Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2018, M.D..., représenté par la SCP Breillat- Dieumegard-Masson, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers du 12 décembre 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté attaqué ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Vienne, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer un récépissé de demande d'asile dans un délai de 48 heures à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 48 heures suivant la décision à intervenir dans les mêmes conditions d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des articles 35 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, subsidiairement, dans l'hypothèse où M. D...n'obtiendrait pas l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué a été signé par une autorité incompétente dès lors que la délégation dont bénéficiait son signataire était extrêmement large et ne permettait pas de déterminer s'il était habilité à signer une décision de remise à des autorités d'autres Etats membres de l'Union européenne ;
- il n'est pas établi que l'entretien individuel ait été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national dans le respect du principe de confidentialité, conformément à l'article 5.5 du règlement 604/2013 ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ; le préfet n'a pas visé l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et il ne fait aucunement référence à son état de santé ;
- elle méconnaît l'article 26-2 du règlement du 26 juin 2013 car elle ne contient aucune information, ni sur les délais de mise en oeuvre du transfert, ni sur les modalités de transfert de responsabilité en cas d'inexécution de la décision de transfert ;
- le préfet a entaché l'arrêté d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation en lui refusant le bénéfice de la clause dérogatoire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 ; l'administration n'est pas tenue de remettre un ressortissant à un autre Etat membre, dont relève la responsabilité de l'examen de sa demande d'asile ; le préfet n'a pas tenu compte de la situation de l'Italie, pays confronté à un afflux massif de migrants, de son état de santé et de l'absence d'accord explicite des autorités italiennes sur leur capacité à le reprendre en charge.
Par le mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2018, le préfet de la Vienne conclut au rejet de la requête de M.D.... Il soutient qu'aucun des moyens qu'il invoque n'est fondé.
Par ordonnance du 14 février 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 22 mars 2018 à 12 heures.
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du tribunal de grande instance de Bordeaux du 22 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme- et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Sylvie Cherrier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., de nationalité guinéenne, né le 1er janvier 1997, est entré irrégulièrement en France le 12 août 2017, selon ses déclarations. Il s'est présenté en préfecture le 14 septembre 2017 afin de solliciter son admission au bénéfice de l'asile. Le relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'il avait déjà formulé une demande d'asile en Italie. Le 4 octobre 2017, le préfet de la Vienne a saisi les autorités italiennes qui ont accepté implicitement de reprendre en charge le requérant. Par arrêté du 10 novembre 2017, le préfet de la Vienne a décidé le transfert aux autorités italiennes de l'intéressé. M. D...relève appel du jugement du 12 décembre 2017 du tribunal administratif de Poitiers par lequel le magistrat désigné a rejeté sa demande tendant à l'annulation des cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. M. A...B..., sous-préfet hors classe, secrétaire général de la préfecture de la Vienne, signataire de l'arrêté contesté, bénéficiait d'une délégation de signature du préfet de la Vienne par arrêté du 4 septembre 2017 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture. Cet arrêté de délégation prévoit en son article 3 que, s'agissant du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, délégation de signature est consentie à M. A... B..." pour l'ensemble de ses dispositions ", ce qui comprend notamment les décisions portant remise aux autorités de l'Etat compétent pour examiner la demande d'asile d'un ressortissant étranger. Contrairement à ce que soutient M.D..., une telle délégation n'est ni trop générale, ni trop imprécise. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte contesté doit être écarté.
