Par un jugement nos 2000262, 2000265, 2000266, 2000413 du 24 décembre 2020, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté les protestations de M. A... et Mme F... et de M. Q....
Procédures devant le Conseil d'Etat
1° Sous le n° 448954, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 janvier et 15 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. Q... demande au Conseil d'Etat de réformer ce jugement en tant qu'il ne l'a pas proclamé élu en qualité de conseiller municipal en remplacement de M. Y... M... et en qualité de conseiller communautaire de la communauté d'agglomération intercommunale des villes solidaires en remplacement de M. N... E....
2° Sous le n° 448973, par une requête, enregistrée le 21 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... et Mme F... demandent au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'une part, d'annuler le jugement du tribunal et, d'autre part, de déclarer inéligibles M. S..., M. L... et M. C... ;
2°) à titre subsidiaire, de procéder à un nouveau décompte des votes en enlevant les votes irrégulièrement comptabilisés en faveur de la liste gagnante.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code électoral ;
- le code de procédure civile ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-571 du 14 mai 2020 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. À l'issue des opérations électorales organisées le 15 mars 2020 dans la commune de Saint-Pierre (La Réunion) en vue de la désignation des conseillers municipaux et communautaires, la liste " Gardons le cap " menée par M. S..., maire sortant, a obtenu 18 042 voix, soit 57,02 % des suffrages exprimés, dépassant de 2 221 voix la majorité absolue, tandis que la liste menée par M. A... a obtenu 7 067 voix, soit 22,33 % des suffrages exprimés, celle conduite par M. Q... a obtenu 1 580 voix, soit 4,99 % des suffrages exprimés et celle conduite par M. X... a obtenu 473 voix, soit 1,49 % des suffrages exprimés. Par les requêtes visées ci-dessus, M. Q..., d'une part, et M. A... et Mme F..., d'autre part, relèvent appel du jugement du 24 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté leurs protestations. Il y a lieu de joindre ces requêtes pour statuer par une seule décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'alors que le jugement attaqué a été lu le 24 décembre 2020, un quotidien a fait état, dans son édition datée du même jour, du sens de ce jugement sans en relater pour autant le contenu. M. A... et Mme F... soutiennent qu'une telle publication, intervenue quelques heures avant la lecture du jugement, a porté atteinte au principe général du secret des délibérations de la formation de jugement. Toutefois, il n'est pas établi, en l'espèce, que l'information donnée par le quotidien n'aurait pu être obtenue que par une irrégularité de la procédure suivie devant le tribunal administratif et ne serait pas une simple extrapolation à partir des conclusions du rapporteur public et du sens du jugement du tribunal administratif rendu la veille dans une autre affaire électorale. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement du tribunal administratif serait irrégulier doit être écarté.
3. En second lieu, il ressort des motifs du jugement attaqué que le tribunal administratif de La Réunion, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble de arguments avancés par les protestataires, a expressément répondu au grief contenu dans la protestation présentée par M. Q... et tiré de ce que le fait qu'il n'ait pas été invité à un débat télévisé organisé par la chaîne " Réunion La 1ère " avec six des huit candidats têtes de liste se présentant à la mairie de Saint-Pierre méconnaissait le principe d'équité de traitement entre les candidats.
Sur l'éligibilité de M. L... et de M. C... :
4. En vertu de l'article L. 231 du code électoral, ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois les comptables des deniers communaux agissant en qualité de fonctionnaire et les entrepreneurs de services municipaux.
5. Les seules circonstances que le cabinet d'avocat dont M. L... est gérant associé ait assuré plusieurs prestations juridiques pour le compte de la commune de Saint-Pierre et que la société dont M. C... est directeur commercial ait conclu plusieurs contrats de prestations de communication digitale avec la commune de Saint-Pierre, le centre communal d'action sociale et la communauté intercommunale des villes solidaires pour la diffusion ponctuelle d'informations d'intérêt général ne sauraient les faire regarder comme des entreprises de service municipal au sens des dispositions de l'article L. 231 du code électoral. M. A... et Mme F... ne sont dès lors pas fondés à soutenir que M. L... et M. C... étaient inéligibles.
