Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 mars 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant que, par son article 2, il a annulé la décision fixant le pays de destination ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Lille.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a estimé que M. C...était exposé à des mauvais traitements ou persécutions prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'intéressé ne démontre pas qu'il encourrait des menaces réelles et personnelles en cas de retour en Afghanistan et n'a au demeurant pas déposé de demande d'asile ;
La requête de la préfète du Pas-de-Calais a été communiquée à M.C..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; que selon les termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. c. France, n° 18039/11) ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que M.C..., qui se déclare ressortissant afghan, né le 1er janvier 1995, est entré irrégulièrement en France démuni de tout visa ou document de séjour ; qu'il a été interpellé, le 4 décembre 2015 par le service de la police aux frontières du Pas-de-Calais, aux abords de la zone d'accès restreint du port de Calais, au moment où il cherchait à se rendre clandestinement en Grande-Bretagne ; qu'il a indiqué le 4 décembre 2015, lors de son audition par les services de police, être né le 1er janvier 1995 en Afghanistan, et a fait état de sa crainte des actions des talibans en cas de retour dans son pays d'origine ; qu'il a encore fait valoir dans sa demande devant le tribunal administratif les risques encourus en raison des actions menées par les talibans dans la province de Laghman, en Afghanistan, dont il a soutenu être originaire ;
3. Considérant qu'il ressort des informations publiques relatives à la situation géopolitique du pays, rassemblées par des organismes internationaux, notamment par le Bureau européen d'appui en matière d'asile sur l'Afghanistan (EASO) de janvier 2015 que la province de Laghman située à l'est de l'Afghanistan dont M. C...prétend être originaire, est caractérisée par un niveau de violence généralisée qualifiée de faible intensité ; que le rapport précité de l'EASO précise également que les talibans ont la capacité de contrôler des territoires clés autour de la capitale afghane, au-delà de leurs bastions traditionnels dans le sud du pays ; qu'il ressort, enfin, du rapport annuel 2014 de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan, publié au mois de février 2015, que les autorités civiles et militaires afghanes, défaillantes, ne sont pas en mesure d'assurer, en général, la protection de leurs ressortissants et, plus particulièrement lorsque ces derniers se sont opposés aux talibans ; que, toutefois, le degré de violence généralisée qui caractérise la zone dont l'intéressé est originaire doit atteindre un niveau suffisamment élevé pour que des motifs sérieux et avérés permettent de penser qu'un civil renvoyé dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur ce territoire, un risque réel de subir une menace grave, directe et individuelle ; qu'il résulte de ce qui a été dit que tel n'est pas le cas dans la province de Laghman ; que, dans ces conditions, l'intéressé doit démontrer que des éléments propres à sa situation personnelle l'exposent aux risques en cause ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...se prétend de nationalité afghane en se bornant à faire état de menaces verbales et physiques des talibans dans la province dont il serait originaire, liées à son activité professionnelle, sans aucune précision circonstanciée permettant de corroborer ses allégations ; que ses allégations ne sont pas assorties d'éléments suffisamment précis et probants ou vérifiables ; que, dès lors, il n'est pas fondé à se prévaloir du niveau de violence généralisée dans la province de Laghman pour contester le pays de destination retenu ; qu'il n'établit pas davantage faire l'objet en cas de renvoi en Afghanistan, de manière suffisamment personnelle, certaine et actuelle, de menaces quant à sa vie ou sa liberté ou de risque d'être exposé à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a cru pouvoir se fonder sur la seule situation de violence existant en Afghanistan pour en déduire qu'en fixant ce pays comme pays de destination, il avait méconnu les dispositions des articles L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales puis annuler cette décision ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C...devant la juridiction administrative ;
6. Considérant que par un arrêté n° 2015-10-57 du 16 février 2015, publié le même jour au recueil spécial n° 16 des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais, la préfète du Pas-de-Calais a donné délégation à M. B...A..., chef de la section éloignement, à l'effet de signer, notamment, les décisions relatives aux obligations de quitter le territoire français avec ou sans délai de départ volontaire, les arrêtés fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et les décisions de placement en rétention administrative ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision doit être écarté ;
7. Considérant que la décision fixant le pays à destination duquel M. C...est éloigné, qui vise les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et mentionne l'intégralité des quatre premiers alinéas de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comporte ainsi les considérations de droit qui en constituent le fondement ; qu'elle indique que l'intéressé, qui ne justifie pas de sa nationalité, n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine ; qu'elle comporte ainsi, également, les considérations de fait qui en constituent le fondement ; que cette décision est, par suite, suffisamment motivée ;
8. Considérant que, si l'intéressé se prévaut de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet à l'encontre de la décision fixant le pays à destination duquel il sera éloigné, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que le tribunal administratif de Lille, dont il y a lieu d'adopter les motifs, a rejeté à bon droit ses conclusions tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé sa décision fixant l'Afghanistan comme pays de destination de l'éloignement de M. C...;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille du 8 décembre 2015 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation de la décision du 4 décembre 2015 de la préfète du Pas-de-Calais fixant le pays à destination duquel il sera éloigné est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D...C....
Copie en sera transmise pour information à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 7 juillet 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.
Lu en audience publique le 22 juillet 2016
L'assesseur le plus ancien,
Signé : O. NIZETLe président de chambre,
Président-rapporteur,
Signé : P.-L. ALBERTINI Le greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Isabelle Genot
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N°16DA00532