Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 mai 2015, M. A... D...et Mme B... C...épouseD..., représentés par la SCP Robin-Vernet, demandent à la cour :
1°) de surseoir à statuer sur leur requête jusqu'à ce que le tribunal d'instance ou le tribunal de grande instance de Lyon se soit prononcé sur la question de la nationalité de Mme D... ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon du 17 février 2015 ;
3°) d'annuler les décisions préfectorales susmentionnées pour excès de pouvoir ;
4°) d'enjoindre au préfet du Rhône, à titre principal, de leur délivrer un certificat de résidence algérien d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et ce jusqu'au réexamen de leur demande ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 300 euros, au profit de leur conseil, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
A titre principal, la mère de Mme D... étant manifestement de nationalité française, la question de la nationalité de Mme D...soulève une difficulté sérieuse qui justifie que la cour sursoie à statuer dans l'attente de la décision du juge judiciaire appelé à statuer sur la nationalité de sa mère ;
A titre subsidiaire :
S'agissant des décisions portant refus de délivrance de titre de séjour :
- elles méconnaissent les stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles méconnaissent l'intérêt supérieur de leur enfant ;
- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. D... :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen préalable attentif de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur de fait ;
- elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de la décision accordant à M. D...un délai de départ volontaire de trente jours :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- ce délai est insuffisant compte tenu de sa situation familiale et de son état de santé ;
S'agissant de la décision désignant le pays à destination duquel M. D... pouvait être renvoyé d'office :
- elle est illégale en conséquence de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation d'un délai de départ volontaire.
Par un mémoire enregistré le 13 mai 2016, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
M. et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mars 2015.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, modifié, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 19 mai 2016 :
- le rapport de M. Faessel, président ;
- et les observations de Me Vernet, avocat de MmeD.... ;
1. Considérant que M. D..., ressortissant algérien né le 15 juillet 1966, et son épouse, née le 8 mars 1975 en Algérie, sont arrivés en France pour la dernière fois au mois de mars 2013, selon leurs déclarations ; que, le 13 novembre 2013, ils ont sollicité la délivrance d'un certificat de résidence algérien sur le fondement des stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien susvisé ; que, par arrêtés du 10 juin 2014, le préfet du Rhône leur a opposé un refus, qu'il a assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et d'une décision fixant le pays de renvoi ; que M. et Mme D... font appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces décisions ;
Sur l'exception de nationalité française :
2. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article 30 du code civil que la charge de la preuve, en matière de nationalité française incombe à celui dont la nationalité est en cause sauf s'il est titulaire d'un certificat de nationalité française, et que l'exception de nationalité française ne constitue, en vertu de l'article 29 du code civil, une question préjudicielle que si elle présente une difficulté sérieuse ;
3. Considérant que Mme D..., née en Algérie en 1975, qui n'est pas titulaire d'un certificat de nationalité française, soutient qu'elle possède la nationalité française par filiation maternelle ; qu'il ressort des pièces du dossier que la mère de la requérante est née au Maroc en 1950, soit avant la fin du protectorat français sur l'Empire chérifien le 1er mars 1956 ; que si Mme D... produit un extrait d'acte de naissance de sa mère émanant des autorités marocaines mentionnant que cette dernière est de nationalité française, ce document ne saurait être regardé comme suffisant dès lors que les autorités marocaines ne sont pas compétentes pour se prononcer sur la réalité de la nationalité française d'une personne ; que Mme D...ne peut pas davantage invoquer, pour justifier de la nationalité française de sa mère, la circonstance que le service central d'état civil du ministère des affaires étrangères français a délivré à celle-ci, le 15 novembre 2012, la copie d'un acte de naissance mentionnant qu'elle est née le 13 mars 1950 à Martimprey-du-Kiss au Maroc ; qu'il résulte de ce qui précède que l'exception de nationalité soulevée par la requérante ne présente pas de difficulté sérieuse ;
Sur l'étendue du litige :
4. Considérant, qu'ainsi qu'il a déjà été dit par les premiers juges, en délivrant à Mme D..., le 11 juin 2014, un récépissé de demande de carte de séjour l'autorisant à séjourner sur le territoire français jusqu'au 10 septembre 2014, le préfet du Rhône a implicitement mais nécessairement entendu abroger les décisions litigieuses du 10 juin précédent, portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant l'Algérie comme pays à destination duquel elle pouvait être renvoyée d'office ; que, par suite, Mme D...n'est pas recevable à contester ces décisions ;
Sur les décisions portant refus de délivrance de titre de séjour :
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien susvisé : " (...) Le certificat de résident d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 7° au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays. (...) " ;
6. Considérant que pour refuser la délivrance des titres de séjour sollicités par les époux D...sur ce fondement, le préfet du Rhône a retenu les avis émis le 3 janvier 2014 par le médecin de l'agence régionale de santé, selon lesquels l'état de santé de chacun des époux D...nécessite une prise en charge médicale d'une durée de douze mois dont le défaut aurait pour eux des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'ils peuvent effectivement bénéficier de traitements appropriés dans leur pays d'origine, vers lequel ils peuvent en outre voyager sans risque ; qu'en se bornant à communiquer un certificat médical établi le 28 octobre 2014 par un neuropsychiatre certifiant lui prodiguer des soins et alléguant que l'intéressé ne pourrait " jamais être médicalement pris en charge comme il se devrait dans son pays d'origine, l'Algérie, où, de plus, certaines des spécialités qui constituent son traitement ne sont pas disponibles ", sans apporter aucune information sur la nature et la gravité de sa pathologie, M. D... ne produit aucune pièce susceptible de remettre en cause l'avis du médecin de l'agence régionale de santé quant à la disponibilité des soins requis par son état de santé en Algérie ; que, s'agissant de son épouse, aucune précision n'est apportée quant à la nature et la gravité de l'affection dont elle est atteinte ; que le certificat de grossesse rédigé le 27 mars 2014 par une sage-femme, qui évoque un état d'anémie, ainsi que le certificat médical établi le 2 juillet 2014 par un neuropsychiatre, qui se borne à faire état d'une grossesse supposée lui interdire tout voyage, ne sauraient suffire à établir que la décision par laquelle le préfet du Rhône a rejeté sa demande de délivrance de titre de séjour méconnait les stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien ; que, par suite, le moyen articulé par M. et Mme D... chacun, tiré de la violation des stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, ne peut qu'être écarté ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
