Il soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la requérante ne présente pas une situation de vulnérabilité telle que le défaut de réponse à sa demande de conditions matérielles d'accueil puisse représenter une situation d'urgence ;
- la requérante ne peut alléguer un droit aux conditions matérielles d'accueil dès lors, d'une part, qu'elle a fait l'objet d'un arrêté de transfert et a été remise aux autorités italiennes le 23 mai 2018 et, d'autre part, qu'elle ne démontre pas que les autorités italiennes ont refusé de traiter sa demande d'asile ;
- en tout état de cause, l'allocation pour demande d'asile ne saurait être rétroactive au 6 septembre 2018, date à laquelle la requérante n'était pas munie d'une attestation de demande d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2019, Mme B...conclut, d'une part, au rejet de la requête et, d'autre part, à ce qu'il soit mis à la charge de l'OFII le versement d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence est remplie et que les moyens de l'OFII ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Office français de l'immigration et de l'intégration et le ministre de l'intérieur, et, d'autre part, Mme B...;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 26 février 2019 à 15 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :
- la représentante de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- la représentante de Mme B...;
- les représentantes du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
2. Sur le fondement de ces dispositions, Mme B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy d'enjoindre, d'une part, aux préfets de Meurthe-et-Moselle et du Bas Rhin de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile en procédure normale et, d'autre part, à l'OFII de rétablir ses conditions matérielles d'accueil par le paiement de l'allocation de demandeur d'asile et l'offre d'hébergement. Par une ordonnance n° 1900340 du 11 février 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a enjoint à l'OFII de lui verser l'allocation pour demande d'asile à compter de sa demande du 6 septembre 2018 et a rejeté le surplus des conclusions de sa requête. L'OFII relève appel de cette ordonnance en ce qu'elle lui enjoint de verser l'allocation pour demandeur d'asile à Mme B... à compter du 6 septembre 2018.
Sur l'urgence :
3. Si l'OFII fait valoir que la condition d'urgence n'est pas remplie, il ne conteste pas que Mme B...vit en France sans aucune ressource, ne dispose d'aucun hébergement et indique chercher à se soustraire à un réseau de prostitution qui lui a permis de venir en Europe. Dans ces conditions, l'office requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a estimé que la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-2 du code de justice administrative était remplie.
Sur les dispositions applicables :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 744-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, sont proposées à chaque demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de la demande d'asile par l'autorité administrative compétente, en application du présent chapitre. Les conditions matérielles d'accueil comprennent les prestations et l'allocation prévues au présent chapitre. (...) ". L'article L. 742-1 du même code prévoit que : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat ". L'article L. 744-5 de ce code dispose que : " Les lieux d'hébergement mentionnés à l'article L. 744-3 accueillent les demandeurs d'asile pendant la durée d'instruction de leur demande d'asile ou jusqu'à leur transfert effectif vers un autre Etat européen. Cette mission prend fin à l'expiration du délai de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou à la date de la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou à la date du transfert effectif vers un autre Etat, si sa demande relève de la compétence de cet Etat ". L'article L. 744-9 de ce code prévoit que " Le demandeur d'asile qui a accepté les conditions matérielles d'accueil proposées en application de l'article L. 744-1 bénéficie d'une allocation pour demandeur d'asile s'il satisfait à des conditions d'âge et de ressources. L'Office français de l'immigration et de l'intégration ordonne son versement dans l'attente de la décision définitive lui accordant ou lui refusant une protection au titre de l'asile ou jusqu'à son transfert effectif vers un autre Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile (...) ".
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Outre les cas, mentionnés à l'article L. 744-7, dans lesquels il est immédiatement mis fin de plein droit au bénéfice des conditions matérielles d'accueil, le bénéfice de celles-ci peut être : (...) 2° Refusé si le demandeur présente une demande de réexamen de sa demande d'asile ou s'il n'a pas sollicité l'asile, sans motif légitime, dans le délai prévu au 3° du III de l'article L. 723-2 ".
6. Enfin, aux termes de l'article D. 744-37 du même code : " Le bénéfice de l'allocation pour demandeur d'asile peut être refusé par l'Office français de l'immigration et de l'intégration : 1° En cas de demande de réexamen de la demande d'asile ; (...) 3° En cas de fraude " et, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 744-6 de ce code : " L'évaluation de la vulnérabilité vise, en particulier, à identifier les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes atteintes de maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, telles que des mutilations sexuelles féminines. ".
Sur l'office du juge des référés :
7. D'une part, les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative confèrent au juge administratif des référés le pouvoir d'ordonner toute mesure dans le but de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale par une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public. Il résulte tant des termes de cet article que du but dans lequel la procédure qu'il instaure a été créée que doit exister un rapport direct entre l'illégalité relevée à l'encontre de l'autorité administrative et la gravité de ses effets au regard de l'exercice de la liberté fondamentale en cause.
