910-B de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement et des points 6.2.4 à 6.2.6 de l'arrêté du 25 juillet 1997 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement soumises à déclaration sous la rubrique n° 2910 (Combustion), que les arrêtés litigieux ont abrogés. Par suite, le moyen tiré de ce que l'autorité administrative aurait entaché les dispositions litigieuses d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation pour n'avoir pas respecté le calendrier de mise en oeuvre prévu par l'article 6 de la directive du 25 novembre 2015 et pour n'avoir pas prévu les mesures transitoires propres à permettre aux installations existantes de s'adapter aux contraintes résultant de sa mise en oeuvre doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par la partie défenderesse, que le Conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des départements d'outre-mer n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a refusé d'abroger les dispositions contestées. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de l'EARL Domaines Thieubert, de la société Bellonnie et Bourdillon Successeurs, de la société La Distillerie Dillon, de la société La Distillerie La Favorite, de la société Rhums martiniquais Saint-James et de la société La Distillerie du Simon sont admises.
Article 2 : La requête du Conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des départements d'outre-mer est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Conseil interprofessionnel du rhum traditionnel des départements d'outre-mer, à la ministre de la transition écologique, à l'EARL Domaines Thieubert, à la société Bellonnie et Bourdillon Successeurs, à la société La Distillerie Dillon, à la société La Distillerie La Favorite, à la société Rhums martiniquais Saint-James et à la société La Distillerie du Simon.