Sur la recevabilité des griefs :
6. Il résulte des dispositions de l'article R. 119 du code électoral, du II de l'article 15 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif et de l'article 1er du décret du 14 mai 2020 définissant la date d'entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dont le conseil municipal a été entièrement renouvelé dès le premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020, combinées avec celles de l'article 642 du code de procédure civile, que les réclamations contre les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pouvaient être formées au plus tard le lundi 25 mai 2020 à dix-huit heures.
7. Il résulte de l'instruction que les griefs tirés de la présence d'un homme vêtu d'un tee-shirt aux couleurs et au slogan de M. S... devant les bureaux de vote nos 18 et 90 pouvant influencer les électeurs, du refus du président du bureau de vote n° 10 de remettre le double des clés de l'urne, des irrégularités quant à deux procurations dans le bureau de vote n° 67, du dépouillement effectué après fermeture des portes dans les bureaux de vote nos 70, 82 et 91, de la jonction d'une procuration au procès-verbal des opérations électorales du bureau de vote n° 41 et de l'existence de bourrages d'urne ont été présentés pour la première fois dans des mémoires enregistrés les 22 juin et 16 juillet 2020, postérieurement à l'expiration du délai de recours. Ces griefs n'étaient pas susceptibles de se rattacher aux mêmes causes juridiques que celles dont relevaient les griefs invoqués dans le délai de recours. Dès lors, c'est à bon droit que le tribunal administratif les a écartés comme irrecevables.
8. En revanche, si les griefs tirés de l'organisation d'un spectacle gratuit le 15 février 2020 pour soutenir des projets de campagne de M. S... et de l'attribution de marchés publics et la passation de bons de commandes à des entreprises intervenant pour la campagne de M. S... dont la radio Fréquence Sud ont également été présentés pour la première fois par M. A... et Mme F... après l'expiration du délai de recours, ceux-ci avaient soulevé dans ce délai un grief tiré du financement de la campagne électorale de la liste de M. S... par des personnes morales en méconnaissance de l'article L. 52-8 du code électoral. Dès lors, c'est à tort que le tribunal administratif les a écartés comme irrecevables. Il appartient par suite au Conseil d'Etat de se prononcer sur ces griefs dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.
Sur le déroulement de la campagne électorale :
9. D'une part, M. A... et Mme F... soutiennent qu'une de leurs colistières a fait l'objet d'insultes racistes et de menaces de mort afin de l'empêcher d'organiser une réunion électorale à son domicile le 8 février 2020. Toutefois, il résulte de l'instruction que les propos proférés à son encontre via un échange sur les réseaux sociaux sont dénués de tout lien avec la campagne électorale. En outre, il n'est pas établi qu'ils émaneraient d'une personne sympathisante de la liste de M. S....
10. D'autre part, la circonstance que des sympathisants de M. S... auraient tenté de convaincre la même colistière de les rejoindre ne saurait être regardée comme une manœuvre ayant pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin.
11. Enfin, M. A... et Mme F... produisent un article de presse en date du 28 février 2020 évoquant le fait qu'un colistier de M. S..., sollicité par une sympathisante de M. A..., aurait versé à celle-ci une somme d'argent afin qu'elle s'abstienne d'organiser une réunion électorale chez elle. Il résulte toutefois de ce même article que la réunion de soutien à la liste de M. A... s'est bien tenue. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction, en tout état de cause, que ces faits à les supposer avérés, auraient eu une influence sur la sincérité du scrutin.
En ce qui concerne le grief tiré du financement de la campagne électorale par des moyens publics :
12. Si M. A... et Mme F... soutiennent que de nombreuses personnes ont obtenu illégalement des bons du centre communal d'action sociale de Saint-Pierre et des matériaux de construction durant la période électorale, les éléments qu'ils apportent ne permettent pas d'établir la réalité de ces allégations alors qu'il résulte de l'instruction, comme l'a relevé la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, que le volume des aides sociales accordées n'a pas fait l'objet d'un accroissement durant cette période. Dès lors, ce grief ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne les griefs tirés du financement de la campagne électorale par des personnes morales :
13. Aux termes de l'article L. 52-8 du code électoral : " (...) Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. (...) ".
14. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le supplément spécial gratuit " Saint-Pierre " du 19 novembre 2019, publié par le Quotidien, ne contient aucun élément relevant de la propagande électorale. S'il met en valeur le territoire de la commune et les activités qui y sont offertes, il ne les relie en aucune manière à l'action de la municipalité sortante. La diffusion de ce supplément ne peut, dès lors, être regardée comme un avantage procuré à la liste conduite par M. S....
15. En deuxième lieu, la circonstance qu'un podium aurait été installé devant la mairie le soir du scrutin du 15 mars 2020 ne peut être regardée comme un financement de la campagne électorale d'un candidat.
16. En troisième lieu, s'il n'est pas contesté que les projets de réalisation d'un multiplexe de dix salles et d'un pôle loisirs figurent dans le programme de la liste de M. S..., il ne résulte pas de l'instruction que le spectacle organisé le 15 février 2020 par l'association promouvant la création de ce multiplexe, qui était ouvert à tous, a revêtu une connotation électorale. M. A... et Mme F... ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir qu'une telle manifestation caractériserait l'octroi, par cette association, d'un avantage en nature prohibé par l'article L. 52-8 du code électoral.
17. En quatrième lieu, la circonstance que des présentateurs d'une radio associative aient exprimé leur soutien à la liste conduite par M. S... sur leur page personnelle sur les réseaux sociaux ne saurait être regardée comme un avantage prohibé par l'article L. 52-8 du code électoral.
18. En dernier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du document annonçant la réunion organisée le 22 février 2020 par l'association Emersion Jeunesse que cette réunion doit être regardée comme ayant le caractère d'une réunion de campagne électorale de la liste conduite par le maire sortant de la commune. Si les dépenses correspondant à l'organisation d'une telle réunion doivent être regardées comme un avantage consenti par une personne morale en méconnaissance des dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral, une telle irrégularité n'a pas été, eu égard à l'écart de voix entre les listes en cause, de nature à altérer la sincérité du scrutin.
En ce qui concerne le grief tiré de l'utilisation d'agents de la commune et de la communauté d'agglomération lors de la campagne électorale :
19. Si M. A... et Mme F... soutiennent que des agents de la commune et de la communauté d'agglomération ont fait du porte-à-porte en faveur de M. S..., maire sortant, durant leurs heures de travail, les photos qu'ils produisent ne sont pas de nature à établir la réalité de ces allégations. Ce grief ne peut, dès lors, qu'être écarté.
En ce qui concerne les griefs tirés des irrégularités relatives à la propagande électorale :
20. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'une vidéo mettant en cause la probité ou l'honorabilité de plusieurs membres de la liste de M. A... a été diffusée par un militant soutenant la liste de M. S... sur le réseau social " Facebook " à partir du vendredi 13 mars 2020. Toutefois cette vidéo n'a fait l'objet que d'un commentaire et de vingt-quatre partages. Le caractère massif de la diffusion de cette vidéo auprès des électeurs de la commune de Saint-Pierre n'est ainsi pas établi. Dès lors, pour regrettable qu'elle soit, la diffusion de cette vidéo n'a pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin.
21. En second lieu, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication a confié au Conseil supérieur de l'audiovisuel la mission de veiller notamment au respect de l'égalité de traitement et de l'expression du pluralisme des courants de pensée et d'opinion. Par une délibération n° 2011-1 du 4 janvier 2011 applicable aux services de radio et de télévision en période électorale, complétée par une recommandation n° 2019-04 du 20 novembre 2019, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a précisé les règles d'accès à l'antenne à respecter pour les élections municipales des 15 et 22 mars 2020, à compter du 3 février 2020 et jusqu'au jour où l'élection a été acquise. Il en ressort notamment que, lorsqu'il est traité d'une circonscription électorale déterminée, les éditeurs veillent à ce que les candidats ou listes de candidats, les personnalités ou les partis et groupements politiques qui les soutiennent bénéficient d'une présentation et d'un accès équitables à l'antenne.
