Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 juillet 2014 et un mémoire en réplique enregistré le
22 mai 2015, la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 5 juin 2014 en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande indemnitaire ;
2°) de condamner en conséquence le centre hospitalier de la Rochelle à lui verser 80 % de la somme de 14 586,80 euros, ainsi que la somme de 1 028 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de la Rochelle la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la faute du centre hospitalier est établie ;
- elle justifie de ses dépens pour un montant de 18 233,50 euros ; ils correspondent à un appareillage prescrit inutilement par le centre hospitalier et à des séances de kinésithérapie destinées à soulager les douleurs de la patiente liées à la consolidation de la fracture dans une mauvaise position, dont la nécessité s'est poursuivie au-delà de la date de consolidation.
Par un mémoire enregistré le 13 mai 2015, le centre hospitalier de la Rochelle conclut principalement au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que l'abattement pour perte de chance soit appliqué aux sommes réclamées et, par la voie de l'appel incident, il demande que le jugement du 5 juin 2014 soit réformé en ce qu'il a prononcé sa condamnation à verser à Mme D...la somme de 6 640 euros correspondant à l'aménagement de l'accès à l'étage de son domicile.
Il fait valoir que :
- la caisse primaire d'assurance maladie, par les arguments qu'elle invoque et en se bornant à produire les mêmes pièces qu'en première instance et notamment une attestation d'imputabilité non circonstanciée de son médecin conseil, ne justifie pas de l'imputabilité des débours invoqués aux fautes qui étaient reprochées à l'établissement ;
- les sommes qui pourraient lui être allouées doivent à tout le moins être affectées du coefficient de perte de chance de 80 % retenu par le tribunal ;
- le lien entre les fautes retenues par le tribunal et la dépense tenant à l'aménagement spécial du logement de Mme D...n'est pas établi ; en effet, rien n'indique, compte tenu de l'état antérieur de celle-ci, que le taux d'incapacité qu'elle présente provient de ces fautes ; il n'est pas non plus établi que le taux d'incapacité de MmeD..., limité à 9 %, nécessitait un aménagement spécial de son domicile ; enfin, pour admettre l'indemnisation de tels travaux, le tribunal s'est fondé à tort sur un devis et non sur une facture.
La clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 22 juin 2015 par une ordonnance du 22 mai 2015.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 17 mai 2016 :
- le rapport de M.C... ;
- les conclusions de M. Katz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D...a été victime le 29 août 2008, lors de vacances à l'Ile de Ré, d'une chute qui lui a causé un traumatisme au genou nécessitant son hospitalisation au service des urgences du centre hospitalier de La Rochelle, où a été diagnostiquée une entorse. Elle a été revue en consultation dans le service de chirurgie orthopédique de cet établissement le
5 septembre 2008, sans que le diagnostic initial soit remis en cause. Compte tenu de la persistance de douleurs aigues après son retour à son domicile, à Rouen, Mme D...a consulté un chirurgien orthopédiste qui, après examen radiographique, a conclu à une fracture avec tassement du massif des plateaux tibiaux. Mme D...a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers d'une demande d'expertise et l'expert désigné a confirmé, par un rapport définitif remis le 6 août 2010, l'existence d'une fracture déplacée non décelée par le centre hospitalier de la Rochelle alors qu'elle était visible sur les clichés radiographiques réalisés le 29 août 2008. Après avoir adressé en vain une réclamation préalable au centre hospitalier, Mme D...a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à la condamnation de l'établissement à réparer les préjudices consécutifs à l'erreur de diagnostic relevée par l'expert. Par un jugement du 5 juin 2014, le tribunal a retenu l'existence d'une telle faute, imputable au centre hospitalier de la Rochelle, et a condamné celui-ci à payer à Mme D...une somme totale de 17 660 euros en réparation des préjudices y afférents. La caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe, qui est intervenue devant le tribunal pour faire valoir ses droits, relève appel du jugement en ce que celui-ci a rejeté sa demande de remboursement des débours qu'elle a exposés pour le compte de son assurée. Par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier de la Rochelle sollicite la réformation du jugement en tant qu'il met à sa charge l'indemnisation de travaux d'aménagement du domicile de la victime, pour un montant de 6 640 euros.
Sur l'indemnisation de travaux d'aménagement du logement de Mme D...par le centre hospitalier :
2. Le centre hospitalier de la Rochelle ne conteste pas en appel le principe de l'engagement de sa responsabilité, résultant des erreurs de diagnostic commises les 29 août et 5 septembre 2008 par le service des urgences et par le service de chirurgie orthopédique, à l'origine d'une insuffisance de prise en charge de la fracture déplacée dont à souffert
Mme D...et dont il est résulté pour celle-ci une perte de chance d'obtenir une récupération totale.
3. Si l'établissement ne conteste pas davantage, en soi, l'évaluation faite par les premiers juges de l'ampleur de cette perte de chance, fixée à 80 %, il soutient néanmoins que, dès lors que Mme D...présentait un état de fragilité antérieure du genou gauche à la suite d'une fracture du tiers inférieur de la jambe dont elle a été victime en 1987 et d'une entorse du genou survenue en 2007, il n'est pas établi de lien direct, certain et exclusif entre le retard de diagnostic qui lui est reproché et la nécessité, relevée par l'expert, que l'intéressée fasse procéder à un aménagement de son logement en y installant un ascenseur d'escalier. Toutefois, si le rapport d'expertise relève qu'en cas de traitement adapté la patiente aurait conservé, en conséquence même de l'accident du 29 août 2008, " des lésions cartilagineuses et articulaires susceptibles de provoquer à long terme une évolution arthrosique du genou mais beaucoup moins rapide et sévère que l'évolution prévisible de [la] fracture non traitée ", ce dont le tribunal a tenu compte afin de déterminer le taux de perte de chance susmentionné, ce même rapport souligne que " l'hypothèse d'un genu valgum post-traumatique ancien [...] ne peut en aucun cas être retenu ", et qu'" en ce qui concerne l'état antérieur de ce genou, le dossier radiologique très complet [...] montre qu'il n'y avait pas de pathologie à ce niveau avant l'accident du 29 août 2008 ", les examens ne détectant par ailleurs aucune fragilité osseuse préexistante. L'expert en conclut que " l'état actuel de la patiente est la conséquence exclusive de l'accident du 29 août 2008 ". Dans ces conditions, le centre hospitalier n'est pas fondé à soutenir que l'état antérieur de Mme D...aurait rendu nécessaire l'aménagement de l'escalier d'accès aux étages de son domicile. Si l'établissement invoque également la possibilité que le syndrome algodystrophique diagnostiqué chez Mme D...en
2009 constitue une cause de sa mobilité réduite qui serait étrangère à la faute qui lui est reprochée, il ressort des mentions des rapports d'expertise que cette pathologie, qui paraît avoir été elle-même en lien avec le retard pris à un traitement approprié de la fracture, était guérie à la date de consolidation de l'état de la patiente. Or, à cette même date, l'expert a constaté que MmeD..., qui présente une déformation importante du genou à l'origine d'une boiterie marquée, et qui utilise constamment une canne, ne peut se déplacer à pied sans l'aide d'une tierce personne ni conduire un véhicule à débrayage mécanique, qu'elle est dans l'impossibilité de se livrer à ses activités ménagères habituelles et qu'elle ne peut monter les escaliers de son domicile, ce qui rend nécessaire un aménagement adapté de son logement. Dans ces conditions, et quand bien même le déficit fonctionnel permanent affectant
Mme D...en conséquence des manquements thérapeutiques imputables au centre hospitalier n'excède pas 9 %, c'est à juste titre que le tribunal a admis, sur seule présentation d'un devis d'un montant de 8 300 euros établi le 8 octobre 2010 par une entreprise spécialisée, de mettre à la charge de l'établissement, après application du taux de perte de chance de 80 %, le versement à la victime d'une indemnité de 6 440 euros correspondant à l'installation d'un ascenseur d'escalier.
