2°) de rejeter la demande de Mme B....
Il soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors qu'il n'est pas établi que Mme B... soit en situation de dénuement et sans ressources en l'absence de justificatifs démontrant qu'elle ne perçoit aucune aide sociale de son pays d'origine ;
- il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile de Mme B... ;
- la décision contestée est entachée d'une contradiction de motifs dès lors qu'elle enjoint à l'OFII d'accorder à Mme B... les conditions matérielles d'accueil tout en reconnaissant qu'elle n'y est pas exigible en vertu de la directive 2013/33 qui réserve ce bénéfice aux ressortissants des pays tiers ;
- si le principe de dignité humaine, au sens de l'article 1er de la Charte des droits fondamentaux, exige de ne pas laisser un citoyen européen demandeur d'asile dans une situation de dénuement matériel extrême, il n'impose pas l'octroi des conditions matérielles d'accueil dès lors que d'autres aides sociales existent en application des dispositions du code de l'action sociale et des familles ;
- un Etat membre de l'Union européenne n'est pas tenu d'assurer une égalité de traitement entre les ressortissants des Etats membres et ceux des Etats tiers ;
- l'application de la directive 2013/33 ne saurait être étendue à un citoyen d'un Etat membre de l'Union européenne devenu demandeur d'asile dans un autre Etat membre dès lors que l'article unique du Protocole n° 24 sur le droit d'asile pour les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne se borne à fixer les conditions d'instruction de la demande d'asile sans prévoir l'octroi des conditions matérielles d'accueil ;
- la requérante dispose du statut de citoyen de l'Union européenne qui lui permet d'exercer une activité professionnelle sur le territoire français et, ainsi, de subvenir à ses besoins en application des dispositions du titre II du livre I du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;
- la décision contestée méconnaît la directive 2004/38 et l'article L. 121-1 du CESEDA en vertu desquels le ressortissant d'un Etat membre ne doit pas représenter une charge pour le système social de l'Etat membre d'accueil ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2020, Mme B... conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que le juge des référés du Conseil d'Etat sursoie à statuer et pose à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " Une législation nationale qui a transposé la directive 2013/33 en n'excluant pas de son champ d'application les ressortissants de l'Union européenne qui répondent aux exigences de recevabilité de leur demande d'asile conformément au protocole n°24 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, peut-elle leur refuser l'octroi des conditions matérielles d'accueil sans porter atteinte aux articles 18 du TFUE, 1er et 21 de la Charte des droits fondamentaux ' " ;
3°) en tout hypothèse, à ce que soit mise à la charge de l'OFII la somme de 4 000 euros, à verser à son conseil au titre des dispositions combinées des articles 75-1 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la condition d'urgence est remplie et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d'asile et au respect de sa dignité humaine.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur l'Union européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le Protocole n° 24 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif au droit d'asile pour les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne ;
- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'OFII, et d'autre part, Mme B... ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 27 octobre 2020, à 14 heures 30 :
- les représentantes de l'OFII ;
- la représentante du ministre de l'intérieur ;
- Me Marie Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
2. Si la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et de la situation du demandeur. Ainsi, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation de famille. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque situation, les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.
3. Aux termes de l'article unique du Protocole n° 24 sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif au droit d'asile pour les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne : " Vu le niveau de protection des droits fondamentaux et des libertés fondamentales dans les États membres de l'Union européenne, ceux-ci sont considérés comme constituant des pays d'origine sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes les questions juridiques et pratiques liées aux affaires d'asile. En conséquence, toute demande d'asile présentée par un ressortissant d'un État membre ne peut être prise en considération ou déclarée admissible pour instruction par un autre État membre que dans les cas suivants : / (...) b) si la procédure prévue à l'article 7, paragraphe 1, du traité sur l'Union européenne a été déclenchée et jusqu'à ce que le Conseil, ou le cas échéant le Conseil européen, prenne une décision à ce sujet à l'égard de l'État membre dont le demandeur est ressortissant ; (...) ".
