Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors qu'elle dispose d'un intérêt à agir contre l'arrêté litigieux et qu'elle en a demandé l'annulation pour excès de pouvoir ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'en vertu de l'arrêté litigieux, la chasse au courlis cendré est ouverte depuis le 1er samedi d'août avec un quota trop important, étendu à tout le territoire, et qu'une annulation a posteriori ne permettra pas de réparer l'atteinte subie, ce qui porte un préjudice suffisamment grave et immédiat aux intérêts qu'elle a pour objet de défendre ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;
- il a été pris au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'il comporte des dispositions différentes du projet d'arrêté présenté à la consultation du public, sans que ces modifications soient justifiées par les observations du public, qu'il a ainsi privé d'une garantie ;
- il méconnaît les objectifs résultants des articles 2 et 7 de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 dite " oiseaux ", transposée aux articles L. 424-1 et suivants du code de l'environnement, ainsi que les obligations résultant du plan international d'actions établi dans le cadre de l'accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie conclu le 15 août 1996 ;
- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée ;
- l'arrêté du 24 mars 2006 relatif à l'ouverture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d'eau ;
- l'arrêté du 30 juillet 2008 relatif à la suspension de la chasse de certaines espèces de gibier ;
- l'arrêté du 19 janvier 2009 relatif aux dates de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d'eau ;
- l'arrêté du 24 juillet 2013 relatif à la suspension de la chasse de certaines espèces de gibier en France métropolitaine ;
- l'arrêté du 24 février 2014 portant approbation du cahier des charges fixant les clauses et les conditions générales de la location par l'Etat du droit de chasse sur le domaine public maritime sur les étangs et plans d'eau salés domaniaux et sur la partie des cours d'eau domaniaux située à l'aval de la limite de salure des eaux, à l'exclusion des circonscriptions des grands ports maritimes, pour la période du 1er juillet 2014 au 30 juin 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Ligue pour la protection des oiseaux et, d'autre part, le ministre de la transition écologique et solidaire ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 21 août 2019 à 14 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Texier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Ligue pour la protection des oiseaux ;
- les représentants de la Ligue pour la protection des oiseaux ;
- les représentants du ministre de la transition écologique et solidaire ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Le courlis cendré est un oiseau figurant sur la liste, fixée par arrêté du 26 juin 1987, des espèces de gibier dont la chasse est autorisée. Toutefois, l'élaboration d'un plan national de gestion de cette espèce ayant été engagé en raison de son mauvais état de conservation, la chasse au courlis cendré a été suspendue pour cinq ans par un arrêté du ministre de l'environnement du 30 juillet 2008, pris sur le fondement de l'article R. 424-14 du code de l'environnement, rendant inapplicables pendant cette période les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et aux gibiers d'eau résultant en principe des arrêtés du 24 mars 2006 et du 19 janvier 2009, pris par le ministre chargé de la chasse en vertu de l'article R. 424-9 du même code. Ce " moratoire " a été restreint avant son terme : la chasse du courlis cendré a été de nouveau autorisée sur le domaine public maritime, abritant l'essentiel de la population de cet oiseau, par arrêté ministériel du 3 février 2012, reconduit par des arrêtés ministériels du 24 juillet 2013 et du 1er août 2018, ce dernier arrêté ayant cependant été annulé par la décision du Conseil d'Etat n° 424600 du 12 juillet 2019. Par un arrêté du 31 juillet 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire a, d'une part, mis fin au " moratoire " en autorisant la chasse du courlis cendré sur l'ensemble du territoire pendant la saison 2019-2020, d'autre part différé au 15 septembre l'ouverture de la chasse de cette espèce en dehors d'une partie du domaine public maritime et fixé à 6 000 courlis cendrés le total des prélèvements autorisés, enfin, organisé un suivi des prélèvements, notamment par l'enregistrement de tout prélèvement en temps réel et par la fourniture d'une aile de l'oiseau prélevé sur un échantillon d'au moins 10 % des prélèvements. La Ligue pour la protection des oiseaux demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de cet arrêté et d'enjoindre au ministre de la transition écologique et solidaire de ne pas ouvrir la chasse de l'espèce jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Ainsi qu'il résulte des précisions apportées à l'audience par la requérante, il y a lieu de regarder ces conclusions comme tendant à ce que l'exécution de l'arrêté soit suspendue en tant que, sous les conditions qu'il fixe, il permet la chasse de cette espèce et notamment en tant qu'il autorise le prélèvement de 6 000 courlis cendrés.
Sur l'urgence :
3. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
4. Eu égard à l'objet de l'arrêté dont la suspension est demandée, qui détermine les conditions dans lesquelles le courlis cendré peut être chassé pendant la campagne de chasse 2019-2020, laquelle a débuté le 1er samedi d'août sur une partie du domaine public maritime, ainsi qu'aux dates et au nombre de prélèvements qu'il retient pour la chasse de cette espèce et à l'état de conservation de celle-ci, la condition d'urgence requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.