22. Il résulte de l'instruction que la chaîne " Réunion La 1ère " a organisé le 23 février 2020 un débat télévisé, également retransmis à la radio et sur internet, réunissant six des huit candidats aux élections municipales de Saint-Pierre, auquel M. Q... n'a pas été invité. Ce dernier a en revanche été invité avec un autre candidat, M. O..., à participer à un débat, organisé le lendemain matin, que la chaîne " Réunion La 1ère " a diffusé à la radio et sur internet. Le choix de " Réunion La 1ère " d'organiser avant le premier tour du scrutin des élections municipales un débat qui ne rassemble que six des huit candidats têtes de liste relève dans son principe de sa politique éditoriale. Il lui incombait, toutefois, de veiller à ce que ce choix n'entraîne pas une rupture du principe d'égalité de traitement entre les candidats. Si M. Q... fait valoir qu'il était le seul candidat écologiste et qu'il a contribué à l'animation du débat électoral, la circonstance qu'il n'ait pas été convié à s'exprimer lors du débat télévisé du 23 février 2020 ne peut être regardée comme constitutive d'une rupture d'équité entre les candidats, dès lors, d'une part, que M. Q... conduisait une liste autonome, sans le soutien d'aucun parti politique, et ne s'était encore jamais présenté à une élection politique et, d'autre part, qu'il a disposé, dans le cadre du débat radiodiffusé, d'un temps de parole identique à celui accordé aux candidats ayant participé au débat télévisé. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement n'est, par suite, pas fondé.
Sur les opérations électorales :
En ce qui concerne les griefs tirés des irrégularités dans le déroulement du scrutin :
S'agissant des griefs tirés des irrégularités affectant les votes :
23. En premier lieu, aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe n'impose que les électeurs puissent suivre le déroulement des opérations de vote depuis l'extérieur du bureau de vote ni que les isoloirs soient pourvus de poubelle. Dès lors, ne peuvent qu'être écartés les griefs tirés, d'une part, de ce que des tables et matériels scolaires obstruaient les fenêtres du bureau de vote n° 41 empêchant les gens de voir le bureau depuis l'extérieur et, d'autre part, de ce que le secret du vote n'était pas garanti en l'absence de poubelle dans les isoloirs du même bureau.
24. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 54 du code électoral : " Les enveloppes électorales sont fournies par l'Etat. Elles sont opaques, non gommées et de type uniforme pour chaque bureau de vote. / Les enveloppes sont envoyées dans chaque mairie cinq jours au moins avant l'élection, en nombre égal à celui des électeurs inscrits. (...) ".
25. Il résulte de l'instruction que quelques enveloppes de couleurs et de graphies légèrement différentes ont été utilisées dans 4 des 92 bureaux de vote. Si M. A... et Mme F... soutiennent que cette circonstance ainsi que les conditions dans lesquelles les enveloppes ont été conservées dans les services de la commune démontreraient l'utilisation par certains électeurs d'enveloppes préalablement garnies de bulletins ou de pressions subies pour en utiliser, ils n'apportent à l'appui de ces allégations aucun commencement de preuve.
26. En troisième lieu, si M. A... et Mme F... font valoir que la police municipale a déposé la procuration de M. I... J... au bureau n° 39, il résulte de l'instruction que ce dernier a voté personnellement. Par suite, ce grief doit être écarté.
27. En dernier lieu, M. A... et Mme F... soutiennent que plusieurs irrégularités ont été constatées dans le bureau de vote n° 89. S'ils font valoir que les numéros des électeurs sur la liste d'émargement ne correspondaient pas aux numéros des cartes d'électeur, ils n'apportent aucun élément permettant d'établir la réalité de ces allégations. S'ils soutiennent, en outre, que l'urne n'était pas cadenassée après le début des votes, il résulte de l'attestation d'un de leurs délégués qu'à la suite de son intervention, le président a apposé un cadenas sur l'urne, a conservé un jeu de clés et a transmis un autre jeu à l'assesseur de Mme K... sans tirage au sort. Dès lors, nonobstant l'absence de tirage au sort pour remettre les clés à un assesseur, l'irrégularité constatée a été corrigée. Au demeurant, aucune différence entre le nombre d'enveloppes et d'émargements n'est mentionnée au procès-verbal. Par ailleurs, les requérants n'établissent pas que les enveloppes n'étaient pas regroupées par paquet de 100. S'ils font valoir, enfin, que la liste d'émargement n'a pas été refermée pendant les périodes durant lesquelles il n'y avait pas d'électeur présent, ce qui permettait au président du bureau de vote d'identifier les personnes qui n'avaient pas encore voté, ils ne soutiennent ni n'établissent que des électeurs auraient été contactés ou auraient subi des pressions pour voter.