4. Aux termes de l'article 7 du traité sur l'Union européenne : " 1. Sur proposition motivée d'un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu'il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l'article 2 ".
5. Par une résolution 2017/2131(INL) du 12 septembre 2018, le Parlement européen a soumis au Conseil une proposition l'invitant à constater, conformément à l'article 7, paragraphe 1, du traité sur l'Union européenne, l'existence d'un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l'Union est fondée. Ainsi, la procédure prévue à l'article 7, paragraphe 1, du traité sur l'Union européenne doit être regardée comme ayant été déclenchée, au sens du b) de l'article unique du Protocole n° 24, à l'égard de la Hongrie.
6. Il résulte de ce qui précède qu'un ressortissant hongrois peut déposer une demande d'asile auprès des autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne. La demande d'asile de Mme B..., ressortissante hongroise, née le 16 octobre 1972, a été enregistrée le 7 septembre 2020 selon la procédure normale au guichet unique de la préfecture du Bas-Rhin. Toutefois, par une décision du 8 septembre 2020, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de lui octroyer les conditions matérielles d'accueil. Mme B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de cette décision et d'enjoindre au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de lui octroyer les conditions matérielles d'accueil. Par l'ordonnance attaquée, le juge des référés a fait droit à cette demande.
7. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de la directive du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale : " 1. La présente directive s'applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui présentent une demande de protection internationale sur le territoire d 'un État membre, y compris à la frontière, dans les eaux territoriales ou les zones de transit, tant qu'ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs, ainsi qu'aux membres de leur famille, s'ils sont couverts par cette demande de protection internationale conformément au droit national. (...) ".
8. Aux termes de l'article L. 744-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, sont proposées à chaque demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de la demande d'asile par l'autorité administrative compétente, en application du présent chapitre. Les conditions matérielles d'accueil comprennent les prestations et l'allocation prévues au présent chapitre. ".
9. Si l'article 4 de la directive du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale dispose que " Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables en matière de conditions d'accueil des demandeurs et des parents proches du demandeur qui se trouvent dans le même État membre, lorsqu'ils dépendent de lui, ou pour des raisons humanitaires, dans la mesure où ces dispositions sont compatibles avec la présente directive. ", il ne ressort pas des termes de l'article L. 744-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cité au point 8 ci-dessus, que le législateur français ait entendu faire usage de cette faculté pour accorder le bénéfice des conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile à un demandeur ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne.
10. En second lieu, aux termes de 1'article 1er de la Charte des droits fondamentaux de 1'Union européenne : " La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée ". Il résulte de cet article, selon l'interprétation qu'en a donnée la Cour de justice de justice de l'Union européenne dans l'arrêt de grande chambre du 12 novembre 2019, Zubair Haqbin (aff. C-233/18, point 46), que le respect de la dignité humaine exige qu'une personne entrant dans le champ d'application de la directive du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, " ne se trouve pas dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que ceux de se loger, de se nourrir, de se vêtir et de se laver, et qui porterait ainsi atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec cette dignité ".
11. Toutefois, il ne découle pas manifestement des dispositions de 1'article 1er de la Charte des droits fondamentaux de 1'Union européenne que les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile doivent être accordées à un demandeur qui, en tant que citoyen de l'Union européenne, n'entre pas dans le champ d'application de la directive du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, mais dispose du droit de séjourner en France et d'y exercer une activité professionnelle dans les conditions prévues aux articles L. 121-1 et L. 121-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. Il résulte de ce qui précède que, dans les circonstances de l'espèce, la décision refusant d'octroyer à Mme B... les conditions matérielles d'accueil, au sens de la directive du 26 juin 2013, ne constitue pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, l'Office français de l'immigration et de l'intégration est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg lui a enjoint d'octroyer à Mme B... les conditions matérielles d'accueil.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du 9 octobre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.
Article 2 : la demande de Mme B... et les conclusions qu'elle a présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à Mme A... B....