Elle soutient que :
- la condition de l'urgence est remplie dès lors que, d'une part, le report de dix-huit mois d'opérations électorales imminentes nuit à l'intérêt public qui s'attache à ce que les instances représentant légalement la profession soient les plus représentatives possible et que, d'autre part, la décision litigieuse prive le corps électoral professionnel de la possibilité d'élire ses représentants ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la décision litigieuse méconnaît le principe de périodicité raisonnable de l'exercice du droit au suffrage ;
- elle méconnaît le principe de l'égalité de suffrage ;
- elle est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle se fonde sur des motifs impropres à justifier un tel report ;
- elle est constitutive d'un détournement de pouvoir.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par une intervention, enregistrée le 30 octobre 2018, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Fédération des experts comptables et commissaires aux comptes de France et, d'autre part, le Premier ministre, la garde des sceaux, ministre de la justice, et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 7 novembre 2018 à 10 heures, au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, représentant la Fédération des experts-comptables et commissaires aux comptes de France ;
- les représentants de la Fédération des experts-comptables et commissaires aux comptes de France ;
- Me Remy-Corlay, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ;
- les représentants de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ;
- les représentants de la garde des sceaux, ministre de la justice ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au jeudi 8 novembre 2018 à 12 heures ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 7 novembre 2018, par lequel la Fédération des experts-comptables et commissaires aux comptes de France maintient ses conclusions et ses moyens. Elle conclut en outre, dans l'hypothèse où l'exécution du décret attaquée serait suspendue, à ce qu'il soit enjoint au Premier ministre d'édicter un nouveau décret prorogeant les mandats des élus des conseils régionaux des commissaires aux comptes et du Conseil national des commissaires aux comptes jusqu'au 31 janvier 2019. Elle soutient également que le Premier ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation en fixant à
dix-huit mois la durée de la prorogation des mandats.
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 8 novembre 2018, par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice, maintient ses conclusions et ses moyens.
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 8 novembre 2018, par lequel la Compagnie nationale des commissaires aux comptes maintient ses conclusions et ses moyens. Elle soutient en outre que les conclusions de la fédération requérante à fins d'injonction sont irrecevables.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
Sur l'intervention de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes :
1. La Compagnie nationale des commissaires aux comptes, qui intervient au soutien des conclusions présentées par la garde des sceaux, ministre de la justice, justifie, eu égard à son objet statutaire et à la nature du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance. Son intervention est, par suite, recevable.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Il résulte de ces dispositions que le prononcé de l'exécution de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence justifiant l'intervention de mesures provisoires ordonnées en référé dans l'attente du jugement de la requête au fond. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
3. Aux termes de l'article R. 821-37 du code de commerce, " le Conseil national est composé de commissaires aux comptes délégués par les compagnies régionales. / Les délégués sont élus dans son sein par le conseil régional, au scrutin secret, pour une durée de quatre ans (...) / Le Conseil national est renouvelé par moitié tous les deux ans ". Aux termes de l'article R. 821-54 du même code : " Les membres du conseil régional sont élus au scrutin secret, pour une durée de quatre ans. / Le conseil régional est renouvelé par moitié tous les deux ans. / (...) ". Aux termes de l'article R. 821-35 du même code : " Le règlement intérieur de chaque compagnie fixe les modalités de la publicité à donner aux candidatures, de l'organisation des élections, du dépouillement du scrutin, du règlement des contestations et de la publication des résultats ". Aux termes de l'article 10-5 du règlement intérieur de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes : " Le Conseil National fixe, au moins six mois avant la date d'expiration du mandat des membres sortants des conseils régionaux, les dates retenues pour l'élection aux conseils régionaux ". Il résulte des articles 10-5 et suivants du même règlement qu'il appartient aux compagnies régionales d'organiser l'élection des membres des conseils régionaux aux dates fixées par le conseil national.
4. Par un décret du 8 octobre 2018, dont la suspension est demandée, le Premier ministre a prorogé les mandats des membres élus des conseils régionaux et du Conseil national des commissaires aux comptes pour une durée de dix-huit mois, compte tenu de la réforme de grande ampleur de cette profession, prévue par le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises en cours d'examen par le Parlement.
5. Pour caractériser l'urgence qu'il y a à suspendre ce décret, la Fédération des experts-comptables et commissaires aux comptes de France soutient que le report des opérations électorales, initialement prévues durant l'automne 2018 en vue du renouvellement des mandats expirant le 31 décembre 2018, nuit à l'intérêt de la profession des commissaires aux comptes dès lors qu'il porte une atteinte grave à la représentativité des conseils régionaux et du conseil national auprès des pouvoirs publics, alors même qu'est débattue au Parlement la réforme mentionnée au point précédent. Elle soutient également que ce report prive les électeurs de la possibilité de choisir leurs représentants dans ce contexte particulier. Elle relève enfin l'intérêt public qui s'attache à la préservation de la représentativité des instances précitées et au principe de périodicité des élections.
6. Toutefois, il y a lieu de tenir compte, dans la balance des intérêts à laquelle procède le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, pour apprécier si la condition d'urgence doit être regardée comme remplie, de l'intérêt public qui s'attache à la continuité des instances représentatives de la profession de commissaires aux comptes, particulièrement dans le contexte de réforme mentionné au point précédent. Or, l'objet même du décret attaqué est de garantir cette continuité en prorogeant de dix-huit mois les mandats en cours. En revanche, celle-ci pourrait être remise en cause dans le cas où, alors que la suspension du décret attaqué aurait donné lieu à l'élection de nouveaux membres, le rejet ultérieur de la requête au fond de la fédération requérante contre ce décret entraînerait le rétablissement des mandats des anciens membres prorogés par celui-ci. Au regard de ce risque d'instabilité, l'atteinte portée par l'acte attaqué à la représentativité des instances précitées et au principe de périodicité des élections apparaît limitée dès lors que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, sera normalement en mesure de se prononcer sur la requête en annulation dans les prochains mois.
7. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, la requête de la Fédération des experts-comptables et des commissaires aux comptes de France doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant au prononcé d'une injonction et à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes est admise.
Article 2 : La requête de la Fédération des experts-comptables et commissaires aux comptes de France est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération des experts-comptables et commissaires aux comptes de France, au Premier ministre, à la garde des sceaux, ministre de la justice, et à la Compagnie nationale des commissaires aux comptes.