S'agissant des griefs tirés des irrégularités affectant les listes d'émargement :
28. Aux termes de l'article L. 65 du code électoral : " Dès la clôture du scrutin, il est procédé au dénombrement des émargements. Ensuite, le dépouillement se déroule de la manière suivante : l'urne est ouverte et le nombre des enveloppes est vérifié. Si ce nombre est plus grand ou moindre que celui des émargements, il en est fait mention au procès-verbal. (...) ". L'article R. 62 du même code dispose : " Dès la clôture du scrutin, la liste d'émargement est signée par tous les membres du bureau. Il est aussitôt procédé au dénombrement des émargements ".
29. D'une part, si les listes d'émargement des bureaux de vote nos 8 et 10 n'ont été signées par aucun des membres du bureau ni ne contiennent l'indication du nombre d'émargements, si celles des bureaux de vote nos 2 et 7 ne contiennent que les signatures des assesseurs et si celle du bureau de vote n° 39 ne contient que la signature du président du bureau de vote, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que le non-respect des formalités prévues par les dispositions de l'article R. 62 du code électoral ait constitué une manœuvre ayant pour but d'altérer les résultats du scrutin ou ait permis une fraude.
30. D'autre part, la circonstance que les listes d'émargement ont, par erreur, été signées et arrêtées dans la partie prévue pour le scrutin du second tour, au lieu du premier tour, dans les bureaux de vote nos 7, 12 et 55 et que des électeurs des bureaux de vote nos 7, 12, 25, 41, 55, 61 et 64 ont émargé dans les colonnes du second tour, au lieu de celles du premier tour, n'est pas de nature à remettre en cause la sincérité du scrutin dès lors qu'en l'espèce, aucun second tour ne s'est tenu, que les procès-verbaux ont été signés par les membres du bureau de vote avec l'indication du nombre d'émargements et d'enveloppes et qu'il n'est ni établi ni même allégué que ces erreurs résulteraient d'une fraude.
31. Enfin, s'il résulte de l'instruction que les électeurs du bureau de vote n° 72 ont tout d'abord émargé sur la liste de contrôle au lieu de la liste d'émargement prévue à cet effet et que, à la suite de la visite de la commission de contrôle des opérations de vote, ils ont émargé sur la liste d'émargement, le nombre d'émargements total a été comptabilisé en prenant en compte les deux listes, qui ont par ailleurs été jointes au procès-verbal et remises à la préfecture, de sorte que cette irrégularité n'a pas pu altérer la sincérité du scrutin.
32. Il résulte de ce qui précède que l'ensemble des griefs tirés des irrégularités affectant les listes d'émargement doivent être écartés.
S'agissant des griefs tirés des irrégularités affectant le dépouillement :
33. Aux termes de l'article R. 63 du code électoral : " Le dépouillement suit immédiatement le dénombrement des émargements. Il doit être conduit sans désemparer sous les yeux des électeurs jusqu'à son achèvement complet. Les tables sur lesquelles s'effectue le dépouillement sont disposées de telle sorte que les électeurs puissent circuler autour ". L'article R. 64 du même code dispose : " Le dépouillement est opéré par des scrutateurs sous la surveillance des membres du bureau. / A défaut de scrutateurs en nombre suffisant, le bureau de vote peut y participer ".
34. En premier lieu, si M. Q... soutient que quatre voix qui lui avaient été attribuées ont été irrégulièrement retirées de la feuille de dépouillement du bureau de vote n° 14, il ne résulte pas de l'instruction que les rayures que portent ces quatre voix sur la feuille de dépouillement aient eu d'autre objet que de corriger des erreurs de calcul. Le procès-verbal du bureau de vote n° 14, qui a été signé, comme la feuille de dépouillement, par l'ensemble des scrutateurs, ne comporte aucune observation sur le dépouillement. Par suite, ce grief doit être écarté.
