Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 26 janvier 2018, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 décembre 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B....
Il soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, il n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni commis d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 décembre 2018, Mme A... B..., représentée par Me Mathis, conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge du préfet de l'Isère le versement d'une somme de 1 500 euros à Me Mathis, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir que :
- la requête n'est pas fondée ;
- elle reprend ses autres moyens de première instance.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 20 mars 2018
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Christine Psilakis, premier conseiller ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante serbe née en 1998, déclare être entrée en France le 10 avril 2011. Le 18 mai 2017 elle a déposé une demande de titre de séjour pour raisons de santé sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par décisions du 22 juin 2017, le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de renvoi en cas d'éloignement forcé. Le préfet de l'Isère relève appel de ce jugement du 19 décembre 2017, par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Pour refuser de délivrer un titre de séjour à Mme B..., qui soutient être bien intégrée et disposer du centre de ses intérêts privés et familiaux en France, le préfet de l'Isère s'est fondé sur le fait que la présence en France de l'intéressée depuis six ans et un mois ne suffit pas à lui conférer un droit au séjour au titre de ses attaches privées et familiales en France dès lors que, n'ayant été scolarisée que quelques mois depuis son arrivée en France, elle ne démontre pas vouloir s'insérer, que son époux fait l'objet d'une mesure d'éloignement et d'une interdiction de retour sur le territoire pendant deux ans, que l'enfant de Mme B... n'a pas encore entamé sa scolarité en France et qu'enfin, la cellule familiale qu'elle forme avec son époux peut se reformer en Serbie. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée à l'âge de treize ans en France aux côtés de ses parents en situation irrégulière et s'y est maintenue depuis, comme ses parents, malgré plusieurs décisions d'éloignement prises à l'encontre de ces derniers. L'intéressée n'a été scolarisée que quelques mois entre décembre 2012 et août 2013 et n'exerce aucune profession ni ne suit aucune formation. Si elle fait valoir sa situation de mère isolée, elle a toutefois épousé en mars 2017 un compatriote qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire et d'une interdiction de retour, avec lequel elle a vocation à vivre en Serbie en compagnie de sa fille, âgée de deux ans à la date de la décision attaquée. Dans ces conditions, le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions en litige au motif qu'elles seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de leurs conséquences sur la situation de Mme B....
3. Il y a lieu, dès lors, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B....
Sur les autres moyens de Mme B... :
En ce qui concerne le refus de séjour :
4. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par M. Yves Dareau secrétaire adjoint de la préfecture de l'Isère, qui disposait d'une délégation de signature à cette fin, consentie par un arrêté préfectoral du 1er février 2017 régulièrement publié. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte attaqué manque en fait.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Et aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger (...) dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...). L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
6. Eu égard à ce qui est dit au point 2 ci-dessus, le refus opposé à la demande de carte de séjour de Mme B... ne peut être regardé comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts qu'elle entend poursuivre. Il ne méconnaît, par suite, ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes motifs, cette décision, qui n'a pas pour effet de séparer Mme B... de sa fille, ne peut davantage être regardée comme portant à l'intérêt supérieur de l'enfant une atteinte contraire à l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
7. Il résulte de ce qui est dit aux points 2 à 6 que Mme B... n'est pas fondée à exciper, au soutien de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français, de l'illégalité du refus de titre de séjour.
8. Pour les motifs déjà exposés aux points 2 à 6, l'obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'incompétence, ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant et n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle et familiale de Mme B....
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
9. Pour le motif exposé au point 4, le moyen selon lequel cette décision aurait été signée par une autorité incompétente doit être écarté. Il résulte par ailleurs de ce qui est dit ci-dessus aux points 7 et 8 que Mme B... n'est pas fondée à exciper, au soutien de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 22 juin 2017 et à demander le rejet de la demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Grenoble.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme dont Mme B... demande le versement au bénéfice de son avocat au titre des frais qu'elle a exposés soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 décembre 2017 est annulé.
Article 2 : La demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 11 décembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
Mme Christine Psilakis, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 janvier 2019.
2
N° 18LY00309
md