Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 27 mars 2017, 11 mai 2017 et 25 août 2017, le centre hospitalier d'Armentières, représenté par Me C...M..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 25 janvier 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par les consorts H...-J... devant le tribunal administratif de Lille ;
3°) de rejeter les conclusions en appel incident des consorts H...-J....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,
- et les observations de Me E...K..., substituant Me C...M..., représentant le centre hospitalier d'Armentières et de M.N..., représentant M. F...H..., Mme G... I...épouseH..., M. D...H..., M. B...H...et Mme L...J....
1. M. A...H..., né le 15 août 1984, suivi par l'établissement public de santé mentale Lille-Métropole (EPSM) pour des troubles graves du comportement, y avait été hospitalisé à plusieurs reprises pour des crises de schizophrénie catatonique. Le 19 juin 2012, à la suite d'une crise particulièrement violente et du refus de l'EPSM de l'accueillir en première intention, il a été conduit en début d'après midi par les pompiers aux urgences du centre hospitalier d'Armentières entre 13h30 et 14h15, afin que des examens somatiques et biologiques soient pratiqués. Le même jour, à 20h15, il s'est enfui de l'établissement. Au terme d'une errance dont les circonstances précises ne sont pas connues, M. A...H...est décédé. Son corps a été retrouvé dans le canal de la Lys par les services de police le 7 juillet 2012. Le 31 mars 2015, les parents de M. A... H..., ses deux frères et sa compagne ont présenté une demande indemnitaire préalable au centre hospitalier d'Armentières, laquelle a fait l'objet d'une décision implicite de rejet, acquise le 7 août 2015. Le centre hospitalier interjette régulièrement appel du jugement du 25 janvier 2017 par lequel le tribunal administratif de Lille l'a condamné à verser à M. F... H... une somme de 20 000 euros, à Mme G...I...épouse H...une somme de 20 000 euros, à M. D...H...une somme de 6 500 euros, à M. B...H...une somme de 6 500 euros et à Mme L...J...une somme de 15 000 euros en indemnisation des préjudices résultant du décès de M. A...H..., et a mis à sa charge, d'une part, la somme de 3 712, 32 euros au titre des frais d'expertise, et d'autre part, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la voie de l'appel incident, les consorts H...demandent la réformation du jugement en tant qu'il a excessivement minoré le montant des sommes mises à la charge du centre hospitalier en indemnisation des préjudices subis.
Sur la responsabilité du centre hospitalier d'Armentières :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnées à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".
3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise diligentée par le tribunal administratif de Lille, que M. H...souffrait d'une schizophrénie de type catatonique caractérisée, notamment, par des impulsions soudaines, peu maîtrisables et pouvant surprendre les personnes chargées de sa surveillance. A la suite d'une nouvelle crise, le 19 juin 2012, M. H...a été conduit dans un premier temps à l'EPSM, avant d'être redirigé aux urgences du centre hospitalier d'Armentières afin d'y subir des examens. Il est constant que l'équipe médicale a été informée, dès l'arrivée de l'intéressé, de ses précédentes hospitalisations à l'EPSM, en 2004, 2007 et 2010, et des circonstances dans lesquelles il était hospitalisé, le lendemain d'un épisode où il avait été retrouvé errant dans les rues après une promenade de laquelle il n'était pas rentré. En outre, l'interne a eu connaissance par le psychiatre privé suivant M. H...de ses antécédents psychiatriques et de son traitement.
4. Dans ces conditions, si M.H..., au cours des heures passées aux urgences du centre hospitalier, est demeuré immobile, dans un état de stupeur coopérative et calme, justifiant ainsi l'absence de recours à des mesures de contention physique, l'équipe médicale, qui ne pouvait ignorer que la schizophrénie catatonique dont il souffrait était susceptible de donner lieu à des accès soudains d'excitation violente, se devait de suivre un protocole de surveillance particulier de nature à en prévenir, autant que possible, tant l'occurrence que les conséquences. L'absence de mise en oeuvre d'un tel protocole, et le défaut de consultation d'un médecin psychiatre au cours du séjour de l'intéressé, qui ont rendu possible la fuite de l'intéressé, son errance, et enfin son décès, sont ainsi constitutifs de fautes dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier d'Armentières à l'égard des consorts H...-J.... Ces fautes doivent, dans les circonstances de l'espèce, être regardées comme présentant un lien de causalité suffisamment direct avec son décès, alors-même que les circonstances et la date exactes de celui-ci ne sont pas connues. Elles sont, par suite, de nature à engager l'entière responsabilité du centre hospitalier d'Armentières, qui n'est fondé à demander ni qu'un taux de perte de chance soit appliqué, ni qu'un partage de responsabilité avec l'EPSM et le médecin psychiatre qui suivait M. H... à titre privé soit retenu.
5. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille l'a condamné à verser aux consorts H... -J... une indemnité au titre du préjudice moral résultant du décès de M. H....
Sur les conclusions de l'appel incident des consorts H...-J... :
En ce qui concerne le préjudice moral et les souffrances endurés par M. A...H...avant son décès :
6. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'acte de décès, que la date du décès de M. H... ne peut être déterminée. C'est, par suite, à bon droit que le tribunal administratif a jugé que les consorts H...n'apportaient aucun élément de nature à établir le préjudice moral et les souffrances endurés par leur fils. Ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées.
En ce qui concerne le préjudice d'affection des consorts H...-J... :
7. Il résulte de l'instruction que M. A...H...vivait hors du foyer familial depuis un an et demi à la date des faits. Dans ces conditions, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par les consorts H...-J... en condamnant le centre hospitalier d'Armentières à verser à ce titre à M. D...H...et M. B...H...une somme de 6 500 euros et à Mme J...une somme de 15 000 euros, eu égard notamment, s'agissant de cette dernière, à la courte durée de la communauté de vie. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de ramener à 15 000 euros la somme accordée, respectivement, à M. F...et Mme G... I... épouse H...au même titre.
Sur les dépens :
8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'État peut être condamné aux dépens ".
9. Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 3 712,32 euros par l'ordonnance susvisée du président du tribunal administratif en date du 12 janvier 2015, lesquels ont été avancés par les consorts H...-J..., ont été mis à la charge définitive du centre hospitalier d'Armentières par le jugement litigieux qu'il y a lieu de confirmer sur ce point. Les conclusions présentées par les requérants en appel et tendant aux mêmes fins ne peuvent par suite qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier d'Armentières, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse aux consorts H... -J... la somme de 15 000 euros qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme accordée, respectivement, à M. F...H...et à Mme G... I... épouse H...est ramenée à 15 000 euros.
Article 2 : Le surplus des conclusions du centre hospitalier d'Armentières est rejeté.
Article 3 : Les conclusions d'appel incident présentées par les consorts H...-J... sont rejetées.
Article 4 : Le jugement attaqué est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier d'Armentières, à M. F...H..., à Mme G...I...épouseH..., à M. D...H..., à M. B...H...et à Mme L...J....
Copie en sera adressée pour information au docteur Wiltzer, es qualité d'expert.
N°17DA00546 5