2°) d'annuler l'ordonnance contestée ;
3°) de faire droit à ses demandes de première instance ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la part contributive de l'Etat allouée au titre de l'aide juridictionnelle, ou, à défaut d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat cette même somme à verser directement à son conseil.
Il soutient que :
- le réexamen de sa demande d'asile est justifié, dès lors qu'il dispose d'un élément nouveau à faire valoir, tiré de ce qu'un jugement du tribunal des crimes contre l'Etat de Khartoum du 5 avril 2018 l'a condamné à une peine d'emprisonnement de cinq ans pour incitation à la rébellion et à la désertion du service militaire, jugement dont il n'a pu obtenir la traduction officielle que récemment, faute d'avoir disposé jusqu'alors des moyens financiers nécessaires ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que, quand bien même les autorités françaises ne procèderaient pas au renvoi des ressortissants soudanais dans leurs pays d'origine, la pratique de l'administration à Calais est de les placer en rétention au centre de rétention administrative de Coquelles même en l'absence de perspective d'éloignement, ce qui justifie l'urgence pour le requérant d'obtenir un droit à se maintenir et à circuler sur le territoire français ;
- l'ordonnance est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'il a bien été fait obstruction à sa demande d'asile au motif qu'il faisait l'objet d'un signalement dans le fichier des personnes recherchées ;
- la décision du préfet porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d'asile ;
- bien qu'il se soit présenté à sa convocation pour l'enregistrement de sa nouvelle demande d'asile le 4 octobre 2018, il n'a toujours pas vu cette demande enregistrée, alors que les délais prévus par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont expirés depuis au plus tard le 14 octobre 2018 ;
- il a fait l'objet d'une arrestation déloyale dans les services de la préfecture, ce qui a fait obstacle au dépôt de sa demande d'asile, alors que, à supposer même qu'il ait commis des manquements expliquant son inscription dans le fichier des personnes recherchées, ceux-ci ne sauraient justifier le refus de la préfecture d'enregistrer sa demande d'asile ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucune atteinte manifestement grave et illégale n'a été portée au droit d'asile de
M.B... ;
Un mémoire en intervention, enregistré le 26 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, a été présenté par l'association " La Cabane juridique / Legal Shelter ", qui conclut à ce qu'il soit fait droit à la requête de M.B... ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique d'une part, M. B... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du vendredi 26 octobre 2018 à 10 heures 45 au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Guillaume Delvolve, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M.B... ;
- M.B..., assisté de son interprète, et ses représentants ;
- le représentant de l'association " La Cabane juridique / Legal Shelter " ;
- les représentantes du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Sur l'intervention de l'association " La Cabane juridique / Legal Shelter " :
1. Considérant que l'association " La Cabane juridique / Legal Shelter " justifie, eu égard à son objet statutaire et à la nature du litige, d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'ordonnance attaquée ; que son intervention est, par suite, recevable ;
Sur les conclusions de la requête de M.B... :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.B..., ressortissant soudanais, a déposé une première demande d'asile en 2016 ; que, par une décision du
9 juin 2017, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande ; que la Cour nationale du droit d'asile a rejeté son recours par un arrêt du 30 novembre 2017 ; que
M.B..., ayant entamé des démarches pour obtenir le réexamen de sa demande d'asile, s'est rendu le 16 septembre 2018 à la plate-forme régionale d'accueil des demandeurs d'asile de Lille et a ainsi été convoqué le 4 octobre 2018 au guichet unique pour demandeurs d'asile de la préfecture du Nord afin qu'il soit procédé à l'enregistrement de sa demande ; que, toutefois, l'agent en charge de la procédure a procédé à des contrôles relatifs à la situation de l'intéressé dans plusieurs fichiers, dont le fichier des personnes recherchées, en application de l'article 1er du décret du 28 mai 2010, qui prévoit que ce traitement peut faire l'objet d'une consultation lors de l'instruction des demandes portant sur l'application de la réglementation relative aux étrangers ; qu'il est apparu que M. B...était inscrit dans ce fichier et que la mention relative à la conduite à tenir pour l'agent était ainsi rédigée : " avisez le service de police ou de gendarmerie qui vous est rattaché " ; que l'agent en cause a interrompu la procédure d'enregistrement de la demande et a prévenu les services de police, lesquels ont procédé à l'interpellation de M.B... ; qu'il s'est révélé que ce dernier avait été inscrit au fichier des personnes recherchées aux seules fins de lui notifier une condamnation prononcée par le tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne à une peine d'amende pour voyage habituel dans un moyen de transport public de personnes sans titre de transport ; que, le 5 octobre 2018,
