Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 octobre 2015, la préfète de la Somme demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lille du 31 juillet 2015 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme E...devant le tribunal administratif de Lille.
Elle soutient que c'est à tort que le magistrat ayant statué en première instance a reconnu que le droit à être entendu avant toute adoption d'une mesure défavorable, reconnu comme principe général du droit de l'Union européenne, n'a pas été respecté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2016, MmeE..., représentée par Me F...C..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint à la préfète de la Somme de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans les mêmes conditions et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le moyen présenté par la préfète de la Somme n'est pas fondé ;
- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ne mentionne pas le nom et le prénom de l'auteur de l'acte en méconnaissance des dispositions de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 ;
- elle a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen approfondi de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision de refus de délai de départ volontaire ne mentionne pas le nom et le prénom de l'auteur de l'acte en méconnaissance des dispositions de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 ;
- elle a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est illégale à raison de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision fixant le pays de destination ne mentionne pas le nom et le prénom de l'auteur de l'acte en méconnaissance des dispositions de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 ;
- elle a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est illégale à raison de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision de placement en rétention administrative a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est illégale à raison de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.
Mme E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mai 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller.
1. Considérant que la préfète de la Somme a, le 27 juillet 2015, suite à l'audition par les services de police de MmeE..., de nationalité angolaise, née le 8 avril 1987, pris à son encontre deux arrêtés refusant, d'une part, son admission au séjour en l'assortissant d'une obligation de quitter le territoire français sans délai et prononçant, d'autre part, son placement en rétention administrative ; que les décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant l'Angola comme pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office et l'arrêté du même jour la plaçant en rétention administrative ont été annulés par un jugement rendu le 31 juillet 2015 par le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lille ; que la préfète de la Somme relève appel de ce jugement ;
2. Considérant que, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne [C-383/13 PPU du 10 septembre 2013] une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision ; qu'il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition signé par l'intéressée, que si Mme E...a été placée en garde à vue pour faux et usage de faux documents administratifs, elle a toutefois été entendue par les services de police le 27 juillet 2015, en particulier en ce qui concerne son âge, sa nationalité, sa situation de famille, ses attaches tant sur le territoire national que dans son pays d'origine, ses conditions d'entrée en France ainsi que ses conditions d'hébergement ; que Mme E... a eu ainsi la possibilité, au cours de cet entretien, de faire connaître des observations utiles et pertinentes de nature à influer sur la décision prise à son encontre ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressée disposait d'informations tenant à sa situation personnelle qu'elle a été empêchée de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise à son encontre la mesure qu'elle conteste et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction de cette décision ; que le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait le principe général du droit d'être entendu, qui est au nombre des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne, doit être écarté ; que, par suite, la préfète de la Somme est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur ce motif pour annuler les décisions du 27 juillet 2015 faisant obligation à Mme E...de quitter le territoire français sans délai, fixant l'Angola comme pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office et l'arrêté du même jour de placement en rétention administrative ;
3. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens présentés par Mme E...devant le tribunal administratif et la cour en tant qu'ils concernent la mesure d'éloignement sans délai de départ volontaire à destination de l'Angola et son placement en rétention administrative ;
Sur les moyens communs aux décisions contestées :
4. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 : " Toute décision prise par l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et la qualité de celui-ci " ; qu'il ressort des pièces du dossier que les décisions en litige comportent la signature manuscrite de son auteur, précédée de la mention " le sous-préfet, Directeur de Cabinet " ; que ces mentions permettent d'identifier sans ambigüité l'auteur de cet acte ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 doit être écarté ;
5. Considérant que, par un arrêté du 8 juillet 2015, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Somme, M. H...G..., directeur de cabinet du préfet de la région Picardie, préfet de la Somme, a reçu délégation pour signer notamment, en l'absence de M. J...A..., sous-préfet d'Abbeville, qui exerçait par intérim entre les 13 juillet 2015 et 2 août 2015 les fonctions de secrétaire général de la préfecture de la Somme, les décisions attaquées ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de ces décisions manque en fait ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
6. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que le préfet de la Somme a procédé à un examen approfondi de la situation personnelle de Mme E...alors même qu'elle ne mentionne pas l'ensemble des considérations de fait relatives à la situation personnelle et familiale de la requérante ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que MmeE..., qui s'est présentée le 27 juillet 2015 aux services de police pour demander sa prise en charge en qualité de mineur isolée, est majeure ainsi que cela ressort du relevé de ses empreintes digitales via le système Visabio ; qu'elle est célibataire, sans charge de famille et n'établit, ni avoir des attaches familiales en France, ni être isolée dans son pays d'origine ; que dans ces conditions, la décision attaquée n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
Sur le refus d'accorder un délai de départ volontaire :
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité, par voie d'exception, de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté ;
Sur le pays de destination :
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme E...n'est pas fondée à exciper, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination, de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
Sur le placement en rétention administrative :
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité, par voie d'exception, de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Somme est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lille a annulé les décisions du 27 juillet 2015 faisant obligation à Mme E...de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office et de placement en rétention administrative ; qu'il y a lieu, par voie de conséquence de rejeter les conclusions d'appel de Mme E...à fin d'injonction sous astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 dès lors que l'Etat n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente affaire ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 31 juillet 2015 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il a annulé les décisions faisant obligation à Mme E...de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office et l'arrêté du même jour de placement en rétention administrative.
Article 2 : La demande de Mme E...présentée devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation des décisions citées à l'article 1er est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme B...E...et à Me F...C....
Copie sera adressée au préfet de la Somme.
Délibéré après l'audience publique du 21 juin 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Michel Hoffmann, président de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- Mme Muriel Milard, premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 juillet 2016.
Le rapporteur,
Signé : M. D...Le président de chambre,
Signé : M. I...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°15DA01630