Sur le doute sérieux :
5. En vertu de l'article L. 424-1 du code de l'environnement, le ministre chargé de la chasse prend des arrêtés pour " prévenir la destruction ou favoriser le repeuplement des oiseaux ou de toutes espèces de gibier ". Aux termes de l'article R. 424-14 du même code : " Le ministre chargé de la chasse (...) peut, par arrêté pris après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage, suspendre pendant une durée maximale de cinq ans la possibilité de chasser certaines espèces de gibier qui sont en mauvais état de conservation ". Ces articles doivent être lus à lumière des objectifs de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dont ils contribuent à la transposition. Au titre de cette directive, le courlis cendré figure parmi les espèces énumérées à l'annexe II, partie B, dont les Etats membres peuvent, en vertu du 1. et du 3. de l'article 7 de cette directive, autoriser la chasse sous certaines conditions. Il résulte à ce titre en particulier du 1. et du 4. de cet article que la chasse de ces espèces ne doit pas compromettre les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution et doit être compatible avec les dispositions découlant de l'article 2, impliquant que soient prises les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de l'espèce à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles.
6. Or, d'une part, il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que le courlis cendré est une espèce en mauvais état de conservation, estimée notamment comme telle par le Museum national d'histoire naturelle et classée comme vulnérable sur les listes rouges, européenne et française, de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), et que des efforts de conservation de cette espèce ont été entrepris dans son aire de distribution. Cette espèce bénéficie ainsi, depuis 2008, d'un " moratoire " sur sa chasse dans l'ensemble des pays européens de cette aire. Un " plan d'action international " sur le courlis cendré a été adopté en 2015 par les Etats signataires de l'accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie (" AEWA "), auquel l'Union européenne est également partie et qu'elle met en oeuvre par la directive du 30 novembre 2009, prévoyant un " moratoire " complet sur la chasse de cette espèce en France jusqu'à la mise en place d'une " gestion adaptative ". Cette pratique consiste, ainsi que le précise désormais l'article L. 425-16 du code de l'environnement, à ajuster régulièrement les prélèvements d'une espèce en fonction de l'état de conservation de sa population et de son habitat, en s'appuyant sur les connaissances scientifiques relatives à cette population. La coopération à l'élaboration et à la mise en oeuvre d'un tel plan international, prévue au 2.2.1 du plan d'action défini à l'annexe III de l'AEWA, fait partie des actions que les parties doivent entreprendre en vertu de l'article 4 de cet accord. Le courlis cendré fait également l'objet d'un " plan national de gestion " pour la période 2015 - 2020, dans le cadre de l'élaboration duquel avait été décidé le " moratoire " sur la chasse de cette espèce, sur l'ensemble du territoire métropolitain en 2008 puis en dehors du domaine public maritime depuis 2012.
7. D'autre part, si le ministre chargé de la chasse dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans le choix des mesures qu'il prend pour prévenir la destruction ou favoriser le repeuplement des oiseaux en application de l'article L. 424-1 du code de l'environnement, il résulte de l'instruction, notamment de l'enquête réalisé par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage lors de la saison de chasse 2013-2014, ainsi que des précisions apportées au cours de l'audience, que les conditions, notamment de quota, de la chasse au courlis cendré qu'il a fixées par l'arrêté litigieux sont proches de celles qui seraient observées en l'absence de tout encadrement. Il en résulte également qu'il n'a pas fait reposer ce choix sur les connaissances scientifiques relatives à la population de cette espèce, comme auraient pu le lui permettre les données résultant de la déclaration des prélèvements de limicoles sur le domaine public maritime imposée aux chasseurs par l'arrêté interministériel du 24 février 2014, visé ci-dessus, sans lesquelles le Comité d'experts sur la gestion adaptative prévu à l'article D. 421-51 du code de l'environnement avait, dans son avis du 13 mai 2019, estimé qu'aucun niveau de prélèvement durable ne pouvait être recommandé. En l'absence de prise en compte des éléments existants quant à l'état de conservation de la population de cette espèce et ainsi que l'administration l'a également admis lors de l'audience, l'arrêté litigieux ne peut d'ailleurs être regardé comme mettant en place une " gestion adaptative " du courlis cendré.
8. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaît le plan international d'action établi dans le cadre de l'accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie et les objectifs résultant des articles 2 et 7 de la directive n° 2009/147/CE du 30 novembre 2009, transposée notamment à L. 424-1 du code de l'environnement apparaît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté litigieux.
9. L'autre moyen de la requête n'étant pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté, il résulte de tout ce qui précède que la suspension de l'exécution de cet arrêté doit être ordonnée en tant qu'il fixe à un nombre supérieur à zéro le total de prélèvements autorisés de courlis cendrés pour l'ensemble du territoire métropolitain et le surplus des conclusions aux fins de suspension et d'injonction présentées par la requérante rejeté.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la Ligue pour la protection des oiseaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative non plus qu'à celles tendant à ce que les dépens soient mis à la charge de l'Etat.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution de l'arrêté du ministre de la transition écologique et solidaire du 31 juillet 2019 relatif à la chasse du courlis cendré en France métropolitaine pendant la saison 2019-2020 est suspendue en tant que cet arrêté fixe à un nombre supérieur à zéro le total de prélèvements autorisés de courlis cendrés pour l'ensemble du territoire métropolitain.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la Ligue pour la protection des oiseaux est rejeté.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue pour la protection des oiseaux et à la ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée à la Fédération nationale des chasseurs et à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage.