Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 7 mai et le 5 décembre 2018, M. B... C..., représenté par Me A... D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 6 février 2018 ;
2°) d'annuler les décisions de la préfète du Puy-de-Dôme du 11 août 2017 ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Puy-de-Dôme de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande de titre de séjour en lui délivrant un récépissé avec autorisation de travail et ce, dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de lui verser la somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens, ces frais incluant notamment la somme de 13 euros correspondant au droit de plaidoirie laissé à sa charge ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le tribunal a méconnu le principe du contradictoire en ce qu'il ne pouvait écarter le bien-fondé des moyens tirés de l'incompétence du signataire des décisions en litige, du défaut d'avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ainsi que de l'irrégularité de l'avis du conseiller médical de l'agence régionale de santé (ARS) du 14 avril 2016, en se basant sur les seules mentions de l'arrêté en litige, dès lors que la préfète du Puy-de-Dôme n'a pas produit de mémoire en défense en première instance ;
- le refus de titre de séjour a été signé par une autorité incompétente ;
- ce refus est entaché d'un vice de procédure faute de justification de la saisine du collège de médecins du service médical de l'OFII ou de la régularité de l'avis émis par le médecin de l'ARS ;
- la commission du titre de séjour aurait dû être saisie ;
- ce refus méconnaît l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- il est fondé à exciper de l'illégalité du refus de titre de séjour à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire ;
- l'obligation de quitter le territoire a été signée par une autorité incompétente ;
- cette obligation méconnait le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire entraine l'illégalité de la décision fixant le pays de renvoi ;
- cette décision est entachée d'incompétence ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 août 2018, la préfète du Puy-de-Dôme conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
M. B... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 3 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Christine Psilakis, premier conseiller.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant de Sierra Leone né en 1978, relève appel du jugement du 6 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 11 août 2017 par lesquelles le préfète du Puy-de-Dôme a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, pour écarter le moyen de M. C... tiré de l'incompétence du signataire des décisions, le tribunal administratif pouvait sans méconnaitre le principe du contradictoire, et alors même que le préfet n'a pas défendu en première instance, se fonder sur l'arrêté n° 16-02491 en date du 8 novembre 2016, acte à caractère réglementaire régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture du Puy-de-Dôme, qui donnait délégation de signature à Mme Steffan, secrétaire générale de la préfecture et signataire des décisions en litige, pour signer tous arrêtés, décisions, circulaires et correspondances, relevant des attributions de l'Etat dans le département du Puy-de-Dôme, à l'exception de certains actes parmi lesquels ne figurent pas les décisions en litige.
3. En second lieu, en se fondant sur la teneur de l'avis du médecin de l'ARS telle qu'elle est rappelée dans les motifs de l'arrêté en litige sans exiger la production de cet avis pour le communiquer au requérant, les premiers juges n'ont pas davantage méconnu le caractère contradictoire de la procédure.
Sur la légalité des décisions attaquées :
En ce qui concerne la compétence du signataire de l'arrêté :
4. Le moyen selon lequel l'arrêté du 11 août 2017 aurait été signé par une autorité incompétente doit être écarté par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
5. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...)11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d'un avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général. (...) L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin agréé ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur l'existence d'un traitement dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus en application de cet article R. 313-22 : " (...) le médecin de l'agence régionale de santé émet un avis précisant : / - si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / - si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / - s'il existe dans le pays dont il est originaire, un traitement approprié pour sa prise en charge médicale ; / - la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où un traitement approprié existe dans le pays d'origine, il peut, au vu des éléments du dossier du demandeur, indiquer si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers ce pays. (...). ".
6. En premier lieu, le requérant ne peut utilement soutenir que la décision lui refusant un titre de séjour a été prise sans consultation du collège des médecins du service médical de l'OFII dès lors que les dispositions de la loi n° 2016-274 prévoyant que l'avis médical est donné par ce collège de médecins ne sont entrées en vigueur qu'à compter du 1er janvier 2017 et ne s'appliquaient pas à la demande de M. C... présentée le 14 avril 2016. Par ailleurs, il ressort des pièces versées aux débats en appel par la préfète du Puy-de-Dôme que l'avis du médecin de l'ARS, qui a été rendu le 14 avril 2016 par le docteur André, habilité à cet effet par arrêté 2013-81 du 25 mars 2013 du directeur de l'agence, comporte les mentions requises par les dispositions de l'arrêté du 9 novembre 2011 citées au point 5 ci-dessus. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que cet avis aurait été rendu dans des conditions irrégulières.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... souffre de troubles psychologiques liés à un stress post-traumatique avec un état dépressif. Dans son avis du 14 avril 2016, le médecin de l'ARS indique que cet état de santé nécessite une prise en charge médicale d'une durée de douze mois pour laquelle il n'existe pas de traitement approprié en Sierra Leone mais dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité. M. C... conteste l'appréciation portée par le préfet sur la gravité de son état de santé. Toutefois, pour justifier de la gravité de cet état, l'intéressé n'apporte aucun élément nouveau par rapport à la première instance et les certificats médicaux déjà produits, peu circonstanciés, ne sont pas de nature à remettre en cause l'avis du médecin de l'ARS sur ce point. D'autre part, et alors d'ailleurs que le médecin de l'ARS a estimé qu'une absence de traitement ne devrait pas entraîner pour le requérant des conséquences d'une exceptionnelle gravité, la préfète du Puy-de-Dôme produit en appel la fiche pays de l'organisation mondiale de la santé datée de 2014 faisant état de l'existence en Sierra Leone de moyens sanitaires propres à traiter les affections mentales et psychologiques. Dans ces conditions, en refusant au requérant la délivrance d'un titre de séjour, la préfète n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 5.
8. En troisième lieu, il résulte des dispositions des articles L. 312-1 et R. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le préfet n'est tenu de saisir la commission départementale du titre de séjour que lorsqu'il envisage de refuser une carte de séjour à un étranger qui remplit effectivement les conditions prévues pour sa délivrance par l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et non de celui de tous les étrangers qui se prévalent de ces dispositions. Ainsi qu'il vient d'être dit, M. C... ne remplit pas les conditions de délivrance d'une carte de séjour au titre des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, la préfète du Puy-de-Dôme n'était pas tenue de soumettre son cas à la commission avant de lui refuser la délivrance d'un titre de séjour sur ce fondement.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
10. Si M. C... fait valoir qu'il est bien inséré socialement et professionnellement en France, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'il est entré irrégulièrement en France à l'âge de 30 ans en juillet 2012, cinq ans avant les décisions en litige, qu'il est célibataire et sans charge de famille. Après le rejet de sa demande d'asile par une décision de l'Office français des réfugiés et apatrides du 30 novembre 2012 confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 23 décembre 2014 il a entamé, en avril 2015, des démarches en vue d'obtenir une carte de séjour pour raison de santé qui ont abouti à la décision de refus en litige. Dans ces circonstances, eu égard notamment à la durée et aux conditions du séjour en France du requérant à la date de ce refus, celui-ci ne peut être regardé comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis ni comme méconnaissant l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ce refus ne saurait davantage être regardé comme procédant, s'agissant de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant, d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire :
11. En premier lieu, il résulte de ce qui est dit ci-dessus aux points 5 à 10 que M. C... n'est pas fondé à invoquer l'illégalité du refus de lui délivrer une carte de séjour pour demander l'annulation, par voie de conséquence, de l'obligation de quitter le territoire français.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; (...) ".
13. Les certificats médicaux des 17 janvier et 22 septembre 2017 attestant que le retour en Sierra Leone de M. C... aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité du fait de la réactivation de son syndrome post-traumatique et d'un risque de suicide ne suffisent pas à établir que la mesure d'éloignement en litige a été prise en méconnaissance de ces dispositions, alors que le médecin de l'ARS a, dans son avis du 14 avril 2016 évoqué au point 7, indiqué que le défaut de prise en charge médicale ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité.
14. En troisième lieu, pour les motifs déjà exposés aux points 9 et 10, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
15. En premier lieu, il résulte de ce qui est dit ci-dessus aux points 5 à 14 que M. C... n'est pas fondé à invoquer l'illégalité du refus de lui délivrer une carte de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français pour demander l'annulation, par voie de conséquence, de la décision fixant le pays de destination.
16. En deuxième lieu, pour les motifs déjà exposés aux points 9 et 10, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
17. En troisième lieu, eu égard à ce qui est dit au point 13, le requérant ne saurait soutenir que son éloignement vers la Sierra Leone constituerait, en raison de son état de santé, un traitement inhumain ou dégradant prohibé par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, il n'apporte aucun élément suffisamment probant au soutient de ses allégations selon lesquelles il encourrait des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Sierra Leone.
18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète du Puy-de-Dôme.
Délibéré après l'audience du 11 décembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
Mme Christine Psilakis, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 janvier 2019.
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N° 18LY01695
mg