3. L'arrêté contesté vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment ses articles 3 et 8, la convention de Genève du 28 juillet 1951 modifiée, le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que le règlement (CE) 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié, relatif aux critères de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers, et enfin le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en mentionnant en particulier son article L. 742-1. Il précise notamment les conditions d'entrée en France de M. D...et indique qu'une attestation de demande d'asile en procédure Dublin avait été remise à l'intéressé le 14 septembre 2017 et qu'il est ressorti de la consultation de la base de données EURODAC qu'il avait déjà présenté une demande d'asile en Italie. Le même acte relève ensuite que les autorités italiennes, saisies le 4 octobre 2017 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18-1-b) du règlement (UE) 604/2013, ont accepté leur responsabilité par un accord implicite du 18 octobre 2017, et que la situation dans laquelle se trouve le requérant ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) 604/2013. Cet arrêté fait également état de sa situation familiale et précise qu'il ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, et alors même que cet arrêté ne vise pas l'article L.742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et que ces motifs ne reprennent pas l'ensemble des éléments caractérisant la situation de M.D..., il comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et il est, par suite, suffisamment motivé.
4. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 5. L'entretien a lieu dans les conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
5. M.D..., qui ne conteste pas avoir été reçu en entretien individuel par un agent de la préfecture de la Vienne, se prévaut de son irrégularité, au motif qu'en l'absence de mention de l'identité de l'agent l'ayant auditionné, la qualité de celui-ci pour conduire l'entretien n'a pu être vérifiée. Toutefois, aucune disposition du règlement précité n'exige que cet agent mentionne son nom sur la fiche relatant cet entretien. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que ledit agent n'aurait pas été " qualifié en vertu du droit national " pour mener un tel entretien. Dans ces conditions, le moyen doit être écarté.
6. Il ne ressort ni de l'arrêté en litige ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet se serait abstenu de procéder à un examen approfondi de la situation personnelle de M.D....
7. En application de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, la décision de transférer un demandeur d'asile vers un Etat membre considéré comme responsable de la demande d'asile " contient des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours et à la mise oeuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'État membre responsable ".
8. La décision contestée comporte toutes les informations requises concernant les délais applicables à la mise en oeuvre du transfert. Contrairement à ce que soutient le requérant, ni l'article 26 du règlement dit " Dublin III ", ni aucun autre texte n'impose à l'autorité compétente de préciser qu'en cas d'inexécution de la décision de transfert dans ces délais, les autorités françaises seront responsables de l'examen de sa demande d'asile. En tout état de cause, l'absence de cette mention n'a pas privé l'intéressé d'une garantie ou exercé une quelconque influence sur le sens de la décision prise.
9. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. ". Il résulte de ces dispositions que si le préfet peut refuser l'admission au séjour d'un demandeur d'asile au motif que la responsabilité de l'examen de cette demande relève de la compétence d'un autre Etat membre, il n'est pas tenu de le faire et peut autoriser une telle admission au séjour en vue de permettre l'examen d'une demande d'asile présentée en France.
10. Il résulte de la décision attaquée qui mentionne notamment que : " l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de Monsieur D...C...ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3-2 ou 17 du règlement (UE) n° 604/2013 (...) " que le préfet de la Vienne ne s'est pas estimé en situation de compétence liée pour refuser l'admission au séjour du requérant et a au contraire procédé à un examen approfondi de sa situation personnelle au regard de la faculté que lui offraient les dispositions précitées de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.
11. M. D...arrivé très récemment en France, n'établit pas y avoir tissé de liens personnels significatifs, ne justifie pas non plus d'une situation particulière, notamment sur le plan médical, et ne produit aucun élément de nature à démontrer que l'Italie ne serait pas en mesure d'assurer son accueil, d'examiner sa demande et d'assurer sa prise en charge, et de façon générale aucun élément qui aurait dû conduire l'autorité administrative à faire application des clauses discrétionnaires prévues à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 26 juin 2013. Dans ces conditions, le préfet, en décidant de transférer M. D...aux autorités italiennes, n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
12. Il résulte de tout ce qui précède, que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par le requérant, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ne peuvent être accueillies.
Sur les conclusions présentées au titre du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
14. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées au titre du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 26 avril 2018.
Le rapporteur,
Sylvie CHERRIER
Le président,
Aymard de MALAFOSSELe greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. Pour expédition certifiée conforme.
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N° 18BX00150