M. B...a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit ordonné au préfet du Nord de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile dans un délai de 48 heures ; que, par une ordonnance du 8 octobre 2018 dont M. B...relève appel, le juge des référés a rejeté sa demande ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Tout demandeur reçoit, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, une information sur ses droits et obligations en application dudit règlement, dans les conditions prévues à son article 4./ L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. Toutefois, ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu'un nombre élevé d'étrangers demandent l'asile simultanément (...) " ;
5. Considérant que la circonstance que des mentions relatives à un étranger demandeur d'asile figurent dans un fichier consulté, en application des règles qui le régissent, par les agents compétents du guichet unique des demandeurs d'asile de la préfecture ne saurait, par elle-même, justifier qu'un refus d'enregistrement de sa demande soit opposé à l'intéressé ; qu'en un tel cas, il appartient, en principe, à l'agent de poursuivre la procédure d'enregistrement de la demande, tout en adoptant la conduite qui lui est prescrite dans le cadre de la consultation du fichier ; que si les circonstances exigent de différer provisoirement la poursuite de la procédure, il incombe à l'administration de prendre toutes mesures utiles pour que l'intéressé soit de nouveau convoqué, dans les plus brefs délais, afin de la mener à son terme ;
6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, M. B...a été convoqué au guichet unique des demandeurs d'asile le 4 octobre à 8 h 10 à la suite de son passage par la plate-forme régionale d'accueil des demandeurs d'asile ; qu'après avoir procédé à la consultation du fichier des personnes recherchées, l'agent qui l'a reçu a interrompu la procédure d'enregistrement de sa demande et averti les services de police ; que M. B...a été invité à demeurer dans une salle d'attente, jusqu'à l'arrivée de ces services, vers 13 h, moment où il a été interpellé ; que l'agent de la préfecture a indiqué par téléphone à un représentant de l'association " La Cabane Juridique / Legal Shelter " que M. B...pourrait revenir à la préfecture pour faire enregistrer sa demande, à la condition de s'être rendu au préalable à la plateforme d'accueil des demandeurs d'asile afin d'obtenir une nouvelle convocation ; que les représentants du ministre de l'intérieur ont confirmé, lors de l'audience, la nécessité d'une telle démarche ; qu'ainsi, contrairement à ce qu'a relevé le juge des référés du tribunal administratif de Lille, il a bien été fait obstacle, au moins provisoirement, à l'enregistrement de la demande de
M.B... ; que le ministre de l'intérieur n'apporte aucun élément justifiant l'absence d'enregistrement immédiat de cette demande, autre que l'existence d'une fiche le concernant dans le fichier des personnes recherchées ; que M. B...est fondé à soutenir que, dans les circonstances de l'espèce, en ne procédant pas à l'enregistrement de sa demande dès le 4 octobre 2018 et en l'invitant à reprendre intégralement la procédure, alors que le délai moyen pour obtenir une convocation en préfecture en passant par la plate-forme régionale d'accueil des demandeurs d'asile est supérieur au délai maximal fixé par la loi, les services de la préfecture du Nord ont porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ; que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie, eu égard notamment à la situation de l'intéressé, placé sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ; qu'il y a lieu, en application de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de prendre, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la présente ordonnance, toute mesure utile pour que M. B...soit convoqué sans délai au guichet unique des demandeurs d'asile de la préfecture du Nord ; que ses conclusions tendant à ce que lui soit remis à cette occasion un dossier d'asile à transmettre à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à ce que lui soit délivré une autorisation provisoire de séjour en qualité de demandeur d'asile, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ne peuvent, en revanche, qu'être rejetées, dans la mesure où il appartiendra au préfet du Nord, lors de l'enregistrement de la demande, d'examiner si l'intéressé remplit les conditions requises par les textes applicables pour pouvoir saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et se voir délivrer une attestation de demande d'asile ;
8. Considérant que s'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'admettre provisoirement M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, il y a lieu, en revanche, de faire droit aux conclusions qu'il a présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de ces dispositions.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de l'association " La Cabane juridique / Legal Shelter " est admise.
Article 2 : L'ordonnance du 8 octobre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Lille est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de prendre, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la présente ordonnance, toute mesure utile pour que M. B... soit convoqué sans délai au guichet unique des demandeurs d'asile de la préfecture du Nord.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à M. B...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B..., à l'association " La Cabane juridique / Legal Shelter " et au ministre de l'intérieur.