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie :
4. Ainsi que le soutient la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe, les frais de l'appareillage, d'un coût de 37,20 euros, prescrit inutilement à Mme D... par le service des urgences du centre hospitalier de La Rochelle au regard du diagnostic erroné posé le 29 août 2008, présentent un lien de causalité direct et exclusif avec la faute imputable à l'établissement et lui ouvrent droit à réparation pour ce montant. Il y a lieu également, au vu de l'attestation d'imputabilité signée de son médecin conseil que produit la caisse, d'admettre les dépenses de soins et de frais médicaux divers qu'elle justifie avoir déboursés au titre de la période du 30 août 2008 jusqu'à la date de consolidation, le
1er juillet 2010, affectées du taux de perte de chance susmentionné, et de mettre ainsi à ce titre à la charge du centre hospitalier la somme de 1 198,60 euros.
5. La caisse primaire d'assurance maladie sollicite également la condamnation du centre hospitalier de La Rochelle à lui verser 80 % de la somme de 16 598,04 euros au titre des dépenses de santé futures, dont il résulte de l'instruction qu'elles correspondent à une surveillance orthopédique et à une arthroplastie rendues inéluctablement nécessaires par l'hyperpression provoquée par un genu valgum de 12 ° persistant causé par le traitement initial inadapté du traumatisme. Si la caisse primaire d'assurance maladie est en principe en droit d'obtenir du centre hospitalier le remboursement de tels débours, il résulte toutefois des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale que le remboursement des prestations qu'une caisse sera amenée à verser à l'avenir, de manière certaine, prend normalement la forme du versement d'une rente et ne peut être mis à la charge du responsable sous la forme du versement immédiat d'un capital représentatif qu'avec son accord. Le centre hospitalier de La Rochelle n'ayant pas donné son accord au versement d'un capital, la somme demandée par la caisse ne peut donc pas lui être accordée sous cette forme et, si les débours envisagés par cette dernière sont certains, leur montant exact ne l'est pas. Dans ces conditions, les débours futurs de la caisse donneront lieu à un remboursement au fur et à mesure qu'ils auront été exposés, dans la limite de 13 278 43 euros - après affectation du taux de perte de chance de 80 % - et sur présentation de justificatifs.
6. La caisse primaire d'assurance maladie a droit par ailleurs à la somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Il y a lieu de mettre cette somme à la charge du centre hospitalier de La Rochelle.
7. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le centre hospitalier de La Rochelle n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel n'est pas insuffisamment motivé, le tribunal a mis à sa charge une indemnité de 6 440 euros correspondant aux travaux d'aménagement du logement de Mme D...et, d'autre part, que la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe est seulement fondée à demander la réformation de ce jugement en ce qu'il a refusé de faire droit à sa demande d'indemnisation, dans les limites et selon les modalités exposées aux points 4 à 6.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe, qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par le centre hospitalier de La Rochelle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier le versement à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe de la somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE
Article 1er : Le centre hospitalier de La Rochelle est condamné à verser la somme de 2 282,80 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen- Elbeuf - Dieppe et remboursera à celle-ci sur présentation de justificatifs, au fur et à mesure de ses débours, les sommes relatives aux frais de santé futurs de MmeD..., dans la limite de 13 278,43 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 5 juin 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier de La Rochelle versera à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen - Elbeuf - Dieppe la somme de 1 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions du centre hospitalier de La Rochelle sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie de
Rouen - Elbeuf - Dieppe, au centre hospitalier de La Rochelle et à Mme B...D....
Délibéré après l'audience du 17 mai 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Didier Péano, président,
- M. Laurent Pouget, président assesseur,
- Mme Marie-Thérèse Lacau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 juin 2016.
Le rapporteur,
Laurent C... Le président,
Didier Péano
Le greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales de la santé et des droits des femmes, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14BX02236