35. En deuxième lieu, la circonstance, à la supposer établie, que la déléguée de M. A... pour les bureaux de vote nos 31, 32 et 33 se voit vue refuser l'accès à ces bureaux, n'est pas, eu égard au nombre de voix obtenues par la liste gagnante, de nature à justifier l'annulation des opérations électorales.
36. En dernier lieu, si M. A... et Mme F... soutiennent que les portes des bureaux nos 72 et 80 ont été fermées pendant le dépouillement en méconnaissance des dispositions citées au point 33, ils n'apportent aucun élément à l'appui de ces allégations. De même, les seuls éléments produits par les requérants au soutien du même grief concernant les bureaux nos 31, 32, 33, 70, 82 et 91 ne permettent pas d'établir la réalité des irrégularités alléguées. En revanche, il résulte de l'instruction, notamment des différentes attestations versées au dossier, que si un scrutateur de M. A... a pu entrer dans le bureau n° 89 vers 18h15 et que deux personnes de la liste de M. A... ont pu être présentes lors du dépouillement, la fermeture de ce bureau a, sans justification, privé les électeurs de la possibilité d'exercer le droit de contrôle sur le dépouillement. Toutefois, eu égard à sa portée et au nombre de voix obtenues par la liste gagnante ainsi qu'à la présence de membres de la liste de M. A... lors du dépouillement, une telle irrégularité n'est pas de nature à justifier l'annulation des opérations électorales.
S'agissant des griefs tirés de l'irrégularité des procès-verbaux :
37. Aux termes de l'article R. 67 du code électoral : " Immédiatement après la fin du dépouillement, le procès-verbal des opérations électorales est rédigé par le secrétaire dans la salle de vote, en présence des électeurs. / (...) / Les délégués des candidats, des binômes de candidats ou des listes en présence sont obligatoirement invités à contresigner ces deux exemplaires. / Dès l'établissement du procès-verbal, le résultat est proclamé en public par le président du bureau de vote et affiché en toutes lettres par ses soins dans la salle de vote ".
38. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les erreurs matérielles affectant la mention de l'heure à laquelle les procès-verbaux des bureaux de vote nos 68, 78, 79, 81 et 89 ont été établis ne présentent pas le caractère d'irrégularités substantielles. Dès lors, ces griefs doivent être écartés.
39. En deuxième lieu, si M. A... et Mme F... soutiennent que le procès-verbal du bureau de vote n° 67 ne mentionne pas la date et l'heure à laquelle il a été dressé et que les procès-verbaux des bureaux de vote nos 67, 78 et 79 comportent des erreurs matérielles affectant la mention de l'heure à laquelle ils ont été dressés, il résulte de l'instruction que ces griefs manquent en fait.
40. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les rectifications apportées aux procès-verbaux des bureaux de vote nos 21 et 40, quoique non paraphées, n'ont pas eu d'autre objet que de corriger des erreurs matérielles et ne peuvent, par suite, être regardées comme des falsifications de nature à retirer leur valeur aux procès-verbaux concernés.
41. En dernier lieu, la circonstance, à la supposer établie, que M. S... aurait annoncé sa victoire sur les réseaux sociaux et fait installer un podium avant la proclamation officielle des résultats est sans incidence sur la régularité des procès-verbaux. Ce grief ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne le grief tiré de l'absence de sincérité du scrutin tenant au fort taux d'abstention :
42. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Dans ce contexte, le Premier ministre a adressé à l'ensemble des maires le 7 mars 2020 une lettre présentant les mesures destinées à assurer le bon déroulement des élections municipales et communautaires prévues les 15 et 22 mars 2020. Ces mesures ont été précisées par une circulaire du ministre de l'intérieur du 9 mars 2020 relative à l'organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d'épidémie de covid-19, formulant des recommandations relatives à l'aménagement des bureaux de vote et au respect des consignes sanitaires, et par une instruction de ce ministre, du même jour, destinée à faciliter l'exercice du droit de vote par procuration. Après consultation par le Gouvernement du conseil scientifique mis en place pour lui donner les informations scientifiques utiles à l'adoption des mesures nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19, les 12 et 14 mars 2020, le premier tour des élections municipales a eu lieu comme prévu le 15 mars 2020. A l'issue du scrutin, les conseils municipaux ont été intégralement renouvelés dans 30 143 communes ou secteurs. Le taux d'abstention a atteint 55,34 % des inscrits, contre 36,45 % au premier tour des élections municipales de 2014.
