Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 avril 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour d'annuler le jugement rendu le 24 décembre 2015 par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille en ce qu'il annule la décision fixant le pays de destination de l'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de M. B...en tant que cette décision autorise son renvoi à destination de l'Afghanistan.
Elle soutient que M. B...n'établit pas être de nationalité afghane et la circonstance selon laquelle il serait originaire d'Afghanistan ne peut suffire à elle seule à démontrer qu'il serait exposé à des peines et des traitements inhumains contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il ne justifie pas subir de menaces graves et individuelles contre sa vie en cas de retour en Afghanistan.
La requête a été communiquée à M.B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Albertini, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'à la suite de son interpellation le 21 décembre 2015 par les services de police sur la zone d'accès restreint du port de Calais, alors qu'il se rendait en Grande-Bretagne, M.B..., se disant de nationalité afghane, né le 1er janvier 1989, a fait l'objet d'un arrêté de la préfète du Pas-de-Calais pris le même jour lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de destination et ordonnant son placement en rétention administrative ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 24 décembre 2015 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il n'exclut pas l'Afghanistan comme pays de destination ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; que selon les termes de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. c. France, n° 18039/11) ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.B..., qui est dépourvu de tout document d'identité, se prétend marié et se déclare sans profession, s'est d'abord borné à faire état, en termes généraux, de la situation politique en Afghanistan, de la guerre qui y sévit et du nombre de victimes civiles, en se déclarant originaire de la région de Nangarhar et de la ville de Jalalabad où demeurerait sa famille, particulièrement lorsqu'il a été entendu par un agent de police judiciaire le 21 décembre 2015, préalablement au prononcé de la mesure d'éloignement ; qu'il avance aussi qu'à l'initiative d'un ami, il a entreposé à son domicile, sans le savoir, du matériel pour construire une bombe, que son père a été arrêté et que, craignant pour sa vie, puisqu'il était menacé à la fois par la police afghane et par les talibans, il s'est rendu en Grande-Bretagne, où il aurait demandé l'asile et séjourné pendant plusieurs années avant de se rendre en Grèce ; que M.B..., dont les déclarations sont imprécises et contradictoires, n'assortit pas ses allégations d'éléments suffisamment précis et probants ou vérifiables ; que, dès lors, il n'établit pas faire l'objet en cas de renvoi en Afghanistan, de menaces quant à sa vie ou sa liberté ou de risque d'être exposé à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales de manière suffisamment personnelle, certaine et actuelle ; que, par suite, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a cru pouvoir se fonder sur la seule situation de violence existant en Afghanistan pour en déduire qu'en fixant ce pays comme pays de destination, elle avait méconnu les dispositions des articles L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, puis annuler cette décision ;
4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif de Lille ;
5 Considérant que par un arrêté en date du 16 février 2015, publié au recueil spécial n° 16 du même jour des actes administratifs de la préfecture, la préfète du Pas de Calais a donné délégation à M. C... A..., chef du bureau de l'immigration et de l'intégration , pour signer notamment les décisions relatives aux obligations de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, les décisions fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et les décisions de placement en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige manque en fait et doit, dès lors, être écarté ;
6. Considérant que la décision fixant le pays à destination duquel M. B...est éloigné, qui vise les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et mentionne l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comporte ainsi les considérations de droit qui en constituent le fondement ; qu'elle indique que l'intéressé, qui ne justifie pas de sa nationalité, n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine ; qu'elle comporte ainsi, également, les considérations de fait qui en constituent le fondement ; que cette décision est, par suite, suffisamment motivée ;
7. Considérant que, si l'intéressé se prévaut de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet à l'encontre de la décision fixant le pays à destination duquel il sera éloigné, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que le tribunal administratif de Lille, dont il y a lieu d'adopter les motifs, a rejeté à bon droit ses conclusions tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité ( ...) ; / 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 513-3 du même code : " La décision fixant le pays de renvoi constitue une décision distincte de la mesure d'éloignement elle-même (...) " ; que ces dernières dispositions n'impliquent pas que l'indication du pays de destination doive figurer impérativement dans une décision matériellement distincte de l'obligation de quitter le territoire français ; que le moyen tiré de ce que la préfète aurait commis une erreur de droit en n'adoptant pas de décision fixant le pays de destination distincte de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté ; qu'en l'espèce, la préfète du Pas-de-Calais a décidé que M. B... serait reconduit en Afghanistan, pays dont il revendique la nationalité, ou dans tout pays dans lequel il serait légalement admissible ; que, ce faisant, elle doit être regardée comme ayant examiné les particularités de la situation de l'intéressé et adopté une décision fixant le pays de destination en application des dispositions de l'article L. 513-2 précité, en admettant même qu'il soit légalement admissible dans un autre pays ; qu'il suit de là que M. B...n'est pas fondé à soutenir ni que la décision distincte de la préfète du Pas-de-Calais fixant le pays de destination de l'éloignement serait entachée d'une erreur de fait, ni qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé sa décision fixant le pays de destination ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille du 24 décembre 2015 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... B....
Copie en sera transmise pour information à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 7 juillet 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.
Lu en audience publique le 22 juillet 2016.
L'assesseur le plus ancien,
Signé : O.NIZETLe président de chambre,
président-rapporteur,
Signé : P.-L. ALBERTINI
Le greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
Isabelle Genot
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N°16DA00694