Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 février 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille du 24 novembre 2015 ;
2°) de rejeter la demande de première instance tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination et de la décision de placement en rétention administrative.
Elle soutient que
- M. B...n'établit pas être exposé à des risques en cas de retour dans son pays d'origine ;
- les diligences ont été accomplies pour assurer l'exécution de la mesure d'éloignement.
La requête a été communiquée à M.B..., pour qui il n'a pas été produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Laurent Domingo, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'à la suite de son interpellation le 20 novembre 2015 dans la zone d'accès restreint du port de Calais par les services de la police nationale, M.B..., de nationalité soudanaise, a fait l'objet d'un arrêté de la préfète du Pas-de-Calais pris le même jour lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de destination et ordonnant son placement en rétention administrative ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 24 novembre 2015 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le Soudan comme pays de destination et ordonne le placement en rétention administrative de M. B... ;
Sur le pays de destination :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. C. France, n° 18039/11) ;
3. Considérant que M.B..., qui a indiqué lors de son audition par les services de police être né à Kassala, capitale de l'état du même nom, au nord-est du Soudan, et qui a soutenu, devant le tribunal, appartenant à l'ethnie Berti, se prévaut, en termes généraux, des risques qu'il encourrait en cas de retour au Soudan ; qu'il n'établit toutefois pas ni la réalité de sa résidence au Darfour qu'il n'avait pas spontanément mentionnée lors de son audition par les services de police, ni son appartenance à l'ethnie Berti ; qu'en tout état de cause, à supposer même que l'appartenance ethnique de l'intéressé soit avérée, les sources pertinentes récentes, telles que le rapport " Forgotten Darfur : Old Tactics and New Players " publié par Small Arms Survey en juillet 2012, le " rapport Unter Feinden : intrakommunale Gewalt in Darfur " publié par German Institute of Global and Area Studies (GIGA) en 2013, les rapports du Secrétaire général des Nations Unies sur l'Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour n° S/2013/22 et n° S/2014/279 des 15 janvier 2013 et 15 avril 2014, le document " Darfur - COI Compilation " publié par Austrian Centre for Country of Origin and Asylum Research and Documentation (ACCORD) en juillet 2014 et des rapports " Sudan's Spreading Conflict (III) : The Limits of Darfur's Peace Process. Africa Report n° 211 " et " The Chaos in Darfur " de l'International Crisis Group (ICG) des 27 janvier 2014 et 22 avril 2015, témoignent d'une évolution de la situation et des alliances au Darfour depuis 2010 et du ralliement au Gouvernement soudanais de membres de certaines ethnies non arabes, parmi lesquelles sont citées les Berti, ethnie à laquelle déclare appartenir l'intéressé ; que, dès lors, la seule appartenance à l'ethnie non arabe Berti ne suffit pas pour fonder des craintes personnelles de traitements inhumains et dégradants en cas de retour au Soudan ; que M. B... n'est ainsi pas fondé à soutenir qu'il serait exposé à une menace grave en cas de retour dans ce pays ; qu'ainsi, la préfète du Pas-de-Calais, qui n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a, par l'article 1er du jugement attaqué, prononcé l'annulation, au motif de la méconnaissance de ces stipulations, de la décision fixant le pays à destination duquel M. B... sera éloigné ;
4. Considérant qu'il y a lieu pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'écarter les autres moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif de Lille, par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif aux points 14 à 16 du jugement attaqué ;
Sur le placement en rétention administrative :
5. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : (...) / 6° Fait l' objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 du même code, la décision de placement en rétention est prise par l'autorité administrative " après l'interpellation de l'étranger ou, le cas échéant, lors de sa retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour, à l'expiration de sa garde à vue, ou à l'issue de sa période d'incarcération en cas de détention. Elle est écrite et motivée. Elle prend effet à compter de sa notification à l'intéressé. Le procureur de la République en est informé immédiatement (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 554-1 du même code : " Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet " ;
6. Considérant qu'il résulte de ces dispositions, qui ont notamment transposé celles de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, en particulier son article 15, que la rétention administrative a pour objet de permettre l'exécution d'office de la mesure d'éloignement ; que lorsque la rétention administrative est décidée, sur le fondement du 6° de l'article L. 551-1, à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé, la rétention administrative ne peut être légalement décidée que si l'obligation de quitter le territoire français est elle-même légale ; que la circonstance que l'autorité administrative n'ait pas fixé le pays de renvoi concomitamment à l'obligation de quitter le territoire ne fait pas par elle-même obstacle à ce que l'étranger faisant l'objet de cette obligation soit placé en rétention ; que, toutefois, au regard tant de l'objet de la mesure de placement en rétention administrative que des dispositions de l'article L. 554-1 citées ci-dessus, l'administration ne peut placer l'étranger en rétention administrative que dans la mesure où cela est strictement nécessaire à son départ et en vue d'accomplir les diligences visant à permettre une exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français, notamment celles qui doivent permettre la détermination du pays de renvoi ;
7. Considérant que M.B..., qui se déclarait de nationalité soudanaise, était dépourvu de tout document d'identité lors de son interpellation ; que par suite, la préfète du Pas-de-Calais, qui avait à vérifier, avant de procéder à l'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français, la nationalité de l'intéressé, a pu légalement prononcer le placement en rétention du requérant afin d'entreprendre les diligences nécessaires auprès des autorités consulaires soudanaises et dont il ressort des pièces du dossier qu'elles ont été effectivement mises en oeuvre ; que M. B...n'est ainsi pas fondé à soutenir que la préfète du Pas-de-Calais a méconnu les dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'ainsi, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a, par l'article 1er du jugement attaqué, prononcé l'annulation, au motif de la méconnaissance de ces dispositions, de la décision plaçant en rétention M. B...;
8. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif de Lille ;
9. Considérant que par un arrêté n° 2015-10-54 du 16 février 2015, publié le même jour au recueil spécial n° 16 des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais, la préfète du Pas-de-Calais a donné délégation à M. D...A..., chef de la section éloignement, à l'effet de signer, notamment, les décisions relatives aux obligations de quitter le territoire français avec ou sans délai de départ volontaire, les arrêtés fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et les décisions de placement en rétention administrative ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision doit être écarté ;
10. Considérant que la décision plaçant M. B...en rétention administrative comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement ; qu'elle est, par suite, suffisamment motivée ;
11. Considérant que si M. B...se prévaut de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet et du refus de lui accorder un délai de départ volontaire à l'encontre de la décision le plaçant en rétention administrative, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que le tribunal administratif de Lille, dont il y a lieu d'adopter les motifs, a rejeté à bon droit ses conclusions tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement et de l'absence de délai de départ volontaire ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 20 novembre 2015 en tant qu'il fixe le Soudan comme pays de destination et décide le placement en rétention administrative de M.B... ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du 24 novembre 2015 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation des décisions du 20 novembre 2015 de la préfète du Pas-de-Calais fixant le pays à destination duquel il sera éloigné et le plaçant en rétention administrative est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... B....
Copie sera adressée à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 5 juillet 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Michel Hoffmann, président de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Laurent Domingo, premier conseiller.
Lu en audience publique le 19 juillet 2016.
Le rapporteur,
Signé : L. DOMINGOLe président de chambre,
Signé : M. C...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°16DA00261