8. D'autre part, si la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et de la situation du demandeur. Ainsi, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation de famille. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque situation, les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.
Sur l'ordonnance attaquée :
9. Il résulte de l'instruction que MmeB..., née le 1er juin 1985, de nationalité nigériane, est entrée en France de manière irrégulière le 13 juillet 2016. L'intéressée a souhaité présenter une demande d'asile en France auprès des services de la préfecture de la Moselle le 26 septembre 2016. La consultation " Eurodac " ayant fait apparaître que ses empreintes digitales avaient été antérieurement relevées en Italie, une procédure de demande de reprise en charge vers ce pays a été mise en oeuvre. Les autorités italiennes, saisies le 6 octobre 2016, ont délivré leur accord implicite de reprise en charge le 7 décembre 2016. Par un arrêté du 27 avril 2017, le préfet de Meurthe-et-Moselle a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile. Mme B...a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Nancy. Par un jugement du 23 mai 2017, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par une décision du 21 novembre 2017, le préfet de Meurthe-et-Moselle a informé les autorités italiennes de la fuite de l'intéressée et de la prolongation de son délai de transfert vers l'Italie, qui expirait le 23 novembre 2017, jusqu'au 23 novembre 2018. Par une ordonnance du 23 avril 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande de Mme B...tendant à ce que, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, il suspende cette décision du préfet de Meurthe-et-Moselle. Mme B...a fait l'objet d'un transfert vers l'Italie le 23 mai 2018. Revenue en France le 10 août 2018, elle a de nouveau sollicité l'asile le 6 septembre 2018 et a renouvelé cette demande le 23 novembre 2018. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances, cette nouvelle demande, qui a été enregistrée le 4 janvier 2019 en procédure " Dublin ", est assimilable à une demande de réexamen au sens de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, l'OFII n'était, en application de cet article, pas tenu d'accorder à Mme B...le bénéfice des conditions matérielles d'accueil. Celui-ci ne pouvait cependant pas les lui refuser sans examiner au préalable sa situation afin de prendre en compte sa vulnérabilité.
10. Il résulte de l'instruction que l'OFII a refusé d'accorder à l'intéressée le bénéfice des conditions matérielles en se fondant sur le caractère frauduleux de cette nouvelle demande. Or, si l'article D. 744-36 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que le bénéfice de l'allocation pour demandeur d'asile peut être refusé en cas de fraude, ces dispositions ne sauraient fonder le refus de l'allocation que dans le cas où sont établies des manoeuvres frauduleuses pour l'obtention des conditions matérielles d'accueil. La circonstance qu'après son transfert vers l'Italie, Mme B...est revenue en France et a présenté une nouvelle demande d'asile ne caractérise pas, par elle-même, une fraude aux conditions matérielles d'accueil susceptible de justifier que leur bénéfice lui soit refusé. En outre, s'agissant d'une demande assimilable à une demande de réexamen, l'OFII ne saurait utilement invoquer la circonstance que cette demande aurait été présentée tardivement. Enfin, l'OFII ne conteste pas les affirmations de l'intéressée selon lesquelles elle est venue du Nigéria en Italie avec l'aide d'un réseau de prostitution à la menace duquel elle essaie de se soustraire en revenant en France et elle essaie de sortir de la prostitution à laquelle elle a été contrainte de se livrer. Cette situation non contestée par l'OFII traduit une situation de vulnérabilité au sens du deuxième alinéa de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le refus de l'OFII d'accorder à l'intéressée les conditions matérielles d'accueil à compter du 4 janvier 2019, date de l'enregistrement de sa demande d'asile, est entaché d'une illégalité manifeste. En revanche, il n'appartient en principe pas au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre le versement de cette allocation à titre rétroactif pour une période écoulée.
11. Il résulte de tout ce qui précède que si l'OFII est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy lui a enjoint de verser à Mme B...l'allocation pour demandeur d'asile à compter du 6 septembre 2018, il n'est pas fondé à se plaindre de ce que le versement de cette allocation a été mis à sa charge à compter du 11 février 2019.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'OFII le versement à Mme B...d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nancy du 11 février 2019 est annulée en tant qu'elle a enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de verser à Mme B...l'allocation pour demandeur d'asile, à titre rétroactif, du 6 septembre 2018 au 10 février 2019.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de l'Office français de l'immigration et de l'intégration est rejeté.
Article 3 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera la somme de 1 500 euros à Mme B...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à Mme A...B....
Copie en sera adressée pour information au ministre de l'intérieur.