8. Considérant que M. et Mme D... ont déclaré être entrés pour la dernière fois sur le territoire français au cours du mois de mars 2013, après qu'ils avaient tout deux fait l'objet de mesures d'éloignement, les 20 janvier 2007 et 29 octobre 2012 ; que Mme D... ne justifie d'aucune insertion dans la société française ; que M. D... ne démontre pas davantage son implication sociale ou professionnelle, en se bornant à se prévaloir d'une promesse d'embauche en date du 1er octobre 2013 en tant qu'aide cuisinier et de sa participation à des cours de langue française ; qu'ainsi qu'il a déjà été dit au point 6 ci-avant, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'état de santé des intéressés exigeait qu'un titre de séjour leur fût délivré à la date des décisions en litige ; que rien ne faisait obstacle à ce que la cellule familiale constituée des requérants et de leur jeune enfant né en Espagne en 2011 se reconstituât hors de France ; qu'ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, les décisions contestées n'ont pas porté au droit de M. et Mme D... au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elles ont été prises ; qu'elles n'ont, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
9. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des motifs énoncés au point 8 ci-avant, qu'en refusant de délivrer un titre de séjour aux épouxD..., le préfet du Rhône n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de ses décisions sur la situation personnelle des intéressés ;
10. Considérant, en dernier lieu, que si M. et Mme D... entendent invoquer la méconnaissance de l'intérêt supérieur de leur plus jeune enfant, ce moyen n'est, en tout état de cause, assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien fondé ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. D... :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens ;
11. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que Mme D...a donné naissance en France à un enfant, le 6 juillet 2014 ; qu'ainsi, à la date de l'arrêté attaqué, le 10 juin précédant, l'épouse de M.D..., enceinte de plus de huit mois, n'était pas en mesure de supporter un voyage à destination de l'Algérie sans risque pour sa santé ou celle de l'enfant qu'elle portait ; que, dans les circonstances très particulières de l'espèce, alors que les requérants sont parents d'un jeune enfant né en 2011 et que MmeD..., qui vivait en situation de grande précarité, n'était pas en mesure de faire face seule à l'issue de sa grossesse, le préfet du Rhône, en décidant d'éloigner M. D... du territoire français, a commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de l'intéressé et de son foyer ; que cette mesure d'éloignement est, par suite, illégale et doit être annulée ; qu'il en est de même, par voie de conséquence, des décisions du même jour accordant à M. D...un délai de trente jours pour quitter volontairement le territoire français et désignant le pays à destination duquel il pouvait être renvoyé d'office à l'expiration de ce délai ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs conclusions tendant à l'annulation des décisions du préfet du Rhône du 10 juin 2014 faisant obligation à M. D...de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et désignant le pays à destination duquel il pouvait être éloigné d'office à l'expiration de ce délai ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
13. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé " et qu'aux termes de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, modifié par l'article 48 de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. / Si la décision de ne pas accorder de délai de départ volontaire, la décision de placement en rétention ou la décision d'assignation à résidence est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 (...)" ;
14. Considérant, d'une part, que le présent arrêt, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation des décisions prises à l'encontre de Mme D..., n'implique aucune mesure d'exécution la concernant ;
15. Considérant, d'autre part, que le présent arrêt, qui annule les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixation d'un délai de départ volontaire et désignation du pays de destination, prises à l'encontre de M. D..., implique seulement qu'il soit procédé au réexamen de sa situation administrative dans le délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et que dans l'intervalle le préfet le munisse d'une autorisation provisoire de séjour ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge des époux D...les frais qu'ils ont exposés, non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1408032-1408033 du 17 février 2015 du tribunal administratif de Lyon est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. D... tendant à l'annulation des décisions du préfet du Rhône du 10 juin 2014 lui faisant obligation de quitter le territoire français, lui accordant un délai de départ volontaire de trente jours et désignant le pays de renvoi.
Article 2 : Les décisions du préfet du Rhône du 10 juin 2014 faisant obligation à M. D...de quitter le territoire français, accordant à ce dernier un délai de départ volontaire de trente jours et désignant le pays à destination duquel il pouvait être éloigné d'office sont annulées.
Article 3 : Il est fait injonction au préfet du Rhône au réexamen de la situation administrative de M. D...dans le délai de deux mois suivant notification du présent arrêt et, dans l'intervalle, de délivrer une autorisation provisoire de séjour à l'intéressé.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Mme B... C...épouse D...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 19 mai 2016 à laquelle siégeaient :
M. Faessel, président de chambre,
M. Seillet, président-assesseur,
M. Segado, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 juin 2016.
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N° 15LY01499