43. Au vu de la situation sanitaire, l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a reporté le second tour des élections, initialement fixé au 22 mars 2020, au plus tard en juin 2020 et prévu que : " Dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d'arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution ". Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l'attribution de sièges et ne font ainsi pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l'élection.
44. Aux termes de l'article L. 262 du code électoral, applicable aux communes de mille habitants et plus : " Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application des dispositions du troisième alinéa ci-après. / Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour (...) ".
45. Ni par ces dispositions, ni par celles de la loi du 23 mars 2020, le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.
46. Il résulte de l'instruction qu'en l'espèce, le taux d'abstention s'est élevé à 48,08 % alors qu'il était de 34,16 % lors du premier tour de la précédente élection municipale et est resté inférieur à la moyenne nationale. Si M. A... et Mme F... font valoir que l'épidémie de covid-19 et les déclarations des autorités à ce sujet ont entraîné l'abstention d'un grand nombre d'électeurs, ils n'invoquent aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu'il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats. Dans ces conditions, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, le niveau de l'abstention constatée pour ce scrutin ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'élection d'un conseiller municipal et d'un conseiller communautaire :
47. Il appartient au juge de rectifier les résultats d'une élection lorsque les erreurs ou irrégularités qu'il constate ont affecté des bulletins de vote déterminés. Si tel n'est pas le cas, il doit procéder à des calculs hypothétiques afin de déterminer si ces erreurs ou irrégularités conduisent à remettre en cause les résultats proclamés.
48. M. Q... soutient que le tribunal administratif aurait méconnu son office en ne rectifiant pas les résultats du scrutin après avoir déduit hypothétiquement 195 suffrages exprimés du nombre total des suffrages exprimés et du nombre voix obtenues par la liste gagnante. Toutefois, il résulte des motifs du jugement attaqué que les irrégularités constatées par le tribunal n'affectaient pas des bulletins de vote déterminés et ne pouvaient, par suite, donner lieu qu'à une déduction hypothétique et non à la proclamation de l'élection d'un candidat. Les conclusions de M. Q... tendant, après rectification du décompte des voix, à ce qu'il soit proclamé conseiller municipal et conseiller communautaire de la communauté d'agglomération intercommunale des villes solidaires ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 118-4 du code électoral :
49. Aux termes de l'article L. 118-4 du code électoral : " Saisi d'une contestation formée contre l'élection, le juge de l'élection peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. / (...) / Si le juge de l'élection a déclaré inéligible un candidat proclamé élu, il annule son élection ".
50. Il résulte de ces dispositions que, régulièrement saisi d'un grief tiré de l'existence de manœuvres, le juge de l'élection peut, le cas échéant d'office, et après avoir, dans cette hypothèse, recueilli les observations des candidats concernés, déclarer inéligibles, pour une durée maximale de trois ans, des candidats, si les manœuvres constatées présentent un caractère frauduleux et s'il est établi qu'elles ont été accomplies par les candidats concernés et ont eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Le caractère frauduleux des manœuvres s'apprécie eu égard, notamment, à leur nature et à leur ampleur.
51. En l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction, eu égard notamment à la nature des irrégularités mentionnées dans la présente décision, que M. S... aurait commis des manœuvres présentant un caractère frauduleux ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Il s'ensuit que c'est à bon droit que le tribunal administratif a rejeté les conclusions présentées par M. A... et Mme F... au titre de l'article L. 118-4 du code électoral.
52. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes présentées par M. Q..., d'une part, et par M. A... et Mme F..., d'autre part, doivent être rejetées.
53. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. S... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les requêtes de M. Q... et de M. A... et Mme F... sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. S... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. R... Q..., à M. V... A..., premier requérant dénommé, à M. H... S..., à M. U... L..., à M. D... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.